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Quarante trois mille juniores des premières classes (en prenant le maximum des cavaliers) donnent pour les vieillards 21,500 têtes, et en total 64,500 citoyens. Or, un dénombrement fait l'année suivante offre le chiffre total de 110,000. Il y aurait donc eu 45,500 pauvres, ou environ les 5 douzièmes de la population. Cette proportion est un peu plus faible que la précédente; mais aussi dans l'intervalle des deux époques les biens des Tarquins et une partie de l'ager publicus avaient été distribués aux indigents, ce qui devait nécessairement diminuer leur nombre. Ainsi la légère différence que présentent nos deux résultats est une preuve de plus de leur exactitude. Reste à concilier ce grand nombre de pauvres avec les faibles proportions de l'état. Ici sans doute il y a contraste: mais ce contraste est précisément le même que nous avons déjà remarqué entre le territoire et la ville. Le territoire, c'est-à-dire l'ensemble des champs et des propriétés foncières, nous donne la mesure rigoureuse de l'extension possible de la classe agricole, puisqu'une certaine quantité de terre est la condition nécessaire de l'existence de tout cultivateur. La ville au contraire, a en réalité pour population à elle propre tout ce qui n'est pas attaché à la culture et dispersé dans les champs (1). Son étendue répond donc à la quantité de bras industriels ou de consommateurs oisifs qu'elle renferme. Ainsi quand le territoire est restreint et la ville considérable, cette dernière population l'emporte d'autant sur la première; et par conséquent les dimensions de l'ancienne Rome, comparées à celles du pays qu'elle possédait démontrent par le fait même et pour ainsi dire matériellement l'état de choses que viennent de nous réveler les témoignages historiques.

Que cet état de choses, si contraire aux idées reçues, soit possible à expliquer ou non, c'est ce que nous pourrons

(1) Sans doute quelques cultivateurs peuvent habiter la ville; mais ce ne sont que ceux dont les champs avoisinent ses murailles, puisque les terres un peu éloignées exigeraient un déplacement trop considérable. Combien y a-t-il de cultivateurs à Bruxelles ou à Gand? Combien à Paris ou à Londres?

examiner ailleurs; mais dès qu'il semble constant nous devons l'admettre, fut-il inexplicable car nous n'avons pas le droit d'opposer notre étonnement et la faiblesse de nos lumières aux monuments de ce passé que nous comprenons encore si peu. Nous nous contenterons donc ici de poser en fait la force numérique de la population industrielle de l'ancienne Rome: et par conséquent l'importance de ce deuxième élément dans l'état. Il est vrai que les chiffres, sur lesquels nous nous sommes appuyés pour arriver à ce résultat, peuvent encore être attaqués. Mais l'examen des proportions de la cité de Servius, et de l'ordre établi par ce roi, va nous fournir d'autres bases de calcul, dont le rapport avec ces nombres prouvera complètement leur valeur réelle.

CHAPITRE QUATRE.

NOMBRE ET COMPOSITION DES CLASSES ET DES CENTURIES; RAPPORT DE LEURS ÉLÉMENTS AVEC CEUX DE L'ARMÉE; PETITE BOURGEOISIE FORMANT LA CINQUIÈME CLASSE.

Quoique nous ayons pu jusqu'ici fonder nos assertions sur des faits presque tous bien constants, les données numériques que nous avons recueillies, semblent, au premier coup-d'œil, ne pas offrir la même certitude. En effet, quoi de plus difficile à vérifier que l'exactitude de dénombrements opérés il y a 24 siècles, et dont le chiffre semble ne plus s'appuyer sur rien? En vain citerions nous le témoignage des trois écrivains qui rapportent à peu près de la même manière le résultat du census de Servius Tullius; les tables censoriales que l'un d'eux invoque comme preuve n'existent plus et l'on peut en contester l'authenticité. Les sceptiques paraissent donc avoir le champ libre ici, et leurs dénégations peuvent être audacieuses en l'absence des monuments que le temps a détruits.

Mais à côté des dénombrements il nous reste encore d'autres chiffres qui indiquent les proportions de la cité à la même époque ce sont ceux des classes et des centuries établies alors par Servius. Ceux-là ne sauraient être révoqués en doute étant unanimement reconnus par tous les auteurs anciens comme la vieille base organique de l'état; et Niebuhr, quoiqu'il les torture étrangement, n'essaie point d'y porter atteinte.

Or, quoique toute classification de la population n'en indique pas nécessairement le nombre, il y a d'ordinaire quelque rapport entre ces deux genres de documents. La division établie à Rome constituant une certaine quantité de classes et de centuries, se fonde nécessairement sur la connaissance acquise du chiffre

total des habitants, et c'est là en effet ce que nous atteste l'histoire. De plus cette division est systématique car si l'on met hors de ligne les chevaliers et les pauvres, elle partage tout le corps de la nation d'après des nombres toujours décimaux assignant à chaque ordre de citoyens vingt, trente ou quatrevingt centuries, et comme ces nombres se trouvent répétés cinq fois, il est impossible de voir là un simple jeu du hazard. C'est évidemment un effort pour distribuer plus régulièrement la masse d'une population déjà existante. Il n'est donc pas douteux qu'il ne doive s'y trouver des vestiges de l'état des choses à cette époque.

Nous allons aborder avec confiance l'examen de ce document, dont les historiens n'ont peut-être pas encore tiré assez de parti.

Il partage d'abord la nation (moins les sénateurs) en trois grandes catégories : les chevaliers, les simples citoyens appelés à porter les armes, la plèbe. Les premiers se subdivisent en centuries anciennes et nouvelles (1): les seconds en cinq classes : les troisièmes paraissent ne former qu'un seul groupe (2). Chacun de ces corps a ensuite son organisation spéciale plus ou moins complètement indiquée par les auteurs qui nous ont conservé ce précieux monument.

Les chevaliers étaient (avec les membres du sénat) les plus riches des citoyens. Ils formaient en tout 18 centuries, non divisées en seniores et juniores, et par conséquent égales en nombre(3). Chacune est compté pour cent têtes par les historiens (4):

(1) Voyez sur leur composition le deuxième chapitre de l'excellent mémoire de Mr le professeur Roulez, dans le Xe volume des Mém. de l'Ac. de Bruxelles.

(2) J'omets à dessein les 4 centuries additionnelles de charpentiers, de cornets, etc. qui ne rentrent pas dans l'ordre général. Je ne connais point d'exemple de leur intervention active à l'armée ni au Forum. Je n'oserais donc prononcer sur leur role mais je les crois tirées de la dernière classe.

(3) L'on se rappelle que les juniores étaient deux fois plus nombreux que les seniores. Il y avait donc inégalité de composition entre les centuries quand une moitié d'entre elles renfermait les jeunes gens et l'autre les vieillards.

(4) Dès le temps de Romulus les 300 celeres forment trois centuries équestres. Sous Tarquin l'ancien il y avait 1800 chevaliers (TITE-LIVE, I, 39. Cicéron, de republica, II, 20, dit 1300, mais c'est évidemment par omission du chiffre D)

ce qui porte le nombre total, sous Servius Tullius, à 1800 chevaliers jeunes et vieux. D'après le rapport ordinaire ce nombre donnerait 1200 jeunes gens aptes au service; mais il existe ici une exception. Trois cents hommes faits étaient tirés des centuries équestres pour prendre place au sénat (1), et par conséquent diminuaient d'autant le chiffre des vieux chevaliers. Ainsi sur dix-huit cents têtes que contenaient ces centuries, quatorze cents devaient appartenir en réalité à des juniores, tandis que les quatre cents autres, avec les anciens chevaliers devenus sénateurs, représentaient la proportion naturelle des vieillards.

Quelques détails prouveront l'exactitude de ce calcul. On a vu que la levée annuelle était de 800 chevaliers (200 par légion). Mais il faut remarquer que ce nombre de 800 n'est pas tout-à-fait rigoureux. En réalité l'élément organique de la cavalerie était la turma de 27 cavaliers, 3 décurions et 2 officiers (en tout 32 hommes). Il n'y avait que six turmes dans les 200 chevaux, et par conséquent le nombre des combattants était de 192 par légion, ou 768 pour les quatre légions réunies. Ce chiffre une fois connu, nous devons pouvoir en déduire rigoureusement la totalité des jeunes chevaliers. Car il faut qu'il représente quatre vingt-neuvièmes de ceux-ci, puisque, comme nous l'avons vu, la levée pour quatre légions représenterait seize vingt-neuvièmes (2). Or, si nous cherchons le vingt-neuvième de 1400, nous trouverons 48; et quatre fois 48 font en effet 192. Il est donc évident que notre méthode nous a conduit à un résultat véritable.

que ce prince voulait former en nouvelles centuries. Arrêté dans l'exécution de ce dessein par l'augure Nævius, il légua son œuvre à Servius, dont les 18 centuries sont évidemment les 1800 chevaliers de son prédécesseur. Ce nombre résulte d'ailleurs, comme nous allons le voir, du contingent annuel de la cavalerie.

(1) Les jeunes Patriciens servant dans la cavalerie, passaient par les centuries équestres avant d'entrer au sénat. Je crois que dans le principe les 300 sénateurs avaient été les seniores des 600 chevaliers nobles.

(2) Les chevaliers eurent plus tard le privilège de ne faire que 10 campagnes : mais cette exception ne peut s'appliquer aux temps de la monarchie.

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