Page images
PDF
EPUB

le franc et le saxon. Quant à la branche désunie des Suèves, toutes ses anciennes tribus semblent avoir elles-mêmes gardé un quatrième idiome qui leur était commun, et duquel est issu le haut-allemand.

Là se bornent les groupes observés par les anciens et qui sont au nombre de quatre: les Suèves, dont la confédération nous est décrite dès le premier siècle de notre ère, mais semble dissoute au troisième; les Goths, les Saxons et les Francs qui n'apparaissent qu'à la seconde époque, et pour renverser l'empire (1).

Ce ne sont point là sans doute toutes les branches de la vieille souche germanique. D'un côté les Scandinaves, de l'autre les Belges, formaient d'autres rameaux distincts, et peut-être un certain nombre de corps semblables avaient-ils péri brisés par des chocs antérieurs. Mais nous nous contenterons d'examiner successivement ici ces quatre familles qui nous sont indiquées dans la Germanie du temps des Romains.

(1) L'on pourrait y joindre les Allemands; mais nous verrons que c'était une fraction de l'ancienne ligue des Suèves, et que son histoire se rattache la leur.

CHAPITRE II.

GROUPE SUÈVE.

Le nom de Suèves est employé tantôt dans un sens particulier, comme désignant un peuple spécial; tantôt dans un sens général, comme désignant une des grandes branches de la famille germanique. C'est dans cette dernière signification que nous allons d'abord en déterminer l'étendue.

Du Mein au Danube et du Rhin aux sources de l'Oder, l'Allemagne est coupée par de grandes montagnes qui portent encore en partie le nom de Wald ou forêts (1). Le point central de tout ce système est la chaîne qui couvre au nord la Bohême et va rejoindre à l'est les monts Carpathes. C'est la Silva Hercynia des anciens, encore nommée en partie Erzgebürge. Des deux côtés s'étendent de grandes vallées fertiles, mais autrefois presque inaccessibles à cause des hauteurs boisées qui les environnaient. Longtemps le revers méridional de toute cette chaîne avait été habité par des peuples Galliques, et ce n'est guère qu'au temps d'Auguste que les Germains s'y établirent.

En raison des obstacles que présentait cette partie de la contrée, elle paraît avoir été bien moins familière aux Romains que la Germanie septentrionale, et ils ne parlent guère avec précision ni du pays ni de ses divers habitants. Ils nous disent seulement qu'il s'y trouvait des débris de populations antérieures, étrangères (2) et germaniques (3), sous la domination d'une

(1) La synonimie des noms de forêt et de montagne est un des points essentiels de l'histoire de la Germanie primitive.

(2) « L'on reconnaît les Gothins pour étrangers à leur langage gallique, et les Oses à leur langage pannonien. » (Germ. 43.)

(3) Strabon compte parmi les vassaux des Marcomans les Lygiens et quelques autres peuples, qui n'étaient pas Suèves.

grande race conquérante, les Suèves; et ce qu'il nous reste des vieilles traditions de la Germanie, désigne ce dernier groupe comme l'une des branches primitives des Germains (1).

Du temps de César les peuples Suéviques semblaient manquer de place, n'ayant point encore occupé le revers méridional de la forêt Hercynienne. Ils se pressaient vers la Gaule poussant devant eux des Gaëls (comme les Helvètes) et des Germains d'autres familles (comme les Tenchtères et les Ubiens). Le général romain trouva réunis dans des vues d'envahissement sept peuples de cette race (2), les Suèves proprement dits (ou Semnons (3)), les Marcomans, les Tribokkes, les Vangions, les Némètes, les Harudes et les Séduses. L'histoire en découvre ensuite cinq autres, les Hermundures, les Quades, les Narisques, les Marsignes et les Bures (4). Faut-il attribuer au hasard ce . nombre total de douze, ou y voir une forme de l'organisation primitive de la race, c'est une question qu'il n'est pas encore temps d'examiner.

Parmi ces douze tribus il y en avait une qui s'arrogeait une sorte de droit d'ainesse « Vetustissimos se nobilissimosque Suevorum Semnones memorant (5). » Ces Semnons ou Senons, habitaient au nord de la forêt Hercynienne, et s'étendaient du Hartz (6) à l'Erzgebürge, et de l'Elbe au sources du Mein (7).

(1) « Ils disent que les anciens et véritables noms sont ceux de..... Suèves.» (Germ.2.) (2) Les Suèves de cette époque étant hostiles au reste des Germains (comme le prouvera leur histoire) toutes les tribus que nous trouvons liguées avec eux sont homogènes ou vassales. Or, nulle des tribus citées par César, n'étant indiquée comme vassale, il faut les regarder toutes comme suéviques.

(3) L'identité de ces deux noms est prouvée dans la seconde partie de ce chapitre. (4) Tacite et Ptolémée ajoutent les Lombards: mais quoique peut-être admis dans l'alliance des Suèves, ce dernier peuple était certainement d'origine gothique. (Chap. III.) Quant aux Angles et aux autres prétendus Suèves du Nord, ils appartenaient à la race saxonne. (Chap. IV.)

(5) Germ. 39.

(6) « Il y a une forêt d'une grandeur infinie, appelée Bacenis, qui s'étend au « loin dans l'intérieur, et forme comme un rempart naturel entre les Suèves (Semnons

« et les Chérusques. » (César, VI, 11.) Cette forêt, qui devait se trouver à l'ouest de l'Elbe, ne peut être que le Hartz.

(7) La plupart des modernes mettent les Semnons à l'est de l'Elbe sur la foi de

C'est là que les géographes du siècle suivant nous montrent leur forêt sacrée, appelée alors Silva Semana, et qui ne peut être que le Thuringer-Wald (1). Leur territoire qui s'étendait ainsi de l'Elbe à la Fulde, devait être assez peuplé si César ne s'est pas trompé en portant à 200,000 hommes le total de leurs forces (2). Ce chiffre représenterait en effet une population d'un million. Aussi les Semnons passaient ils pour les plus puissants des Suèves (3).

Au midi de cette première nation s'établirent sous Auguste les Marcomans, qui avaient naguère habité dans le voisinage de la Gaule (4), mais qui s'étaient retirés dans la Bohême dont ils s'étaient rendus maîtres. Ils jouèrent un grand rôle dans les guerres de l'âge suivant, et furent les premiers de tous les Germains dont les invasions menacèrent l'existence de l'empire. L'histoire les représente comme un peuple considérable par lui-même, et dont les forces s'accroissaient encore par le concours habituel de deux tribus voisines, les Narisques, qui habitaient les bords de la Nab, et les Quades qui occupaient tout le bassin de la Morave. Le nom des Quades surtout est presque inséparable de celui des Marcomans pendant la période des Antonins. Ces deux peuples semblent avoir adhéré plus spécialement l'un à l'autre, séparés qu'ils étaient du reste de la Germanie par la forêt Hercynienne et par les montagnes d'où descend

Ptolémée. Mais César, qui par le nom de Suèves entend les Semnons, les place évidemment à l'ouest de ce fleuve, et Patercule nous déclare en termes exprès que les Semnons sont séparés par l'Elbe des Hermundures. Or du temps de Patercule les Hermundures étaient sur la rive droite. « Une partie des Suèves habite au-delà « de l'Elbe, comme les Hermundures. » (STRABON, 1. VII.)

(1) Ptolémée met la forêt Sémane (ou Semnone) au-dessous du mont Melibocus (le Broken) et vis-à-vis du mont Asciburg (l'Erzgeburg). Telle est la position de la chaîne appelée Thuringer-Wald depuis l'arrivée des Thuringes, chaîne dont l'un des rameaux est encore nommé Sonnenberg, par corruption peut-être de l'ancien nom Semnenberg ou Sennenberg.

(2) DE B. G. IV. 1.

(3) Adjecit auctoritatem fortuna semnonum, etc. (Germ. 39.)

(4) Gens marcomannorum,

excita sedibus suis, atque in interiora (al. inferiora)

refugiens........ (Velleius Paterculus, II, 108.)

le Mein. Mais ils faisaient partie de la race Suève, suivant le témoignage de l'histoire et de la tradition (1).

A l'ouest de ce groupe et dans la Bavière actuelle, Tacite nous montre les Hermundures, autre nation puissante que César n'avait point connue, que Patercule met au bord de l'Elbe (2), et que Strabon place à l'orient de ce fleuve (3). Ces indications en apparence contradictoires s'expliquent par les révolutions dont ces contrées furent le théâtre (4). Les plus anciens témoignages se rapportent à une première demeure des Hermundures, à l'est des Semnons; mais quand les Marcomans eurent abandonné la frontière de l'empire, eux vinrent s'y fixer; et ce ne fut peut-être pas sans le consentement des Romains, avec lesquels nous les voyons alliés (5).

Telles sont les tribus Suéviques dont nous connaissons la demeure en Germanie. Trois de celles qui avaient été nommées par César, les Vangions, les Némètes et les Tribokkes, passèrent bientôt après le Rhin et vécurent sous l'empire de Rome. Quant aux Sédusiens et aux Harudes, leur nom ne reparaît plus dans l'histoire. Les Bures sont cités quelquefois et peut-être les Marsignes se retrouveraient ils dans les Marvinges de Ptolémée. Mais ces peuplades situées dans l'intérieur du pays échappaient à l'attention des étrangers, et se perdent pour ainsi dire dans le gros de leur race.

Quoique dispersés ainsi dans des contrées diverses, les Suèves semblent avoir été longtemps fidèles au souvenir de leur nationalité commune. Les Romains remarquèrent qu'ils se distinguaient

(1) Tacite l'affirme expressement (Germ. 42); mais je regarde comme une preuve plus décisive encore l'emploi que font quelques uns des Hongrois du nom de Schwab pour désigner tous les allemands.

(2) « Le fleuve Elbe, qui passe par les frontières des Hermundures et des « Senons. » (II, 106.)

(3) « Quelques uns des Suèves habitent à l'est de l'Elbe, comme les Hermundures. >> (4) C'est en parlant des Suèves que Strabon ajoute « tous ces peuples changent facilement de demeure», passage souvent appliqué à tous les Germains.

(5) « La nation des Hermundures, fidèle aux Romains... est seule admise à a pénétrer en deça des frontières. » (Germ. 42.)

« PreviousContinue »