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laires frappaient surtout les nobles coursiers, ce qui décida une partie des gens d'armes du Hainaut et de la Hollande à donner un exemple rare dans les fastes militaires de la chevalerie. Ayant mis pied à terre, ils se portèrent à l'endroit où la lutte était la plus acharnée. Il est inutile de dire, que c'était là où se trouvait Clais Zannekin. Ce chef tomba enfin percé de coups, après avoir fait des actes incroyables de bravoure. Mais ses compagnons d'armes, serrant les rangs autour de son cadavre, rendirent inutiles les efforts que firent les ennemis pour rompre le bataillon.

Le combat avait déjà duré deux heures pendant une chaleur étouffante. Ces artisans « se portèrent si vaillamment, que ils faysoient plusieurs fois doubter leurs ennemys de l'evenement de la bataille. »

Outre les nombreuses victimes qui formaient un cercle fatal autour du bataillon bourgeois, on comptait parmi les blessés le duc de Bourgogne, le comte de Bar, Louis de Savoie, Bouchard de Montmorenci, Henri de Champagne, Michel de Ligne et plusieurs autres illustres seigneurs.

Le comte de Hainaut, renversé de son cheval, ne dût son salut qu'au prompt secours des siens.

Les chefs de l'armée française eurent enfin recours au stratagème. S'étant portés tous du côté opposé à Cassel, ils semblaient vouloir terminer une lutte qui avait déjà couté tant de noble sang. Trompée par cette manœuvre, la partie du bataillon populaire qui avait en face la colline, voyant le passage libre, crut devoir faire sa retraite sans songer que les rangs opposés, vivement pressés par l'ennemi, ne pouvaient suivre. Ils s'ébranlent. La cavalerie ennemie, qui avait épié ce moment, les prend en flanc. Le bataillon est enfoncé, le désordre se met dans les rangs, et au lieu d'un combat il n'y a plus qu'une horrible boucherie. Ceux qui ont été séparés de l'armée, lorsque les lignes furent rompues, dédaignèrent de conserver leur vie par une fuite honteuse. Ils se rallièrent au pied de la colline, et là ils défendirent jusqu'au dernier souffle la route qui conduit à la

ville. Nul ne demanda grâce, nul ne cria merci; ils couvrirent de leurs corps la place qu'ils avaient occupée en combattant; et moururent en défendant les lois de leurs pays (1).

Après cette victoire « les François qui avoient semblablement perdu bonne quantité de leur gens, assaillirent, prirent et saccagèrent la ville de Cassel. Ils n'omirent aucune espèce de cruauté dont ennemis barbares sont accoustumés d'user envers les vaincus. Ils n'épargnaient aucun âge, sexe ni condition des personnes, mettant à l'espée tout ce qu'ils rencontroient. »

A l'approche de la nuit, le roi fit mettre le feu à tous les coins de la ville, et rentra dans le camps avec son armée. Il n'attribua cette victoire ni à sa propre valeur, ni à celle de ses gens; mais à l'assistance singulière du ciel. Pour lui témoigner toute sa reconnaissance, il ordonna que l'on ne bût et que l'on ne mangeât, avant que le Te Deum, l'Antienne de Notre Dame et celle du bienheureux Denis n'eussent été chantés devant sa tente.

Philippe de Valois ne devait pas se faire illusion sur ce premier succès. Il n'avait vaincu que l'avant-garde des forces populaires. Les deux armées des confédérés, composées l'une des citoyens de Bruges et du Franc, l'autre des bourgeois d'Ypres, de Courtrai et de leurs châtellenies, étaient encore debout et pouvaient lui faire craindre de trouver une Salamine qui vengeât les Thermopyles flamandes.

Mais en Grèce, la défaite glorieuse de l'avant-garde produisit l'exaltation du peuple; en Flandre et au XIVe siècle, on réussit à la faire considérer comme une punition du ciel, et elle fut suivie d'un découragement profond. Cette terrible excommunication finit par troubler tous les esprits mourir effrayait peu, mais mourir sous l'anathème de l'église, mourir sous l'accusation de félonie, jetait l'épouvante dans tous les

cœurs.

(1) FROISSART dit : « Il n'en échappa nul, aucun ne recula: tous furent tués et morts l'un sur l'autre sans issir de la place sur laquelle la bataille commença. »

Cependant les Brugeois ne désespérèrent pas encore du salut de la patrie. Ils marchèrent à la hâte contre l'armée française qui s'avançait vers Ypres. Mais dans cette dernière ville, les efforts de la faction du lis, unis à l'influence du clergé et de la noblesse privilégiée, triomphèrent de la résistance des populaires. La commune se soumit à la discrétion du vainqueur, en implorant sa clémence royale. Jean de Bailleul reçut ordre d'entrer dans la ville. Il désarma la bourgeoisie, fit précipiter du beffroi la cloche communale, et s'installa lui-même à l'hôtel échevinal pour y exercer la dictature au nom du roi.

Cette défection entraîna celle de la plupart des petites villes

du pays.

Les Brugeois rentrèrent dans leurs foyers, menacés par l'approche de l'armée du comte, et finirent par se soumettre à leur tour.

Lorsque tous les confédérés eurent déposé les armes le comte leur déclara que leurs vies, leurs corps et leurs biens étaient forfaits, que leurs franchises, lois et usages étaient annulés pour cause de félonie. Il usa largement du pouvoir absolu. Plusieurs milliers de jeunes citoyens furent bannis du pays; la quantité des propriétés confisquées est innombrable, et les écrivains évaluent les uns à mille, les autres jusqu'à dix mille, le nombre de bourgeois livrés au bourreau dans l'année qui suivit la bataille de Cassel.

En partant le roi dit au comte ces paroles mémorables: Beau cousin, gardez que désormais par faute de justice, ne « nous faille plus par deça retourner! »

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C'est l'année de la bataille de Cassel que fut introduit dans la langue du pays le mot PATRIOTE. La tyrannie des grands seigneurs fit grandir l'amour de la liberté.

P. A. LENZ.

PUBLICATIONS HISTORIQUES.

MANUEL D'HISTOIRE DU MOYEN-AGE, par M. MOELLER, professeur à l'Université de Louvain (1). PRÉCIS DE L'HISTOIRE ANCIENNE, par M. ALTMEYER, professeur à l'Université de Bruxelles (2).

Ce n'est pas une tâche facile que de rendre compte d'ouvrages aussi sérieux et aussi vastes, que doivent l'être des traités d'histoire adaptés à l'enseignement universitaire. L'étendue du sujet, les bornes de l'œuvre, la diversité de plan et souvent de doctrine, concourent à multiplier les écrits de ce genre, sans qu'aucun puisse satisfaire à toutes les exigences. Tout ce que l'on a le droit de demander au professeur qui publie un manuel, c'est que son livre réponde aux besoins de ses élèves et à l'esprit de son cours. Mais comment le critique se reportera-t-il toujours à ce point de vue? quand sera-t-il sûr que ses propres opinions ne se mêlent point dans sa pensée à celles d'autrui? et qui garantira son impartialité dans une cause où il peut se trouver, presque à son insçu, juge et partie ?

Si ces considérations ne nous détournent pas d'examiner ici les deux ouvrages de MM. Moeller et Altmeyer, c'est que l'on doit aux livres graves une juste part d'attention, et que l'intérêt du critique ne saurait légitimement passer avant les droits de l'auteur. Nous aborderons donc hardiment cet examen difficile,

(1) Louvain, Van Linthout et Vandenzande, 1837.

(2) Bruxelles, Méline et Cans, 1837.

en mettant de côté les titres des deux écrivains, mais sans oublier cependant que lorsque nous ne sommes pas de leur avis, c'est peut-être de notre côté que se trouve l'erreur.

L'ouvrage de M. Moeller a paru le premier. C'est un Manuel de l'Histoire du Moyen-âge, qui n'était d'abord destiné qu'aux élèves de l'université catholique, et qui n'a reçu une publicité plus étendue que d'après des instances auxquelles l'auteur ne pouvait résister. Il formera deux volumes, dont le second ne sera publié que plus tard; mais l'introduction offre l'exposé déjà complet du plan général.

M. Moeller regarde la période du moyen-âge comme dominée par un seul principe, celui du christianisme, et pour employer ses propres termes, il fait consister l'histoire de cette époque dans celle de la société catholique, que gouvernait le souverain pontife en sa qualité de vicaire de Jésus-Christ (1). Partant de ce point et persuadé qu'il faut être catholique pour écrire l'histoire du moyen-âge avec une véritable intelligence, des passions qui s'y agitent et de la force qui les comprime (2), il s'est tracé un programme d'une simplicité remarquable. Il a voulu montrer la société moderne fondée par le christianisme seul, se développant sous l'influence religieuse, et progressant vers la perfection aussi longtemps que l'autorité des papes put maintenir l'unité de croyance et la force du pouvoir spirituel; mais déclinant, se déchirant, et menaçant ruine aussitôt que l'église a perdu de son action et le pontife de sa suprématie (3).

Ce programme étant donné, l'auteur avait beaucoup à faire pour le remplir: car les doctrines, encore peu répandues,

(1) Introduction, p. 8.

(2) Préface, p. vi.

(3) Mr M. ne développe dans ce volume que la première partie de cette proposition; mais il me semble que la seconde (qui d'ailleurs en résulte) est clairement indiquée dans le passage suivant :

« La société qui avait perdu sa seule véritable base (après la destruction de l'unité religieuse) fut fatalement poussée vers ces bouleversements terribles,

<< qui semblent être les précurseurs d'une nouvelle ère, mais dont-il est impossible de prévoir l'issue. » P. 20.

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