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DE LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT

ET DU JURY D'EXAMEN.

En s'élevant au rang de nation, la Belgique a vu s'ouvrir devant elle une ère nouvelle, une ère de prospérité et d'indépendance. Dès son admission dans la grande famille européenne, elle a reçu une somme de liberté plus forte, qu'aucun des peuples entrés depuis longtemps dans les voies constitutionnelles. Si l'on compare en effet le caractère éminemment libéral dont sont empreints son code politique, ses institutions législatives, provinciales et communales, avec ce qui existe d'analogue chez les autres peuples, on demeure convaincu que nulle part la liberté n'a poussé des rameaux aussi étendus, ni aussi multipliés. L'Angleterre même que nous avons l'habitude, assez mal fondée, de regarder comme le pays modèle, la terre classique de la liberté, l'Angleterre est loin d'offrir à ses habitants un système de garanties aussi complet, aussi bien entendu que Belgique. Que d'abus en tous genres, que de monstrueux privilèges se découvrent, lorsqu'on soulève ce voile d'or, ce vain éclat de richesses et de puissance qui les dérobe à des yeux inattentifs. Mais ce n'est pas ici le lieu de traiter un pareil sujet. Les libertés dont notre constitution a doté le pays sont telles, que l'on devrait craindre qu'il ne pût les supporter si depuis des siècles l'esprit libéral n'avait jeté des racines profondes dans les mœurs et les habitudes de ses habitants, qui ont conservé un souvenir bien vivace des franchises de leurs pères.

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Trois grandes libertés, dans l'ordre intellectuel, sont proclamées par notre constitution: la liberté des cultes, la liberté

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d'enseignement et la liberté de la presse. Leur exercice n'est soumis à aucune mesure préventive.

Les liens qui rattachent l'une à l'autre les libertés que nous venons d'énumérer, sont si intimes et si nombreux, que sous trois noms différents elles ne semblent former qu'une seule et même liberté. Isolée et privée du secours des deux autres, aucune des trois ne réunirait les conditions requises pour son existence, et chacune d'elles serait impuissante à réaliser les espérances que son nom aurait fait concevoir. Considérons par exemple la liberté des cultes. Cette liberté serait-elle entière, serait-elle autre chose qu'une illusion, si la liberté d'enseignement ne venait la soutenir et la compléter? Pour qu'un culte jouisse d'une véritable indépendance, suffit-il donc qu'il puisse célébrer sans contrainte ses cérémonies religieuses, avoir ses temples et ses ministres; ne faut-il pas aussi que les familles qui le professent, soient en état de donner à leurs enfants une éducation et une instruction conformes à leur croyance? Mais si la liberté des cultes ne subsiste qu'à condition que l'enseignement lui-même soit libre, la liberté de la presse ne lui est pas moins indispensable; car un culte doit pouvoir soutenir ses doctrines et repousser les attaques qui lui seraient adressées. On montrerait plus facilement encore les liens qui unissent la liberté de l'enseignement et la liberté de la presse, soit entre elles, soit avec la liberté des cultes. Enfin, si l'on veut y réfléchir, on se convaincra que ces diverses libertés ne sont que des corollaires, des traductions politiques et des applications d'un droit inhérent à la nature de tout être doué d'intelligence et de volonté, et ce droit est la liberté de conscience, entendue dans son acception la plus large.

Quoiqu'il en soit, l'enseignement libre est considéré à juste titre comme le bienfait le plus précieux qu'un peuple puisse recevoir, et il est en même temps le moyen le plus actif pour porter I'nstruction à son dernier développement, par la féconde rivalité qu'il établit entre les établissements privés et entre ceux-ci et ceux du gouvernement. Car l'État réclame aussi sa part

légitime d'influence, et l'on ne saurait prétendre que la liberté d'enseignement signifie l'absence d'une instruction publique. Ce serait faire perdre à ce principe son action bienfaisante, et justifier la crainte des partisans exclusifs de l'enseignement par l'État, que l'esprit de spéculation n'exploitât misérablement la confiance trompée des pères de famille. Aussi telle n'est pas la pensée de ceux qui veulent l'instruction libre; ils la veulent libre, parce qu'ils voient dans cette liberté la garantie de l'honneur et du repos des familles. Or, cette garantie, les pères de famille ne la trouveraient ni dans l'un ni dans l'autre de ces systèmes exclusifs. Quand l'enseignement est tout entier entre les mains de l'État, il n'y a plus pour les familles ni choix de personnes, ni choix de principes; elles peuvent se trouver dans la nécessité malheureuse de refuser l'instruction à leurs enfants, ou du moins de les priver du puissant mobile de l'émulation. Si au contraire l'instruction publique n'existait pas, la société et la science se verraient privées de garanties indispensables, comme nous le montrerons plus loin.

Dans cette grave matière, où tant d'intérêts sont en jeu, le législateur a un devoir impérieux à remplir; il doit veiller à assurer au pays l'instruction qu'il réclame, et à empêcher que jamais l'enseignement ne devienne entre les mains du gouvernement ou d'un parti un instrument politique.

Ce devoir a été compris chez nous, et de louables efforts ont été faits pour le remplir. Mais comme l'application du principe n'avait encore été tentée chez aucun peuple, les difficultés naissaient doublement ici, et de la nature même des choses, et de la nouveauté de l'entreprise.

Voyons comment le problème a été résolu, et jusqu'à quel point cette première tentative a été heureuse.

« L'enseignement est libre, toute mesure préventive est interdite, la répression des délits n'est réglée que par la loi. L'instruction publique donnée aux frais de l'État est également réglée par la loi.» (Art. 17 de la constitution.)

Cet article renferme deux dispositions distinctes, la première

reconnaît à chacun d'une manière absolue, le droit d'entrer dans la carrière de l'enseignement, et de répandre le bienfait de l'instruction, sauf à celui qui veut l'exercer à mériter l'estime du public et la confiance des familles; la seconde consacre le principe d'un enseignement aux frais de l'État, mais exige que l'organisation en soit réglée par la loi.

La sagesse de ces dispositions sera reconnue par tous les esprits sérieux. En effet, l'instruction qui a pour objet de développer dans l'homme les facultés morales et intellectuelles qu'il a reçues du Créateur, importe trop au bien-être de chacun et au bonheur de la société entière, pour que celle-ci ne doive pas s'efforcer constamment de la répandre parmi ses membres.

Il est donc à désirer qu'aux soins assidus d'un gouvernement éclairé viennent se joindre les efforts individuels, afin que toutes les forces sociales concourrent vers un but si utile. Notre constitution est allée sur ce point au-delà des espérances même les plus libérales, en écartant jusqu'aux mesures préventives que l'on avait jusqu'alors regardées dans tous les pays comme indispensables pour obtenir des conditions de moralité et de capacité. Cependant il était impossible que la société restât entièrement désarmée en face des spéculations particulières : si l'instruction est une dette sacrée, en abandonner l'acquittement au hasard ou à l'arbitraire de l'intérêt privé, eût été un crime envers la nation et envers la science, dont on eût compromis les destinées.

Il pourrait se faire en effet que l'enseignement, à un degré quelconque, manquât tout-à-fait au pays, et de cette possibilité seule découle la nécessité absolue d'une instruction donnée par l'État, sous le contrôle suprême des représentants de la nation, juges naturels de la forme et de l'extension que doit prendre cet enseignement. Que l'on juge, en effet, du sort précaire où se trouverait réduite l'instruction, si elle était remise tout entière entre les mains de particuliers sans caractère et sans mission. Ne voit-on pas que la spéculation en fait d'enseignement ne se porterait que sur les branches productives qui

conviennent au grand nombre, et que plusieurs des services publics et les parties les plus élevées de certaines sciences, courraient le risque d'être sacrifiées, à cause des dépenses considérables qu'ils nécessitent et que ne pourrait couvrir le produit de l'enseignement. On comprendra au reste que ces réflexions qui s'appliquent dans toute leur rigueur à l'enseignement privé, atteignent aussi l'enseignement qui serait établi par les villes, bien que l'on puisse déjà considérer celui-ci comme une espèce d'instruction publique; mais il manquerait évidemment de fixité, et s'opposerait par sa nature même à toute vue d'homogénéité et à une direction générale et commune, seule capable d'en assurer le succès.

Outre l'établissement d'une instruction de l'État, d'autres dispositions, insérées dans la loi sur l'enseignement supérieur, le seul qui soit encore organisé, prouvent que l'on a senti le besoin de défendre la société contre l'abus d'une liberté sans frein et que le législateur n'a point décrété l'anarchie.

C'est ainsi que des conditions particulières ont été imposées à ceux qui aspirent aux carrières libérales et scientifiques, pour lesquelles le secours du haut enseignement est nécessaire.

« Nul ne peut pratiquer en qualité d'avocat, de médecin, « de chirurgien, d'accoucheur, s'il n'a été reçu docteur confor« mément aux dispositions du chapitre I du présent titre. » (art. 65.)

Cette disposition limite, comme nous venons de le dire, la liberté, mais consacre une mesure conservatrice des intérêts les plus précieux. Nous la trouvons établie chez tous les peuples régulièrement constitués.

Dans les Etats-Unis d'Amérique, en Angleterre et dans le reste de l'Europe, la société s'est armée de garanties pour empêcher que les professions d'avocat et de médecin ne fussent envahies par des hommes incapables et dénués des connaissances que leur état requiert. Partout on a soumis les candidats à des examens. En Prusse, après avoir obtenu les grades universitaires, ils doivent subir de nouvelles épreuves devant une

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