Page images
PDF
EPUB

fortune de 600 francs, est une charge énorme, tandis que le même 176 réclamé du possesseur d'une fortune de 20,000 francs, est à peine sensible? Dans le premier cas l'impôt doit se prendre sur le nécessaire, dans le deuxième il se prend sur le superflu; dans le premier cas seul il peut influer sur la conservation ou l'aliénation de l'immeuble imposé. Cet effet est peut-être inévitable, mais il existe, et j'ai dû le remarquer.

Les droits de mutation (enregistrement, transcription, etc.) vous en savez quelque chose, frappent toujours plus souvent la petite propriété que la grande propriété, la propriété des grandes familles, ou que les capitaux engagés dans le commerce et l'industrie. La petite propriété change si souvent de main que d'après des calculs, dont l'exactitude serait curieuse à vérifier, sa valeur, rien que par ce seul impôt, rentre tout entière dans le trésor public une fois au moins en vingt ans. La grande propriété au contraire ne se transmet guère que par succession directe; elle se partage plus souvent à l'amiable que la petite propriété; elle donne moins occasion aux procès et aux contrats, et évite là encore une cause de ruine à laquelle la petite propriété est inféodée, quoiqu'elle fasse. Les grands propriétaires ne plaident guère; il n'y a plus que le pauvre diable et la petite propriété qui plaident et... se ruinent. La grande industrie est au-dessus des lois fiscales ordinaires, et si elle en est atteinte ce n'est jamais que dans une proportion insignifiante avec ses bénéfices; car il n'y a pour la grande industrie d'impôt réel que les douanes; cet impôt là a un but plutôt général et économique que fiscal proprement dit, et l'industriel, qui a la veine, sait toujours bien le faire payer par le consommateur. La petite propriété trouve un autre fléau dans un impôt de capitation, un impôt qu'il est peut-être impossible et en tous cas infiniment difficile de régulariser et d'égaliser, mais qui n'en a pas moins des résultats désastreux pour la propriété rurale, je veux dire l'impôt du sang, la milice. Qu'un paysan peu riche, comme ils le sont pour la plupart, dans cet état de morcellement de la propriété, et d'entassement de la population,

en nos Flandres, qu'un paysan peu riche donne deux fils à la milice, ou en rachète deux, ce sera presque toujours un homme ruiné: s'il ne possède rien il sera privé pendant longtemps de ses enfants, et cela au moment où ils commençaient à lui être d'efficaces soutiens, et cette privation viendra se joindre à tous les obstacles qui empêchent son agrandissement. Que s'il possède quelque chose, il devra, pour payer le prix d'un homme à chacun de ses fils, vendre sa propriété, ou la charger, ce qui n'est souvent pas le moins onérenx; pour le cultivateur l'impôt de la milice est donc cause de ruine ou obstacle dans les deux hypothèses. Le propriétaire ou l'industriel (de la classe de ceux qui achètent les propriétés rurales) ne se privent au contraire que de fort peu de chose en payant pour leurs fils, d'ailleurs communément moins nombreux, le prix d'un remplaçant; et si leurs fils veulent servir eux-mêmes, ils trouvent dans l'armée une carrière, tandis que le jeune paysan n'y peut trouver qu'une corvée, peut-être une occasion de démoralisation, ou le mécontentement de son état de cultivateur. Les conséquences et les charges de cet impôt, de cette nécessité sociale, sont donc absolument défavorables à la petite propriété.

Or, chaque fois qu'un fait social, politique ou économique est défavorable, onéreux à la petite propriété, il est au petit propriétaire rural une occasion prochaine de décadence, et cette décadence frappant tous les petits propriétaires à la fois et à un certain degré, il en résulte d'une part que beaucoup d'entr'eux vendent, et d'autre part que ceux qui n'en sont pas encore là, ne peuvent déjà plus faire une sérieuse concurrence aux acheteurs urbains, grands propriétaires ou grands industriels.

Certainement, ami, les causes fiscales et administratives que j'ai indiquées et celles que je n'ai pas indiquées, pour vous en épargner la fastidieuse énumération, sont d'une importance secondaire auprès de la marche naturelle (c'est-à-dire spontanée et forcée à la fois) des choses; mais elles aident à cette marche, et la rendent encore irrésistible. Cette marche des choses donc

nous conduit à voir chaque jour décroître la petite propriété, surtout la petite propriété rurale et accroître la grande propriété, surtout la grande propriété urbaine ; et je le regrette du fond de mon cœur pour mon beau pays de Flandre. Cette marche des choses peut le conduire loin.... Mais ce n'est pas ici le lieu de nous livrer à cet ordre de réflexions.

Il est vrai que l'hérédité à parts égales d'abord, puis le luxe, la dissipation, l'ambition et les vices, qui naissent de l'entassement des populations, morcèlent à leur tour les grandes propriétés, leur font perdre leur ancienne stabilité et les menacent d'une autre espèce de décadence. Il n'en est pas moins vrai, cependant, que malgré cette instabilité, malgré ces vicissitudes, la ville et la grande propriété urbaine, qui y a son siège, absorbent continuellement les petites propriétés rurales; et c'est à expliquer ce fait important que j'ai voulu consacrer le travail que je vous adresse aujourd'hui.

Chez nous les mots de grande propriété et de petite propriété n'ont nullement le sens qu'ils ont dans le langage des partis ou dans les documents économiques des pays voisins, soit qu'il s'agisse de pauvres ou de riches, soit qu'il s'agisse de grande ou petite culture. Chez nous, la propriété échappe à l'application de ces deux sens par son morcellement extrême et par son extrême mobilité. J'insiste sur cette remarque pour conserver à mon travail son caractère d'observation impartiale et assurer un sens plus net aux trois mots dans lequel je le résume:

« Dans la Belgique flamande la grande fortune urbaine absorbe incessamment la petite propriété rurale.

« La grande fortune urbaine se décompose à son tour;

« Et cette absorption, cette décomposition alternatives forment un cercle d'instabilités qui appauvrissent chaque jour la population de nos campagnes. »

En commençant cette longue lettre, j'ai comparé le monde scientifique à une ruche immense et compliquée. Le monde économique appelle la même comparaison. Le travail de l'abeille et l'organisation de sa famille sont soumis à des lois nécessaires,

inéluctables, et c'est dans ces lois mêmes qu'abeille et ruche trouvent leurs conditions favorables. Pour peu que notre regard s'arrête à contempler, à observer avec suite et patience le mouvement fondamental des sociétés politiques et industrielles, n'y découvre-t-il pas aussi de ces lois régulières, ordonnées, fatales, qui poussent en avant les choses dans une direction tracée? Et ne faut-il pas espérer dès-lors que ces lois nécessaires seront pour nous, comme pour la ruche et l'abeille, un acheminement final vers un bon avenir? Laissez-moi me consoler de cette vague pensée, ami; car au grand courant d'agglomération d'une part, et d'appauvrissement d'autre part que j'ai voulu débrouiller, je ne trouve à opposer aucune digue résistante; et à défaut de moyens gouvernementaux reçus, auxquels nous n'accordons guère d'efficacité, nous devons nous confier à peu près aveuglément à l'avenir et à la Providence qui le tient en ses mains.

TOUSSAINT.

HISTOIRE DE LA FLANDRE.

LA BATAILLE DE CASSEL 9

LIVRÉE LA VEILLE DE LA SAINT BARTHÉLEMY 1328.

QUICONQUE a étudié l'histoire des provinces belgiques au moyenâge et particulièrement celle de la Flandre, conviendra que ce pays fut pendant des siècles le principal boulevard de l'Allemagne contre la France. Ce fait incontestable pourrait nous suggérer d'intéressantes réflexions à une époque où le peuple Belge semble avoir changé de rôle, où il paraît être devenu l'allié naturel de sa vieille ennemie, l'avant-garde du midi contre le nord.

Les recherches sur la cause de ce changement fondamental, acquièrent encore une plus grande importance au moment où il s'agit de déterminer la position naturelle, que la Belgique moderne doit prendre dans le système de l'équilibre politique de l'Europe.

Malheureusement les travaux préparatoires de notre histoire militaire ne sont pas encore assez avancés, pour qu'on puisse se flatter d'entreprendre avec succès la solution d'une aussi importante question.

Donner quelques épisodes caractéristiques de ces longues

« PreviousContinue »