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PROSPECTUS.

Si la nation Belge n'est point placée au premier rang de la hiérarchie politique, s'il lui est interdit, par la nature même des choses, de mettre dans la balance de l'Europe le poids d'une puissante épée, on la voit du moins, dans les arts de la paix, marcher de front avec les peuples les plus avancés dans la civilisation, et leur donner quelquefois des exemples qu'ils ne dédaignent pas d'imiter. L'industrie et l'agriculture, également florissantes, semblent épuiser leurs trésors pour enrichir notre belle patrie et alimenter à l'envi le cours d'une intarissable prospérité. Les étrangers viennent de toutes parts contempler l'activité prodigieuse qui règne dans nos fabriques, dans nos ateliers, dans nos mines; tant de canaux, de routes, de chemins de fer, qui doivent, dans l'ordre matériel, réaliser complètement l'unité nationale; ils admirent la hardiesse et

la grandeur de nos établissements; ils étudient avec fruit le système de nos prisons, le jeu de nos institutions municipales, nos sociétés industrielles si largement et si fortement constituées, enfin l'application heureuse de quelques principes politiques qui ne sont encore pour les autres peuples que de brillantes utopies. Parlerons-nous maintenant de la gloire des beaux-arts, ce patrimoine inalienable de notre pays? Faut-il compter tant de sculpteurs, d'architectes, de musiciens, que de grandes nations pourraient à bon droit nous envier? N'avonsnous pas vu s'élever et grandir une foule de jeunes talents, l'honneur de la peinture, qui déjà nous font admirer dans leurs belles productions, l'heureuse alliance de la vigueur et de l'originalité de notre vieille école flamande avec la grâce et la pureté italiennes ?

Cependant, parmi tous ces brillants avantages, lorsque notre pays peut être proposé pour modèle sous tant d'autres rapports, une lacune importante reste à combler jusqu'à ce jour : une littérature nationale est encore à naître. Quelques uns même de nos compatriotes croient son enfantement impossible, et pensent que le rôle de parasites nous est imposé à cet égard, soit par l'absence d'une langue vraiment nationale, soit par l'état de nos rapports avec les autres pays, soit enfin par le cercle rétréci de notre public intellectuel.

Certes, nous sommes loin d'acquiescer à un jugement aussi sévère, et notre ambition la plus vive, en publiant cette revue, serait de concourir à le faire réformer. Mais il faut le dire hautement: si des efforts louables n'ont point jusqu'ici rencontré une entière sympathie, si l'opinion s'est en général montrée défiante et incrédule pour les tentatives littéraires, c'est que l'on poursuivait une chimère, et qu'en général, on s'est fait une fausse idée de ce que peut, de ce que doit être la littérature dans notre pays.

La littérature courante aujourd'hui en vogue chez nos voisins, qui parle de tout et à tout propos, qui semble redouter de rien approfondir, dont la vie artificielle ne s'entretient qu'à force d'adresse et par une dépense d'imagination aussi abondante que stérile, qui torture des mots dans l'impuissance de remuer des idées, qui affecte de rajeunir la langue en la vieillissant, une telle littérature ne prendra jamais racine chez nous; elle exige un esprit à la fois trop délié et trop frivole, un sens trop délicat des ressources de la langue et un oubli trop audacieux de ses règles essentielles; elle est au-dessus comme audessous de notre imitation. Qu'on ne s'étonne donc plus de n'être pas secondé par le mouvement de l'opinion, lorsqu'on tente de naturaliser parmi nous un genre que le bon sens repousse par instinct et que le suffrage des hommes de goût n'a point consacré. Mais par delà cette littérature légère, frivole, et tout au plus ingénieuse, il existe une littérature grave, virile, s'appuyant sur des travaux sérieux, en rapport avec les besoins de nos sociétés modernes, et qui, loin d'étouffer le génie poétique et les grandes inspirations, les développe au contraire et en rend l'essor plus assuré. L'histoire si féconde en recherches instructives, en profonds enseignements, si capable de former non seulement des savants véritables, mais des hommes et des citoyens, la philosophie, cet impérissable besoin d'une nature intelligente, qui agrandit l'humanité en lui montrant ses rapports avec la nature et avec Dieu; la politique, l'économie politique, ces deux sciences qu'une régénération heureuse tend aujourd'hui à reconstituer sur la base des nobles sentiments et des croyances. généreuses de l'humanité; le droit incessamment retrempé aux sources philosophiques; la philologie, la philosophie des langues, voilà les fondements d'une littérature plus solide et plus durable; voilà, selon nous, les riches matériaux qu'un zèle persévérant doit exploiter; voilà de quel côté les hommes instruits doivent

porter leurs efforts, et l'opinion publique ses encouragements, si l'on veut doter le pays de sa part légitime de gloire littéraire. Nous savons qu'un tel résultat ne sera point conquis en un jour, et qu'il ne couronnera pas des efforts isolés: il faut le travail du temps et le concours de tous les amis de la science pour en préparer l'avènement. Mais nous savons aussi la que Belgique possède, dans les souvenirs de son histoire, dans sa position géographique, dans le génie de ses institutions, enfin dans le caractère sérieux, méditatif, opiniâtre de ses habitants, des ressources peu connues, des germes heureux qui ne demandent qu'à éclore. Combien de science profonde enfouie au sein même de nos petites villes, et dans des conditions où l'on est le plus surpris d'en rencontrer! Nos principales cités ne présentent-elles pas, surtout depuis l'érection des différentes universités, les sources les plus abondantes d'une instruction variée? La jeunesse ne s'empresse-t-elle pas d'y faire bonne provision de connaissances? L'hospitalité de nos mœurs et de nos lois, en accordant le droit de cité à tous les talents, sans acception de patrie, tend à réunir dans nos universités les adeptes de la science allemande et française, et à concentrer en quelque sorte les rayons partis de ces deux foyers principaux de l'instruction en Europe. Par cette circonstance, dont nous nous félicitons, la Belgique qui d'un autre côté tend la main à l'Angleterre, ne semble-t-elle pas appelée à devenir le lien du monde savant, comme elle est déjà le rendez-vous des représentants de l'industrie? Telle est l'espérance que nous osons concevoir pour notre patrie et qui peut paraître assez belle pour mériter quelques sacrifices.

Il est digne de tous les amis du pays de coopérer à cette œuvre importante, sans consulter les intérêts de l'amour-propre, et au risque de voir leur zèle accueilli d'abord par le scepticisme. Pour nous, nous donnons ici le signal et l'exemple,

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