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le malheureux qui n'a pas quinze francs à donner au fisc, expiera sa pauvreté par quinze jours de prison. Il faut convenir que de pareilles lois sont de singuliers commentaires de l'article de la constitution qui proclame l'égalité devant la loi.

Le Code pénal viole les notions les plus simples de l'équité et de la justice, et même de l'intérêt. Le délinquant qui a subi sa peine n'est plus que malheureux, une détention prolongée pour amende et frais de jugement, en aggravant sa misère, le frappe d'un funeste découragement, sans avantage pour le fisc, et au grand préjudice de la société.

La législation pénale est plus arbitraire encore dans ses dispositions sur les réparations civiles dues à la partie lésée.

L'exécution des condamnations aux dommages-intérêts et aux frais peut être poursuivie par la voie de la contrainte par corps (1). Le droit du créancier dans ce cas n'est soumis à aucune restriction, il est illimité. Pourquoi la loi est-elle ici plus rigoureuse qu'en matière civile ordinaire? On en chercherait en vain la raison. Les dettes qui résultent des réparations accordées par les cours d'assises, les tribunaux correctionnels ou de simple police, sont des dettes purement civiles. La justice publique une fois satisfaite, il n'y a plus rien de pénal dans les dispositions des jugements que rendent les tribunaux de répression.

Le Code pénal prête aux applications les plus absurdes et les plus révoltantes. Un homme est condamné pour vol à une année d'emprisonnement et à 100 francs de dommages-intérêts envers la partie lésée; à l'expiration de sa peine, il peut être recommandé par son créancier et détenu pendant toute sa vie; il ne recouvrera sa liberté que s'il a le bonheur d'atteindre dans la prison sa 70° année. Ainsi pour la condamnation principale, dans l'intérêt de la justice, un an de prison suffit ; pour la condamnation accessoire, dans l'intérêt de la vindicte privée, il faut toute une vie de souffrances!

(1) Code pén., art. 52.

Je voudrais pouvoir dire que la loi seule est injuste, barbare; malheureusement il s'est trouvé au dix-neuvième siècle, et en Belgique, un créancier qui s'est chargé de son application. Voici le fait :

Un pauvre journalier fut condamné par un tribunal correctionnel à quelques jours de prison et à trois francs de dommages-intérêts. La partie civile le fit contraindre par corps. Le malheureux travailla pour racheter sa liberté, mais les frais d'emprisonnement, les frais de nourriture enflèrent démésurement la dette: il ne put ramasser après plusieurs années de travail, qu'une somme de quelques centaines de francs, il l'offrit, le créancier la refusa, et réclama son paiement intégral: en 1836 cet infortuné était détenu depuis quatre années; je ne sais s'il a amassé depuis la somme nécessaire pour satisfaire son créancier. Et ce créancier est un millionnaire! ce créancier est une femme!

Où trouver des expressions pour qualifier une loi qui autorise, qui protège de si horribles atrocités?

Il me reste à parler de la loi sur les étrangers. Ceux qui connaissent l'esprit des lois françaises sur les étrangers, ne seront pas étonnés de la rigueur excessive de la loi de 1807.

La législation de l'empire semble procéder directement de la loi des douze tables: in hostem perpetua auctoritas; l'étranger est un ennemi, et il est traité comme tel. L'étranger ne jouit d'aucun droit civil; le droit d'aubaine, flétri par Montesquieu et par l'Assemblée Constituante, est rétabli au profit des regnicoles. La liberté de l'étranger est sacrifiée en matière civile aux intérêts des particuliers, comme elle l'est en matière politique à l'arbitraire ministériel. Le gouvernement peut expulser l'étranger, fût-il lié à la France par tous les liens que créent les intérêts et les affections. Le Français peut faire emprisonner l'étranger, sans qu'il ait aucun titre de créance, avec la simple autorisation du président d'un tribunal.

En matière civile la législation n'admet pas la contrainte par corps, parce qu'elle préfère la liberté à l'intérêt privé la loi

de 1807 met l'intérêt pécuniaire du français au-dessus des droits les plus sacrés de l'homme. L'indigène ne peut être emprisonné que pour une dette excédant 300 francs; contre l'étranger la contrainte peut être prononcée, quelque minime que soit le montant de la dette. L'article 1er de la loi de 1807, est d'un laconisme qui nous rappelle encore la législation décemvirale : « Tout jugement de condamnation qui interviendra au profit « d'un Français contre un étranger non domicilié en France « emportera la contrainte par corps. »

Il est une exception que l'on s'attendrait du moins à trouver dans la loi celle en faveur des septuagénaires. Il semble que la vieillesse est pour l'étranger ce qu'elle est pour le Français, la faiblesse et les infirmités de l'âge devraient recevoir partout les mêmes égards. Si le législateur ne croit pas pouvoir accorder aux étrangers les mêmes droits qu'aux nationaux, au moins ne devrait-il pas les traiter avec inhumanité. C'est ce que fait cependant la loi de 1807 : l'étranger emprisonné pour dettes ne sort de la prison que pour entrer dans la tombe.

La loi a poussé la violation des droits de l'étranger jusqu'au mépris. L'étranger peut être arrêté provisoirement, sans jugement, sur une simple ordonnance du président. Cette arrestation ne devrait être, d'après l'esprit et le texte de la loi, que provisoire. Mais le législateur dans son indifférence a oublié de déterminer un délai dans lequel le créancier doit exercer sa poursuite après qu'il a obtenu l'arrestation de son débiteur. Il résulte habituellement de cette omission que la durée de la détention provisoire se prolonge d'une manière indéfinie, car le créancier n'a aucun intérêt à faire condamner son débiteur incarcéré, et celui-ci est le plus souvent privé des moyens de se pourvoir en justice. Cette prétendue arrestation provisoire dégénère donc de fait en emprisonnement illimité (1).

Me voilà enfin arrivé au terme de l'examen des vices de notre législation, et je ne suis pas sûr d'avoir épuisé la matière.

(1) PORTALIS, Rapport.

Certes personne ne niera la nécessité d'une réforme; mais les avis seront sans doute partagés sur les moyens. La question capitale qui s'élève est celle du maintien de la contrainte par corps. L'emprisonnement pour dettes est-il compatible avec notre état social, avec les principes de notre droit public? est-il nécessaire? Je pense que la question doit être résolue négativement: j'essaierai de le démontrer dans un prochain article.

F. LAURENT.

JACQUES VAN ARTEVELDE.

SITUATION De la flandrE A SON AVÈNEMENT. HISTOIRE DES SIX

PREMIERS MOIS DE SON ADMINISTRATION.

JACQUES VAN ARTEVELDE est sans contredit le personnage le plus fameux de l'histoire populaire des Flandres. Depuis quelques années surtout, des écrivains français et allemands, anglais et italiens, hollandais et belges, légitimistes et républicains se sont occupés de lui; mais leurs écrits ressemblent, à quelques exceptions près, à des pamphlets politiques, malgré les titres historiques qu'ils portent en tête.

A en juger d'après le langage passionné de ces auteurs, on serait tenté de croire qu'il s'agit de quelque victime encore palpitante, de quelqu'infortune contemporaine. Cependant les cendres de Van Artevelde sont froides depuis cinq siècles; dix-sept générations ont passé sur sa tombe vénérée, ou sur le lieu infâme où son cadavre devint la pâture des chiens et des corbeaux.

Toutefois cette préoccupation s'explique quand on songe que Van Artevelde est le type d'un parti politique encore existant, l'expression d'une époque qui ressemble à la nôtre, le créateur d'un système social dont on craint ou désire la réalisation. Ajoutons à celà que le citoyen (poorter) Jacques n'est connu que par le succès immense des idées nouvelles qu'il a mises en circulation. L'incertitude qui enveloppe d'un voile épais tous les détails de sa vie privée laisse le champ libre à l'esprit romantique qui l'exploite.

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