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BELGISCH MUSEUM,

PUBLIÉ PAR M. J. F. WILLEMS (1).

Nous avons déjà annoncé l'apparition de ce journal littéraire et historique, et nous avons applaudi à la pensée qui a présidé à sa fondation. Nous apprenons avec plaisir qu'il a été accueilli par le public avec la plus grande faveur, et que l'on peut regarder son existence et sa prospérité comme assurées. Un recueil de ce genre manquait à la littérature flamande : l'empressement avec lequel il a été reçu est une preuve de l'attachement éclairé de la plus grande partie de nos concitoyens pour la langue et l'histoire de leur pays.

La livraison que nous avons sous les yeux contient : un mémoire sur l'origine de la langue flamande; un essai sur les dialectes usités en Belgique; un morceau lyrique sur le doyen Anneessens; quelques fragments d'anciens poèmes flamands, et plusieurs pièces historiques inédites. Ces divers morceaux sont placés sans ordre: nous parlerons d'abord des derniers.

Les pièces inédites communiquées ici au public sont écrites en flamand. Deux d'entre-elles nous ont frappé par leur importance; ce sont un formulaire de procédure de l'an 1300 ou à peu près, et l'accord fait par les députés de la Flandre avec Jeansans-Peur, lors de son inauguration en 1405. Tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la Flandre et de ses belles institutions, sauront gré à l'éditeur du Belgisch Museum d'avoir publié

(1) Belgisch Museum, voor de nederduitsche tael en letterkunde, etc. Gand, chez Gyselynck, 1837.

ces documents jusqu'alors presque inconnus et qui méritent d'être étudiés. Mais quelques lecteurs peut-être penseront qu'il eut rendu à la science un service plus complet, en ajoutant un commentaire, au moins aux passages les plus remarquables du formulaire qu'il a retrouvé (1). L'on pourrait également regretter que M. Ph. Blommaert, auquel est due la publication de l'accord entre les députés de Flandre et Jean-sans-Peur, n'ait joint à cette pièce si intéressante qu'une notice de peu d'étendue. Ce n'est pas assez que nos savants recueillent ainsi de riches matériaux pour l'histoire; il est à désirer qu'ils nous montrent eux-mêmes quel usage l'on doit en faire, et que leur modestie ne nous prive pas d'une partie des fruits de leur science.

Quelques mots suffiront pour faire connaître la variété et l'excellent choix des morceaux de littérature que renferme ce numéro. Rien n'est plus curieux que l'échantillon de dialecte bruxellois présenté par M. Willems, et le vieux recit du combat à coups de baton des champions de Brabant et de Liége. Un recueil de dictons et de proverbes rimés rassemblés par l'éditeur a plus d'intérêt encore à nos yeux, puisqu'il semble donner à la Belgique le droit de s'attribuer une part dans l'un des plus riches trésors de l'ancienne littérature allemande (le Fridank), et que nous y retrouvons le style et l'esprit de nos ancêtres. Enfin les beaux vers de M. P. Van Duyse, sur le doyen Anneessens, sont dignes de la grandeur du sujet et de la brillante réputation que s'est déjà acquise ce jeune poète.

Quand ce serait là tout le contenu de cette première livraison, elle passerait encore à bon droit pour remarquable : mais il nous reste à parler du morceau capital, le mémoire de M. Willems, sur l'origine, le caractère et la formation de la langue flamande. Ce beau travail, dont nous n'avons encore sous les yeux que la première partie, est destiné à combler

(1) Il est vrai que ce morceau a été communiqué à M. le professeur Michaëlis, de Tubingue, qui prépare un grand ouvrage sur l'ancien droit des Pays-Bas, et c'est apparemment pour ce motif que M. Willems s'est borné à en publier le texte avec quelques notes purement grammaticales.

une des grandes lacunes de notre histoire et de notre littérature. L'auteur, si bien connu par l'étude profonde qu'il a faite de la langue de nos pères, ne s'est pas borné à en déterminer les caractères et en à développer le système : il remonte jusqu'à son origine et nous montre dans le flamand non pas un langage nouveau, particulier à nos provinces, et formé de la corruption et de l'abatardissement de l'idiome antique des Germains, mais une branche de la langue la plus ancienne et la plus étendue de l'Allemagne. C'est un dialecte du bas allemand, c'est-à-dire de l'allemand du nord, parlé principalement par les peuples de la race saxonne. Il nous assigne donc notre place en Europe, non comme à une tribu isolée de toutes les autres, mais comme à l'une des nations de la grande famille germanique qui ont le moins dévié de la ligne primitive.

Cette vérité admise, et il serait difficile de la nier quoique M. Willems n'en ait peut-être pas réuni autant de preuves qu'en eut comporté un travail d'une plus grande étendue, comment s'expliquer l'isolement où nous nous trouvons de nos anciens frères d'outre-rhin? Ce n'est point nous qui avons subi une métamorphose, et quoique jadis la domination romaine ait changé le langage et les mœurs des anciens Nerviens, Tongres et Trévires, les populations du nord de la Belgique ont fidèlement gardé leur langue et leur caractère. Placées comme à l'avantgarde des races allemandes, elles ne se laissèrent ni envahir, ni modifier par des influences étrangères; et tant que l'Europe resta fractionnée en petits groupes ou en masses inertes, nos provinces flamingantes purent, dans leur isolement local, ne pas songer à s'appuyer sur la mère-patrie, et se contenter des produits de leur civilisation propre, longtemps la plus avancée de toutes. Ainsi se forma leur individualité, alors grande et glorieuse. Mais plus tard lorsqu'un mouvement général de progrès se fut manifesté partout et que la France, l'Angleterre et l'Allemagne virent successivement fleurir des littératures non plus provinciales mais nationales, expression et produit de l'intelligence et de la civilisation des races entières, toute petite

population isolée fut condamnée à une infériorité inévitable, lors même que, comme les Hollandais, elle jouit d'une opulence excessive qui donna à ses écrits une circulation proportionnellement très-étendue.

L'ère nouvelle qui s'ouvrit alors nous trouva séparés de tous nos voisins par la domination espagnole, et n'ayant presque plus de relations avec l'Allemagne du nord que détachait de nous l'adoption d'une autre religion, et d'une langue différente, toutes deux introduites par Luther. Ainsi la double influence de cet homme, changeant à la fois les sympathies et le dialecte de nos anciens frères, nous laissa placés peut-être pour jamais en dehors de l'union des nations de notre sang, et réduits ou à rester en arrière du progrès général, à cause de l'étroitesse de notre sphère, ou à suivre l'impulsion et l'ascendant de nos voisins du midi. Telle est la destinée à laquelle a obéi la Belgique flamingante, et il est à craindre que tous les efforts de ceux qui comme M. Willems luttent contre cette triste loi d'abjuration de la vieille nationalité littéraire, ne soient désormais impuissants pour résister à la force des choses.

Néanmoins, tout en pensant que l'usage de la langue fran çaise doit s'étendre de jour en jour parmi nous, et nous associer de plus en plus au mouvement européen, nous regardons comme une noble tache celle des hommes qui cultivent la langue de nos pères, la langue parlée dans le pays et qui sera pendant des siècles encore celle du peuple flamand. Ils remplissent une double mission de nationalité et de civilisation, d'autant plus glorieuse en réalité qu'elle semble aspirer à moins d'éclat. Nous voyons avec plaisir que les savants étrangers ne sont point indifférents à ces généreux efforts de nos littérateurs; quant à l'estime de leurs compatriotes elle leur est acquise depuis longtemps, et l'accueil qu'a reçu le Belgisch Museum en est une preuve éclatante.

H. G. MOKE.

RÔLE DE HENRI DE GAND

DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSophie scolastique et de l'université

DE PARIS (1).

A toutes les grandes époques de l'histoire, la Flandre a fourni son contingent d'hommes remarquables et pris sa part d'illustration; quelquefois même on a vu ce petit pays marcher à la tête de la civilisation européenne. Le moyen-âge surtout fut pour la Flandre une ère de splendeur. Tandis que l'industrie et le travail élevaient les habitants des villes au bien-être, à la richesse, à la liberté, la noblesse féodale trouvait en Orient de la gloire et des couronnes : les guerriers flamands étaient assis sur les trônes de Jérusalem et de Constantinople. Dans le même temps, le génie des sciences et des arts versait sa féconde influence sur ces heureuses contrées. On connaît les admirables productions de l'école flamande, et la gloire a consacré les noms de ses grands maîtres. Dans les travaux et les luttes de l'intelligence, la Flandre eut aussi des représentants dignes d'elles, et au premier rang on doit placer le célèbre HENRI GOETHALS, surnommé le Docteur Solennel, et plus particulièrement connu sous le nom de Henri de Gand.

Henri appartient à l'époque la plus florissante de la philosophie du moyen-âge, de cette scolastique, tant décriée par les derniers siècles, et vers laquelle notre âge commence à tourner

(1) Cet article est un fragment de l'ouvrage que M. Huet se propose de publier sur la vie, les ouvrages et la doctrine de notre célèbre compatriote. (Note de la Direction.)

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