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pays. C'est ainsi que les auteurs qui ont essayé d'écrire l'histoire des tribus de la ligue saxonne ont tous reconnu que cette branche de la race germanique avait ses mœurs et ses institutions propres, et ont pris à tâche de nous montrer son caractère, sa croyance et ses lois, distingués dès le principe par des traits particuliers. Il en est de même jusqu'à un certain point pour les Goths, les Francs et les anciens Suèves; et ces différences ont sans doute influé sur la constitution et sur l'avenir des états formés par chacun de ces groupes. Mais ici commencent l'obscurité et l'incertitude: car nous ne possédons point la peinture exacte de toutes les diverses fractions de la Germanie, considérées à part et pour ainsi dire individuellement.

Pour combler cette lacune de grands travaux seraient nécessaires. Les matériaux ne manquent peut-être pas; mais ils sont épars, et encore brutes. Les écrivains allemands qui ont consacré tant de travail et de science à répandre quelque lumière sur les origines de leur nation, paraissent s'être attachés de préférence à la question des dialectes, et ont fait moins d'efforts pour établir les grandes divisions de la race. C'est donc à peine si l'on peut encore essaier de tracer une esquisse incomplète des principaux groupes observés par l'histoire; et quelque modeste que paraisse cette tâche, nous ne l'entreprendrons point sans frayeur. Mais la connaissance de la Germanie antique est une condition préalable de l'étude des origines belges. Cette considération qui nous a dirigé dans nos travaux, nous en fera sans doute pardonner la hardiesse.

CHAPITRE PREMIER.

GROUPES DE PEUPLES OBSERVÉS PAR LES ANCIENS DANS LA GERMANIE.

Le plus ancien auteur qui nous fasse connaître la Germanie, est César, qui pénétra jusque dans cette contrée, 55 ans avant notre ère. Il y découvrit un assez grand nombre de peuples, dont quelques uns paraissaient ligués entre eux pour envahir une partie des Gaules (1), tandis que d'autres restaient en dehors de cette ligue (2). Mais il ne reconnut pas si ces alliances et ces divisions avaient quelque chose de stable, de fixe, de permanent; et si les groupes qui se formaient pour l'attaque ou pour la défense étaient fortuits et passagers, ou réguliers et durables.

Soixante-dix ans plus tard, sous le règne de Tibère, plusieurs de ces nations germaniques nous sont dépeintes par Strabon comme réunies en un seul corps (3). On les désignait en commun par le nom de Suèves, nom que César avait déjà connu, mais simplement comme celui d'un peuple particulier (4). Les

(1) César ne nous apprend pas de quelle nation était le chef qui conduisait les Germains à cette conquête (Arioviste); mais il nomme sous ses drapeaux des guerriers Harudes, Marcomans, Triboques, Vangions, Némètes, Suèves, etc. DE BELLO G. 1. I c. 51.

(2) Non seulement Arioviste n'était soutenu par aucune nation du nord, mais celles-ci paraissaient hostiles aux Suèves (c'est à dire aux méridionaux ). Ainsi les Chérusques et les Suèves avaient pour rempart mutuel une grande forêt. (VI, 10). Les Sicambres protégeaient les ennemis des Suèves (IV, 16) et ne se joignirent point à ces derniers contre César (IV, 18 et 19).

(3) « Les nations des Suèves, dont quelques unes habitent la forêt Hercynienne. (STRABON, 1. VII, initio.)

(4) « La nation des Suèves est de beaucoup la plus considérable de la Germanie. » (IV, 1.) « Les Suèves habitent cent pagi (ou cantons) dont chacun arme annuellement mille guerriers. » (Ibid.) D'après les explications de César ce nombre suppose une population totale d'un million d'âmes.

tribus ainsi associées paraissent à peu près les mêmes qui naguère menaçaient ensemble la Gaule. Elles habitaient le sud-ouest de la Germanie, s'étendant du Danube au Mein, et du Rhin à l'Oder (1). Le géographe grec semble les regarder comme unies par des liens de famille (2); ainsi leur ligne aurait été le résultat non pas d'un rapprochement accidentel, mais d'une vieille parenté dont le souvenir conserve depuis l'enfance de la nation avait établi des rapports constants d'union et de secours mutuel entre les tribus de la même branche.

En admettant cette donnée la race germanique ne se présentait plus comme l'amas confus d'une foule de peuplades sans lien fixe; elle avait au moins un commencement d'organisation politique intérieure, aussi ancien que ses premiers souvenirs, et pour ainsi dire consacré par sa généalogie. Mais toutes les nations Germaniques formaient-elles des associations de ce genre, et cette institution était-elle commune à la race entière ou propre seulement aux Suèves, c'est ce que Strabon paraît encore ignorer, et nous ne trouvons cette grande question résolue qu'un demi-siècle après lui, par Pline le naturaliste.

Ce dernier auteur, homme d'une science vaste pour son époque, et qui avait puisé en partie ses renseignements sur les lieux, n'hésite pas à proclamer que tous les peuples Germains se groupent en corps, ou, pour parler son langage, en genres divers. « Germanorum genera quinque. » Il est facheux qu'après cette indication générale, il n'ajoute plus rien que les noms de quelques unes des tribus qui selon lui font partie de chaque classe, et qu'il a évidemment la plus grande peine à distinguer (3). Ce serait entrer ici dans un détail fatigant et inutile d'énumérer les peuplades qu'il cite ainsi, et de faire l'examen

(1) Strabon place les Hermundures, l'un des peuples Suèves, à l'est de l'Elbe. (1. 1.) (2) Il distingue entre les tribus soumises par les Marcomans celles qui sont Suèves et celles qui ne le sont pas ainsi la qualité de Suève était inhérente à la race et non à l'alliance politique. C'est ce que Tacite confirmera pleinement.

(3) C'est ainsi qu'après avoir fait des Istavones une des grandes races germaniques, il n'en peut citer d'autre peuplade que celle des Sicambres, déjà disparue, puisque Tacite ne la nomme pas une seule fois.

de la justesse de ses allégations (1). Il suffit de dire qu'en résumant les notions qu'il expose l'on trouve toutes les populations de la Germanie classées en cinq branches (2): les tribus de l'est près de la Vistule, celles du nord au bord de la mer, celles de l'ouest près du Rhin, celles du centre dans la région des montagnes, et un dernier essaim avoisinant l'embouchure du Danube. Cette division paraît empruntée aux Germains euxmêmes (3); mais il semble que Pline ne la comprît qu'imparfaitement (4).

Tacite, qui écrivait vers la même époque, propose également deux divisions générales de la race germanique, puisées à la même source: suivant l'une les Germains formaient trois groupes; suivant l'autre, quatre (5). Mais après avoir indiqué ces deux systèmes, il n'en suit aucun dans son ouvrage, et se borne à reconnaître comme Strabon qu'il existe un lien de famille entre les peuples du midi de la Germanie, et qu'ils portent le nom général de Suèves (6). Il nous apprend en outre que la religion est le sceau de cette alliance (7), et que les nations

(1) Nous en reprendrons quelques unes dans les chapitres suivants. (2) « Il y a cinq espèces de Germains, les Vandales........, les Ingævons, au bord « du Rhin les Istævons, au milieu des terres les Hermions, près du pays des « Daces les Peucins.» (IV, 14.) La position des Vandales est indiquée par l'histoire ; celle des Ingævons par Tacite. (Germ. 2.)

(3) Le nom d'Ingavones, par lequel sont désignés les riverains de la mer, est évidemment le mot allemand Ingewohners, habitants de l'intérieur.

(4) Trois de ces noms me paraissent co-relatifs. Ingewohners, habitants de l'intérieur, Usgewohners ou Uitgewohners, habitants de l'extérieur, Herzwohners, habitants des montagnes (nous reviendrons sur ces mots); mais les noms de Vandales et de Peucins sont génériques et appartiennent à un autre ordre d'idées. Aussi Tacite ne réunit-il que les trois premiers.

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(5) Des trois fils de Mann seraient issus les Ingævons, voisins de l'Océan, les Hermions situés au centre (du pays), et tous les autres, appelés Istævons. Suivant quelques-uns il y aurait plusieurs noms génériques (différents); ce seraient ceux de Marses, Gambrives, Suèves, Vandales.» (Germ. 2.)

(6) Les Suèves remplissent la plus grande part de la Germanie, et se subdivisent « en plusieurs nations. » (Germ. 38.)

(7) « A des époques fixes tous les peuples de ce sang se réunissent par députations dans une forêt sacrée, etc. (Germ. 39.)

confédérées adorent le même dieu dans un temple commun. La description qu'il fait des solennités de ce culte, atteste une origine antique et une longue durée.

Ces détails, donnés avec précision, et conformes aux indications des écrivains postérieurs ne permettent pas de douter que cette confédération suévique n'eut offert à un degré remarquable ces signes d'organisation si intéressants pour l'historien, et que l'antiquité nous montre chez toutes les races devenues puissantes. Mais en même temps l'ignorance de Tacite sur l'existence d'autres groupes analogues dans le reste de Germanie répand une nouvelle obscurité sur l'état des nations qui ne faisaient point partie des Suèves. Ainsi l'on ne peut affirmer qu'à la fin du Ier siècle de notre ère les Romains eussent reconnu l'existence d'une division générale de la race germanique en plusieurs grandes branches.

L'on n'en apprit guère davantage pendant le siècle suivant. Malgré quelques indications précieuses de Dion, Rome n'acquit alors que peu de renseignements nouveaux sur les peuples du Nord, et le géographe Ptolémée se perd au milieu d'indications vagues et souvent contradictoires, qui ne nous font pas faire un seul pas de plus.

Mais au III° siècle la scène change. Les nations suėviques ne paraissent plus unies, et une partie d'entre elles seulement semble former la ligue allemande. En revanche tous les autres peuples Germains se resserrent en vastes groupes, au nord sous le nom de Saxons, à l'ouest sous celui de Francs, à l'est sous celui de Goths. L'on ne voit donc plus subsister l'alliance antique des tribus méridionales, mais d'autre part trois nouvelles confédérations fortement constituées, se dessinent d'une manière nette et embrassent le reste du pays. La puissance de leurs armes prouva la force que toutes avaient acquise. En les observant de plus près on découvrit qu'elles s'étaient choisi des marques distinctives, dont le lecteur verra bientôt le détail. L'on a découvert depuis que chacune des trois avait son dialecte dont les philologues modernes ont refait la grammaire: le gothique,

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