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sans nous faire illusion sur les difficultés et les périls de l'entreprise. Notre but est de créer un organe pour les travaux scientifiques exécutés en Belgique, et de favoriser par tous les moyens qui seront en notre pouvoir la direction des esprits vers de fortes études littéraires. Nous nous proposons de publier, sous forme de revue trimestrielle, des articles originaux, soit théoriques, soit critiques, sur des points importants d'histoire, de philosophie, d'économie politique, de philosophie du droit et de haute littérature. Les NOUVELLES ARCHIVES sont étrangères, par leur nature, à toutes les questions personnelles, et en général aux intérêts passagers qui s'agitent sur le théâtre mobile et changeant du monde politique. Toutefois notre journal, consacré à la défense des intérêts scientifiques, aussi bien qu'à la propagation de la science, sera ouvert à la discussion des principes et des institutions qui doivent régir à ses divers dégrés l'instruction publique en Belgique, aussi bien que des mesures proposées ou adoptées pour l'encouragement des sciences et des arts. Nous espérons que l'esprit de parti, ce germe de corruption qui attaque au cœur les choses même les plus saintes, ne se glissera jamais dans notre recueil, qui doit être comme un sanctuaire exclusivement réservé au culte de la science désintéressée et consciencieuse.

Nous pensons avoir fait suffisamment connaître quel est le but de la nouvelle entreprise que nous annonçons. Il nous parait superflu d'insister davantage sur ce sujet. Le public jugera bientôt si nos efforts ne sont pas trop indignes de l'œuvre grande et difficile à laquelle nous apportons le tribut de nos faibles forces. Mais nous avons besoin de le répéter en finissant: ce n'est point d'un seul coup et par une tentative isolée que l'on peut avoir la prétention d'opérer en Belgique une régénération intellectuelle. Ce que nous espérons faire pour notre compte, c'est d'indiquer la route qui nous parait la plus directe,

et d'y entrer avec dévouement, persuadés que beaucoup d'autres, et de plus habiles, ne tarderont pas à nous devancer dans la carrière. Qu'il nous soit donc permis de faire un appel à tous nos compatriotes, à tous les savants établis en Belgique. Nous espérons aussi que cet appel trouvera de l'écho parmi notre jeunesse studieuse, à laquelle il sera réservé d'accomplir l'œuvre commencée par les contemporains. Nous comptons enfin sur les suffrages de tous les hommes éclairés, qui savent tout ce qu'il y a de moralité profonde, de garantie véritable pour la société, pour la religion même, dans les études fortes et sérieuses. Ces concours, ces suffrages, ces sympathies, nous les réclamons, non pour nous, mais pour l'idée qui a présidé à notre entreprise. Qu'on marche avec nous ou à côté de nous, peu importe, pouvu qu'on tende au même but, pourvu qu'on parvienne au résultat, objet de tous nos vœux, qui est de créer en Belgique la seule littérature qui doive être nationale et puissante, une littérature fondée sur les deux bases inébranlables de l'histoire et de la philosophie.

ÉTAT DE ROME,

SOUS SES DERNIERS ROIS.

INTRODUCTION.

QUOIQUE depuis la renaissance des lettres, l'histoire ancienne ait été pour les savants l'objet des études les plus sérieuses et les plus constantes, il s'en faut de beaucoup qu'elle ait perdu son obscurité. L'on connaît à peu près ce qui s'est passé pendant les cinq siècles qui ont précédé immédiatement l'ère chrétienne; mais tout le reste, c'est-à-dire la formation des peuples, l'organisation des états, l'origine des institutions, en un mot toutes les causes créatrices, toutes les lois premières, demeure plongé dans une nuit épaisse. Longtemps même la science moderne ne chercha point à soulever ce voile et à découvrir les bases de ce monde écroulé, dont elle remuait les ruines: car l'on ne saurait considérer comme de l'histoire des notions vagues et incertaines, empruntées à la tradition sans choix et presque sans examen. Les écrivains même les plus érudits se bornaient à recueillir laborieusement cette série d'images héroïques, dont les anciens peuples comme les anciennes familles avaient décoré leur généalogie: ils admettaient avec une foi robuste tout ce qu'avaient répété ou inventé les poëtes: et dans ces légendes presque toujours informes ils prétendaient faire voir l'origine des cités et des empires, dont ils expliquaient ensuite le développement comme le résultat nécessaire du courage des guerriers et des victoires qu'avait remportées le génie ou même le bras des héros. L'on ne remarquait point que ces figures épiques qui

remplissent les annales de l'antiquité, et qui étaient merveilleusement propres à flatter l'orgueil national, et à entretenir dans les masses des sentiments belliqueux, manquaient de consistance réelle; et que quand même aucune d'elles n'eut été fantastique, elles pouvaient plutôt servir d'ornement que d'explication au passé. Car après tout la vie d'un peuple a d'autres lois que les déterminations fortuites de ses chefs, et sa grandeur d'autres fondements que la pointe de leur épée.

Il n'y a pas encore un siècle que la science a commencé à chercher une marche plus sure, et à vouloir comprendre ce qu'elle s'était contenté de croire. Signaler les causes régulières des grands évènements, leurs rapports, et l'ordre de choses auquel ils se rattachaient, telle est la tâche dont elle a senti l'importance, mais qu'elle n'a encore réalisée qu'avec une extrème lenteur. Jusqu'ici même nous possédons peu de travaux accomplis sur le monde ancien dans ce but, excepté pour une seule branche, l'histoire romaine. Mais là du moins de grands efforts ont été faits pour substituer à toute la fantasmagorie des recits de l'antiquité, l'appréciation des causes réelles et l'analyse des éléments du corps politique. De Beaufort et Montesquieu ouvrirent les premiers cette nouvelle voie; et depuis l'Allemagne savante y a fait d'immenses progrès, dont la gloire appartient surtout à Niebuhr. Mais avec quelque éclat que ce beau génie ait fourni sa carrière, et quoiqu'il ait éclairci en passant une foule de points obscurs, la tâche à laquelle il a si noblement concouru n'est point encore achevée. Niebuhr il est vrai a su rattacher la cité italienne à ses sœurs ainées de la Grèce, et il nous a montré la chaine qui unit entre elles les nations et les époques; mais de cette chaine immense à peine quelques anneaux sont-ils bien reconnus. Nous entrevoyons peut-être maintenant le berceau de Rome; mais c'est d'une manière vague et à travers un brouillard. Il s'en faut même de beaucoup que dans les nouvelles figures qui nous apparaissent nous puissions toujours distinguer la réalité de l'illusion.

La cause de cet état d'incertitude réside dans la nature

même des documents que l'histoire possède sur les époques primitives. Traditions ou poésies voilà, comme l'a proclamé Niebuhr, les deux sources auxquelles tous les récits ont été puisés et certes ni l'une ni l'autre n'est bien pure. Dès-lors il semble qu'il ne nous reste plus de chance d'arriver à des résultats positifs, et que nous n'obtiendrons jamais que des approximations plus ou moins probables.

Si cette conclusion était rigoureusement vraie, l'obscurité que nous avons signalée résisteroit éternellement aux efforts de la science, et il faudrait renoncer à étudier davantage Rome et ce monde antique avec lequel elle nous met en rapport. Mais la connaissance du passé ne peut elle se fonder que sur les récits? A cette question l'on répondra peut-être que les monuments, les inscriptions, les médailles ont été également consultés, et que ces nouvelles sources n'ont presque rien fourni pour la partie primitive de l'histoire romaine. Mais il y a un genre de documents dont l'importance, d'abord peu sentie, semble augmenter chaque jour à mesure que les sciences politiques font des progrès je veux parler des chiffres, des évaluations et des mesures officielles que l'ancienne Rome nous a légués. Nous avons, du moins en partie, ses divisions du sol, ses évaluations des biens, ses récensements de la population, la répartition de ses citoyens en classes et son organisation militaire. Avec de pareils éléments ne peut-on aujourd'hui recomposer par la pensée la cité détruite? Si je ne me trompe, la difficulté parait bien moins grande ici que dans les problèmes du même genre qu'ont résolus les sciences naturelles.

Il est vrai que ces données statistiques, lorsque les historiens ont voulu les employer, se sont trouvées en désaccord avec les proportions que l'histoire prêtait aux choses antiques. C'est ainsi que Niebuhr s'est vu conduit à rejeter plusieurs dénombrements des citoyens et des armées qui ne cadraient point avec l'effet général du tableau qu'ont tracé Tite-Live et Denys d'Halicarnasse. Mais à ce compte il faudrait aussi récuser le témoignage de ces murs et de ces souterrains de la vieille Rome,

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