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partout les usages du négoce, et les procédés qui lui sont propres sont devenus généraux dans la ville, où selon nos historiens il aurait toujours été étranger.

CONCLUSION.

La concordance de ces indices avec ceux que nous avons exposés dans le mémoire précédent, paraît mériter d'être remarquée. Nous avions trouvé à Rome une grande population urbaine, placée dans l'impossibilité de vivre de l'agriculture ici nous appercevons un mouvement commercial et industriel qui doit exiger l'emploi d'une foule de bras non agricoles; et si l'état nous paraissait alors avoir réglé avec un soin minutieux la division des terres, nous le voyons maintenant intervenir avec la même énergie dans les opérations du négoce, et consacrer la sainteté de la vente et du prêt, comme celle de la propriété.

Le rapport des divers points, que nous avons cherché à faire ressortir ici, ne supplée sans doute pas aux lacunes qu'offre cette partie de l'histoire romaine: mais il semble cependant nous permettre d'en entrevoir les principaux traits. Ainsi la ville primitive, aux formes mythiques et au droit sacré, avait mis sous la garde des dieux le point où elle permettait à l'Etrusque de venir commercer avec les Latins. Ce premier marché s'étant aggrandi, tant par l'avantage du privilège dont il jouissait, qu'à la faveur des circonstances locales (la domination du Tybre), le commerce romain s'étendit jusqu'à la mer sous Ancus Martius. Un peu plus tard il attira à lui, par l'emploi de la force, joint à la supériorité de la position, toute la richesse du Latium et en partie celle de l'Etrurie, sous Tarquin l'Ancien et Servius Tullius. Alors il changea la forme de l'état, en substituant la distinction de la fortune à celle de la race. C'est peut-être de cette dernière époque seulement que date avec l'institution du cens la garantie de la vente

par le trésor, et le système de crédit qui en fut la conséquence et qui jeta des racines si profondes dans les mœurs et dans la constitution.

Si l'on cherche comment a dû cesser cette prospérité commerciale, l'on pourra reconnaître: 1° que le Latium parvint à se soustraire au monopole de Rome après l'expulsion de Tarquin le Superbe; 2° qu'à la même époque cessa la prépondérance des Romains sur les Etrusques; 3° que le marché de Rome ayant perdu de son importance par ces deux révolutions la population tomba dans cet état de souffrance des premiers temps de la république, auquel les conquêtes sur les Volsques mirent seules un terme en permettant d'employer à la culture les bras surabondants, révolution nouvelle qui changea la carrière de ce peuple, et qui mit les terres conquises à la merci des Patriciens, comme l'était le trésor public depuis l'expulsion des rois.

Si l'observation de ces faits a quelque importance pour nous, ce n'est point comme simple objet de curiosité, mais surtout parce qu'ils expliquent une marche politique anormale dans l'histoire des sociétés humaines. Rome après avoir passé immédiatement de l'état primitif à une constitution qui n'admet guère, comme les nôtres, d'autres bases de classification que la richesse, revient après les temps de la royauté, à la domination exclusive de l'aristocratie. Il y a là deux phénomènes : d'abord un progrès subit et presque monstrueux: puis un retour inattendu et difficile à comprendre. Les histoires que nous possédons ne nous indiquent plus les éléments qui ont causé cette double révolution ces vestiges que nous venons de réunir semblent l'expliquer. C'est le commerce qui, en se développant, avait d'abord détruit le gouvernement aristocratique, résultat inévitable de l'état purement agricole: c'est la destruction du commerce qui ramène la domination des possesseurs du sol. Mais cette grande population agglomérée dans la ville par l'ancienne industrie (et que l'état agricole n'y eut jamais rassemblée), forte de son nombre, de ses besoins et peut-être de ses souvenirs,

:

se défend contre le patriciat avec une vigueur que la misère elle-même ne peut étouffer entièrement de là cette lutte des deux forces rivales que nous trouvons en présence dans les temps historiques.

En appliquant ces données à l'histoire du droit romain, l'on y remarquera aisément deux ordres d'institutions anciennes, les unes consacrant le privilège, repoussant la mutation, éternisant la famille, et formant l'ancienne base rude et âpre, mais solide et immuable de l'état; les autres déjà empreintes de l'esprit d'égalité, de libre échange, de dissolution des liens primitifs, produit de cette civilisation commerciale qui change le citoyen en homme. La combinaison de ces éléments antipathiques est la merveille de la cité romaine, comme aujourd'hui de la constitution anglaise, et autrefois de nos constitutions provinciales belges, quoique celles-ci ne soient jamais arrivées à leur maturité.

Le développement de ces idées générales ne nous occupera plus ici il exigerait des travaux de plus longue haleine, et pour lesquels il nous suffit d'avoir exposé de simples indications. Mais nous reviendrons dans un mémoire suivant au point de départ de la cité dont nous venons d'esquisser la première période de croissance.

H. G. MOKE.

LE CHRISTIANISME

CONSIDÉRÉ

DANS SES RAPPORTS AVEC LA CIVILISATION MODERNE;

PAR M. L'ABBÉ SÉNAC.

PARIS, 1837. LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN.

Au milieu du mouvement rapide qui emporte la société moderne vers des destinées inconnues et qui renouvelle tout dans les sciences, dans la politique, dans l'industrie, une seule institution reste immuable, une seule doctrine proclame qu'elle n'attend rien de la marche du temps; cette institution, cette doctrine, c'est le Christianisme. Jamais contraste plus frappant ne s'offrit aux regards de l'homme, jamais les théories du jour ne reçurent un démenti plus formel. Faut-il se hâter d'en conclure que le principe chrétien et le principe de la civilisation moderne sont incompatibles? Faut-il déclarer l'état de guerre, comme si le Christianisme devait nécessairement étouffer les lumières actuelles, ou s'évanouir devant leur clarté naissante? La conséquence est au moins prématurée, bien qu'elle se rencontre également sous la plume des défenseurs de la foi chrétienne et dans les écrits de ses adversaires. Une fausse analogie a pu entraîner les esprits. En général les plus ardents propagateurs des idées nouvelles se sont signalés par leurs attaques contre le Christianisme, dont ils apercevaient les principaux représentants à la tête de leurs adversaires politiques. Mais l'antipathie des hommes prouve-t-elle invariablement l'hostilité des

principes? L'antipathie des hommes peut reconnaître mille autres causes, et avant tout leur ignorance mutuelle, leur intérêt, et les préjugés de leurs différentes positions sociales. Juger les principes à une pareille épreuve, les faire dépendre du hasard des situations ou du caprice des individus, ce n'est pas seulement une erreur, c'est un attentat contre la vérité. Sur quelle base doit donc s'instruire le grand procès qui divise aujourd'hui le monde des intelligences? Qui se flattera de rester en même temps l'écho fidèle des besoins du siècle et l'interprète exact du Christianisme? Ce n'est pas du moins par de frivoles analogies, déguisées sous l'hyperbole de la déclamation, que l'on peut espérer de résoudre une question aussi importante que délicate, et celui-là seul mérite d'être entendu, qui, écartant toutes les circonstances extérieures, toutes les haines, tous les fanatismes, sait pénétrer jusqu'à l'essence même des choses, et dégager la vérité captive sous les apparences.

M. SENAC, embrassant le Christianisme dans ses rapports avec la civilisation moderne, sans dénaturer l'esprit de l'un ou de l'autre, et proposant un traité d'alliance sans concession honteuse d'aucun côté, nous semble, après tant d'essais infructueux, avoir enfin suivi la seule voie qui puisse conduire à la solution du problème. L'apparition d'un tel livre est un événement, et nous ne craignons pas d'avancer qu'il marque une ère nouvelle dans la série des apologistes chrétiens. Une méthode à la fois simple et féconde en a disposé toutes les parties; on y remarque surtout une unité de dessin, une vigueur de conception, fort rares dans les ouvrages de nos jours. Cette unité sévère de l'ensemble ne nuit point à la richesse des détails: théologie, histoire, philosophie, économie politique, sciences naturelles, industrie, beaux-arts, l'auteur remue tous les ordres d'idées avec une rare intelligence des systèmes et des tendances de l'époque. Le Christianisme (1) considéré dans ses rapports avec la civilisation moderne ne peut

(1) Il est inutile d'observer ici que pour l'auteur le seul Christianisme complet, c'est le catholicisme.

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