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UNE ANCIENNE CHRONIQUE BELGE.

VII SIÈCLE.

TRADUCTION LITTÉRALE EN VERS FRANÇAIS, AVEC DIVERSES EXPLICATIONS HISTORIQUES, de quelques poÉSIES LATINES DE St. liévin (livinus), ÉVÊQUE ÉCOSSAIS ET CÉLÈBRE

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L'HISTOIRE des anciens temps de la Belgique nous apprend que tout le pays qui, dans la suite, reçut la dénomination de Hainaut et de Brabant, avec la plus grande partie de la Flandre, resta longtemps plongé dans les ténèbres du paganisme et ne fut éclairé des lumières de la foi catholique que plus de 150 ans après le règne de Clovis ou plutôt Khlodovigh ou Chlodoveus, selon les vieilles chartes latines de ce temps. Mais quel tableau se déroule alors à nos yeux! Nous voyons par suite de la politique et de la piété de ce chef des Francs, la paix rendue à l'église dans toute l'étendue de ses états; nous voyons se montrer partout insensiblement les bienfaits inappréciables d'une religion de charité et de douceur.

En 630, St. Amand, évêque de Tongres et apôtre de Gand, arrive dans nos provinces belgiques pour établir le théâtre de sa mission dans les environs de Gand et de Tournai. C'est le

même qui a construit, vers l'an 656, les monastères de St. Bavon et de St. Pierre. Dans le commencement, il fut mal accueilli des peuples dont il entreprenait la conversion, mais il persévéra sagement dans ses travaux apostoliques, secondé par des personnages très-connus dans la légende belge, par St. Bavon, riche et puissant comte issu d'une illustre famille de la Hesbaie (1), et par Ste. Itte ou Iduberge, femme de Peppin de Landen, duc d'Austrasie. Si nous voulions faire des digressions, tout en commençant, à la manière de tant de feuilletonistes, nous trouverions dans ce seul mot de Peppin l'occasion de rappeler que notre petit pays, que parfois on appelle, non sans de bonnes raisons, l'Italie du nord et que parfois on dédaigne trop, a fourni à un grand royaume limitrophe, plusieurs dynasties belles et fécondes en faits importants et en résultats politiques du plus haut intérêt. Mais rentrons un peu plus dans les limites du sujet qui nous occupe aujourd'hui spécialement.

pour

Seize ans après l'arrivée de St. Amand en Belgique, St. Eloi ou Eligius qui, selon Ouen (2), avait été établi évêque des villes de Gand, de Bruges et de Courtrai, s'était rendu, y exercer l'apostolat avec autant de zèle que de succès, parmi les populations des Flandres, du Tournaisis, d'Anvers, de Zélande et d'autres lieux voisins.

Cinq ou six années s'étaient à peine écoulées, que l'on voyait encore Ste Waudru, Waldetrus, cédant aux pressantes sollicitations de St. Ghislain, établir dans le Hainaut son monastère qui devint le berceau de la ville de Mons.

C'est à une époque aussi favorable en apparence pour la diffusion et pour l'affermissement des dogmes du christianisme, que St. Liévin, évêque écossais (3), se montra et rencontra tant d'obstacles dans nos contrées, vers l'an 654, pour y implanter

(1) Acta Sanct. Belgii I, Octobre p. 202 et II, Mars p. 595.

(2) AUDOENUS, In vitâ Eligii, II, 2. C'est le premier écrivain où l'on trouve le nom de Flandre.

(3) Dans une partie de l'Irlande, nommée alors aussi Ecosse. Acta S.S. Belg. T. III.

la foi évangélique. Cet ardent missionnaire prêcha spécialement sa doctrine parmi les Flamands et les Brabançons; il s'arrêta surtout, par un zèle qui devait lui être si fatal, chez les Gantois et leurs voisins, ainsi que chez les habitants de l'ancien Brabant et du territoire d'Alost.

Un auteur nommé Bonifacius, plus ancien que l'évêque connu sous le même nom, a écrit des histoires assez remarquables et relatives à nos vieilles annales. Selon Mabillon (1), contraire en ceci à Papebroch qui croit cet écrivain plus récent, Bonifacius avait appris un grand nombre de faits curieux et intéressants des disciples de St. Liévin. Quoi qu'il en soit, il nous a dépeint d'une manière singulière, naïve et pittoresque, quoiqu'en latiniste barbare et en narrateur évidemment exagéré, les mœurs des Brabançons de ce temps éloigné. Il ne sera pas, certes, sans utilité ni sans intérêt pour notre sujet, d'en donner ici une idée. « Après avoir reçu, dit-il, des fonds du

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monastère, la somme nécessaire pour subvenir aux frais du « voyage, St. Liévin partit, pour se rendre à la hâte dans le « pays des Brabançons. Le vénérable prélat, arrivé dans cette « contrée qu'il venait sanctifier par son apostolat, fut frappé « d'étonnement à la vue de cette terre vaste, agréable, délicieuse, abondante et féconde en lait, en miel, en fruits, en productions et en richesses de toutes les espèces. Il n'admirait « pas moins la bonne mine et l'extérieur avantageux des habi«tants, l'élégance et la recherche de leur parure; la tournure polie de leur langage, l'austérité de leurs mœurs, leur habileté « dans les armes, leurs connaissances dans les lettres (2). » Ces qualités agréables que l'historien attribue aux anciens habitants du Brabant et qui regardent sur tout l'extérieur, étaient ternies, selon cet auteur, par une férocité, par des vices et par des excès tels que l'adultère, le meurtre et le brigandage, par les violences, les parjures, etc. Mais ces crimes

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(1) Acta SS. T. II, p. 458 sq; I Juin 494.

(2) Ceci est traduit très-littéralement.

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odieux peuvent être en quelque sorte justifiés par leurs lois et par leurs coutumes qui les y autorisaient. En effet, il était libre aux hommes d'entretenir plusieurs femmes et plusieurs concu bines; il leur était permis de venger leurs injures et leurs querelles particulières, comme celles de leurs proches et de leurs clients, par tous les genres de violences et de cruautés. Le seul droit alors reconnu semblait être, en dernière analyse, le droit du plus fort. Ces mœurs barbares qu'une apparence de civilisation première ne rendait pas moins méprisables, présentèrent, comme on le croira facilement, au saint missionnaire, un contraste frappant, une antithèse extraordinaire avec la morale si pure et si douce de l'évangile, avec la loi populaire et charitable du Christ qu'il venait prêcher avec une ferveur si exemplaire.

« L'homme apostolique, continue notre historien, voyant donc « que les peuples se livraient de jour en jour à des actions plus condamnables, tâchait par ses veilles, par ses larmes, « par ses prières, de les arracher à l'abîme où ils se précipi« taient, parcourant les bourgs et les châteaux, etc. »

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Le succès couronna ses efforts, et il ne tarda pas à goûter la récompense de ses travaux évangéliques. On vit en effet une doctrine plus sensée et une morale plus humaine remplacer bientôt d'une manière assez sensible, les anciennes erreurs et les mœurs sauvages d'un nombre infini d'habitants du Brabant et de la Flandre. Il est important ici de ne pas perdre de vue que cette première contrée ne correspond pas entièrement au Brabant moderne, car le Brabant ancien avait l'Escaut pour limite.

Ce territoire était appelé à cette époque assez reculée de nos annales, terra Brachentisia (1). Ce même pays prend la dénomination de terra Brachantisiorum dans le livre des miracles de St. Bavon, illustre et puissant seigneur qui, ayant quitté l'épée pour le froc, fit la donation de ses immenses richesses aux églises et aux monastères. D'après le texte formel de l'histo

(1) Acta S.S., ibid.

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