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partie disciplinaire du Christianisme avec la partie dogmatique, le cérémonial avec la doctrine, ce qui peut venir de l'homme avec ce qui est divin. La discipline a varié, et il était impossible qu'il en fût autrement. Mais on doit reconnaître encore que ces variations n'ont été ni étendues, ni fréquentes, ni surtout contradictoires.

La perfection immuable du Christianisme se concilie admirarablement avec la loi du progrès, qui doit régir la société. Qu'est-ce que le progrès? C'est la tendance vers le bien. On aperçoit ce qui manque à une situation, l'on conçoit une situation meilleure, et l'on veut passer de l'une à l'autre; telle est la condition même du progrès. Cela suppose que l'on possède une règle pour juger ce qui est défectueux et ce qui ne l'est pas. Et cette règle, que peut-elle être, sinon l'idée même de la perfection, à laquelle on compare tout ce que l'on veut changer et améliorer. Le progrès n'est donc que l'ensemble des efforts tentés pour réaliser l'idée de la perfection; il suppose donc cette idée vivante dans la société; sans quoi la société n'aurait ni le sentiment de ce qui lui manque ni le désir d'un état meilleur. Cette idée suprême est immuable de son essence; c'est l'astre tutélaire qui dirigera toujours la course de l'humanité vers la conquête des perfections particulières dont notre nature peut être ornée. Il est d'ailleurs trop évident que si le but devait changer, s'il ne demeurait pas toujours le même, on ne saurait jamais déterminer si l'on est ou non dans la voie droite; on marcherait sans direction; il n'y aurait aucune continuité dans le progrès, il n'y aurait aucun progrès. Le Christianisme, précisément par ce qu'il est parfait, devient la condition du perfectionnement social, outre que par sa partie disciplinaire, il se prête, autant qu'il est nécessaire à la faiblesse humaine, aux divers besoins particuliers des temps et des lieux. La discussion neuve et précise dans laquelle l'auteur arrive à ce résultat intéressant, complète ce qu'il a dit dans la première partie de son ouvrage, sur la doctrine du progrès enseignée de nos jours, et la remplace par une théorie plus ferme, plus claire, plus rationnelle.

Enfin M. Sénac, pour dissiper tous les nuages, élevés récemment autour de la religion chrétienne, s'efforce de prouver qu'elle n'est point un système d'éclectisme, une fusion entre toutes les doctrines de l'Europe et de l'Asie, un résumé de toutes les vérités qui avaient eu cours dans le monde avant la venue du Christ. C'est une question curieuse et intéressante de rechercher jusqu'à quel point les grandes vérités sur Dieu, sur la nature et sur l'homme, que l'enseignement chrétien fait briller d'une admirable et pure lumière, ont été connues dans les écoles philosophiques de la Grèce ou montrées de loin sous les symboles de l'antique Orient. Mais là n'est point la cause du Christianisme. Quand il serait prouvé que quelques esprits d'élite avaient aperçu la vérité spéculative, voilée à tous les autres regards, quand même la science des Indous serait aussi profonde qu'elle le paraît à l'enthousiasme factice de l'érudition, il resterait toujours un résultat merveilleux et tout-à-fait nouveau, accompli par le Christianisme seul : c'est d'avoir appelé tous les hommes à la connaissance de la vérité, en brisant les barrières des écoles et des temples; c'est surtout d'avoir rendu la vérité pratique, d'avoir soulevé le poids de corruption sous lequel le monde entier gémissait; là est l'empreinte d'une force surhumaine, et la marque d'une mission divine. C'est par ces considérations que M. Sénac termine l'ouvrage dont nous venons de présenter une faible esquisse.

Personne ne contestera l'importance des matières traitées par l'auteur. Elles sont d'un intérêt imminent pour notre âge, qui ne peut sans péril demeurer dans l'état de transition où nous le voyons se débattre; car le doute qui se prolonge est un présage de mort. La solution présentée par l'auteur a du moins l'avantage de concilier deux intérêts bien chers, deux idées que l'on n'abandonne point lorsqu'on leur a juré foi et hommage. Allez dire aux hommes placés en dehors du culte chrétien, mais qui se sont fait une religion du dévouement à l'humanité, qui se plaisent à voir dans l'avenir et à préparer dans le présent, l'alliance de sa dignité et de son bonheur, allez dire à ces

hommes qu'il faut immoler tous ces sentiments sur les autels du Christ, ils vous répondront: arrachez-nous les entrailles, mais ne nous proposez pas l'apostasie de nos saintes convictions. D'un autre côté, que l'on étale sous les yeux du chrétien, comme autrefois sous ceux de son divin maître, toute la pompe du monde, toutes les splendeurs de la civilisation, toutes les merveilles de la terre, à la condition d'y concentrer son cœur, le chrétien levera les yeux au ciel, et son esprit s'élancera vers la patrie invisible. Il opposera avec orgueil, à l'équivoque expérience de quelques années, dix-huit siècles de bienfaits et de gloire.

C'est donc une grande et noble pensée qui a inspiré l'auteur du Christianisme considéré dans les rapports avec la civilisation moderne. Il y aurait de la petitesse et de l'injustice à étendre sur une pareille production la règle étroite des partis, ou de reprocher à l'auteur quelques accents un peu belliqueux qui s'échappent parfois à travers ses idées et son langage: lorsque l'erreur s'est fait un trône dans l'opinion des hommes, ne faut-il pas au besoin combattre et renverser?

Toutefois, nous ne croyons pas, et cela n'est nullement désirable, que le point de vue de l'auteur soit admis sans contestation. L'harmonie complète, l'union indissoluble du Christianisme et de la civilisation moderne, paraît sans doute un résultat digne de tous les vœux. Mais lorsqu'un problème aussi grave est posé, l'on conçoit l'examen et la discussion; on en éprouve le besoin peut-être. Rendons justice au beau et consciencieux travail de M. Sénac, à la fermeté, à la grandeur de ses vues, à la franchise de ses attaques. Mais M. Sénac doit souhaiter lui-même qu'une polémique large et féconde s'engage sur ces hautes questions. Car c'est au temps à murir la vérité semée par la main de l'homme.

FR. HUET.

DE LA LÉGISLATION

SUR LA CONTRAINTE PAR CORPS.

PREMIER ARTICLE.

POUR pénétrer l'esprit d'une législation, il est souvent nécessaire d'en rechercher l'origine, la signification primitive. Les lois civiles et politiques se modifient avec les mœurs; sans le secours de l'histoire il serait difficile ou impossible d'en comprendre le sens et la portée. Il est des institutions que l'on considère comme nécessaires, parce qu'on les rencontre chez tous les peuples; on a perdu de vue leur but originaire; elles existent et on leur trouve des raisons d'existence; si l'on remontait à leur source, on serait étonné de voir, qu'elles se lient à un ordre de choses tout-à-fait différent de notre état social, et qu'elles sont en contradiction avec l'esprit, le droit public, les mœurs de notre époque.

Il en est ainsi de l'emprisonnement pour dettes. A entendre nos praticiens, il semble que la contrainte par corps est inhérente à notre société, indispensable au commerce; ils taxent d'utopistes et de rêveurs ceux qui en proposent l'abolition. Mais si nous remontons à l'origine de l'emprisonnement pour dettes, nous voyons qu'il se confond avec l'esclavage qu'il est un débris de la servitude, que le prétendu intérêt du commerce n'est qu'un préjugé au moyen duquel on défend une institution, qui a survécu aux causes qui lui ont donné naissance. Je vais donc rechercher ce que la contrainte par

corps a été dans son principe; je la suivrai dans ses transformations; j'examinerai l'état actuel de notre législation, enfin j'essaierai de démontrer qu'elle est contraire à la liberté individuelle et à la morale, et inutile au commerce.

S. I.

DE LA CONTRAINTE PAR CORPS CHEZ LES PEUPLES DE L'ANTIQUITÉ.

La contrainte par corps a existé chez tous les peuples de l'antiquité: on la trouve, sous la forme de l'esclavage, chez les Hébreux, les Athéniens, les Romains.

D'après le droit mosaïque le débiteur obligeait sa personne et ses biens; s'il n'acquittait pas sa dette, il était vendu par autorité de justice, ou adjugé au créancier comme esclave; sa femme et ses enfants pouvaient être réduits en servitude avec lui: parfois le débiteur livrait sa famille pour conserver sa liberté (1). La contrainte par corps proprement dite, c'est-à-dire l'emprisonnement du débiteur comme moyen de le forcer à payer, était inconnue au droit mosaïque.

Telle est l'origine de la contrainte par corps: le débiteur donne en gage sa personne, son corps, sa liberté; cette obligation confère au créancier un droit positif, la propriété du débiteur insolvable: ce n'est que plus tard que l'emprisonnement, comme voie d'exécution, remplaça la servitude pour dettes. La même législation existait chez les Athéniens; le débiteur qui ne satisfaisait pas à ses engagements, devenait l'esclave du créancier, qui avait le droit de le vendre, même en pays étranger. Solon remarque que ces malheureux séjournaient quelquefois si longtemps sur la terre étrangère qu'ils oubliaient la langue de leur patrie. La misère de la classe pauvre provoqua la révolution qui mit Solon à la tête de la république. Accablés sous le poids de leurs dettes, les pauvres étaient réduits à

(1) Michaelis, Mosaiches Recht, T. 2 § 123, T. 3 §§ 147 et 148.

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