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encore moins qu'un captif arrivé de Barbarie en pû être la caule..

Le major, brave officier, bon époux & bon pere, ne pouvoit pas être compatriote indiffé rent; il écoutoit avec tant d'intérêt le récit des malheurs de l'efclave efpagnol, que celui-ci, enhardi par les témoignages de bonté qu'il reçoit de l'officier, lui demande fon nom; = je fuis Es pagnol comme vous, refpectable vieillard. Mon nom eft Valefco. Valefco, dit l'efclave, j'ai connu en Espagne un riche feigneur de ce nom Il étoit d'un grand âge, & fe plaignoit du fort qui lui avoit fucceffivement enlevé toute fa famille. Son plus proche héritier étoit un enfan dont le pere, forcé d'abandonner sa fortune aux inquifiteurs, s'étoit expatrié; nous étions du mê me âge, fon fils feroir du vôtre... Si c'étoit vous, mon généreux compatriote! ah! de grace contez moi vos avantures. On s'explique, on s'informe, & l'on s'affure enfin que le major Va lefco eft le plus proche parent du riche feigneur efpagnol. Le prince Kaunitz, chancelier d'état, informé de cet événement, dépêche un cou rier en Espagne, & le captif eft chargé de l'ac compagner.

Le courier, l'efclave & l'exécuteur teftamentaire du parent de Valefco étant revenus, arri vent chez le chancelier. On députe vers le major, qui reçoit avec la nouvelle de la mort de fon parent le teftament par lequel tout son bien Jui étoit confervé. Le prince Lichtenstein, préfent à la lecture des titres, fe joint au chancelier pour complimenter Valefco comme grand d'Efpagne de la premiere claffe, & poffeffeur d'un revenu de 4 tonnes d'or.

Quel fera le dénouement, & comment remplir l'intervalle qui fe trouve entre le jeune officier & fa tendre amante ? Les Efpagnols font fiers....

La fille d'un grand d'Efpagne! mariée à un fint ple lieutenant... Tout eft-il rompu? Non: Valeico n'a point appris dans les camps l'étiquette des cours; il ne fçait point profiter d'un incident pour fe fouftraire à fes prometles. Il aime fa fille, fa fille eft fenfible à l'amour du jeune officier autrichien; Valefco les unit, part pour recueillir fon immente fortune, & fe propofe de revenir à Vienne en jouir: il ne pourroit pas vivre dans un pays où fon pere a été per fécuté.

Il y a quelques années qu'il mourut dans une ville marchande de l'empire un gros négociant fort riche qui n'ayoit qu'un fils : il avoit voulu ne rien négliger pour fon éducation; mais l'écono mie qui lui étoit naturelle, avoit préfidé au choix qu'il avoit fait de fe's inftituteurs. Une fille d un habitant d'un gros village walon fut fa gou vernante, & lui apprit à lire & à parler la langue françoife; les maîtres d'efcrime, de danfe, deffin, d'hiftoire & de géographie faifoient pendant avec la demoiselle françoife. Le jeune homme, dès qu'il fe crut un peu formé, n'eut rien de plus pretfé que de fe faire une bibliotheque; il y a des fripiers de livres, comme de vieux meubles. Il eut bientôt à très-bon marché une nombreuse collection de controverfes & de ro mans; mais l'amour l'emporta fur la théologie, & le plaifir d'aller chercher toutes les beautés de l'Europe pour leur rendre hommage, fur celui d'aller te faire pendre dans les Cevennes, en qualité d'apôtre de la confeffion de Geneve; car notre jeune homme, fils de réfugié, ignoi roit qu'il y a déja quelque tems qu'on ne pu nit plus en France les opinions de la même mal niere que les crimes. Il fe déroba fecrétement de la maifon paterneile, après s'être nanti d'uné

portion de fon héritage, & courut on ne sçait où, paffant bien des années fans donner de fes nouvelles. Son pere étant mort de vieilleffe & de chagrin, on cita l'héritier univerfel dans toutes les gazettes poffibles; mais il avoit bien d'autres affaires; il ne lut aucun des papiers cù il étoit queftion de lui. La juftice fe décida enfin à adjuger l'héritage au plus proche parent. Celui-ci eft un fort honnête homme chargé de famille, & n'ayant que le néceffaire le plus ftrict. Il jouiffoit depuis 10 ans du bénéfice que le hazard lui avoit dévolu, lorfque le véritable héritier s'eft avifé de revenir. Il étoit fi maigre, fi défait, fi changé que perfonne ne le reconnut; on le prit même pour un impofteur, & il alloit être condamné juridiquement à être enfermé dans une maifon de force comme un vagabond, lorf. que fon parent, abfent depuis quelques jours pour affaires, & inftruit de ce qui fe paffoit, alla trouver cet homme déjà arrêté, & qui faifoit tant de bruit. Il ne put le méconnoître dès la premiere converfation. Mon oncle, lui dit-il, en fe jettant à fon cou, j'allois périr de mifere, lorfque je vous ai été fubftitué; il y a 10 ans que je fuis en poffeffion de vos biens ; je les ai fait valoir; la feule grace que je vous demande, eft de me laiffer le profit honnête qu'ils m'ont mis à portée de faire. L'oncle, frappé de ce trait, repaffant tout à coup dans fon efprit les fuites de la vie qu'il avoit menée, fe défiant encore de lui-même, embraffe à fon tour fon neveu, & le prie de le recevoir chez lui comme fon commenfal; fur le champ il paffe chez un 'notaire, renonce à toutes fes prétentions, ne fe réfervant que la vie chez fon neveu. Quoique ce trait foit très-récent, il reffemble à quelques autres qu'on peut lire dans l'hiftoire; mais il prouve que les bonnes gens ne font pas fi rares qu'affectent de le

faire croire ceux qui font intéreffés à ne repré fenter les hommes que comme des monftres. Les deux amis dont nous parlons vivent à N..., l'union la plus parfaite..

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Le 6 Juillet, un bâteau chargé de marchandifes & de 25 perfonnes, tant hommes que fem mes, fe trouva expofé fur le lac d'Yverdon au plus grand péril, par une bourafque furieufe qui s'éleva tout-à-coup. On fut obligé de jetter à l'eau une grande partie des marchandises; la nuit étoit proche, & le danger ne faifoit que ¿croître d'un moment à l'autre. Les bateliers euxmêmes, laffés de lutter contre les vents & les va gues, étoient fans efpérance, & regardoient leur perte comme affurée. Une foule de fpectateurs pâles & tremblans voyoient du rivage cette fcene terrible, & attendoient dans la confternation d'inftant our le bâteau alloit être fubmergé. Il pa→ Toiffait impoffible de donner aucun fecours à ces anfortunés il n'y avoit fur le rivage qu'un vieux batelet hors d'ufage, compofé de planches mal. liées qui donnoient entrée à l'eau de toutes parts. Qui oferoit s'expofer fur un fi frêle foutien au milieu des flots irrités, pour donner un fecours peut-être tardif à des malheureux que le vent emperte bien doin du rivage? Ce fut David Marr the, jeune batelier, qui eut le courage de l'ent treprendre. Pierre Marthe, fon pere, étoit un des conducteurs du bateau. L'amour filial luiferma les yeux fur les dangers auxquels il s'expofoit il coupe le cable qui attachoit le batelet dont nous avons parlé; ille jette à l'eau, & s'y précipite, armé d'une feule rame qu'il agite d'une main, tandis que de l'autre, il recueille avec fon chapeau l'eau qui entroit par les fentes de fon bateles. Il combattit pendant deux heures contre les flots prêts fans celle à l'engloutir; enfin, après

des peines incroyables, il joint le bateau qui per toit fon pere. Sa préfence réveille le courage des bateliers; ils manoeuvrent avec une nouvelle force; le jeune homme, de fon côté, travaille conftamment à pouffer le bateau fur la côte, & il a le bonheur de fauver la vie de fon pere & de 25 perfonnes. Il n'eft point de récompense affez grande pour payer une action auffi généreuse. Mais quel hommage offrir à l'homme vertueux qui, fans autre intérêt que celui de foulager ies femblables malheureux, affronte les plus grands périls, & s'expofe a une perte prefqu'inévitable? Qui pourra refufer des larmes d'attendriffement au récit que nous allons faire ? Le 11 du mois de Juillet dernier un orage épouvantable fondit fur une partie de la province de Picardie. Déjà deux villages étoient fous les eaux; les maifons renverfées, les meubles, les beftiaux, les hom→ mes emportés, flottoient dans les campagnes. Un militaire refpectable, habitant de ce canton, de chevalier de Fougere, accourt dans ce défafire affreux: il fe précipite au milieu des torrens, enleve d'abord dans les bras deux jeunes enfans prêts à expirer; il les met en fureté. Son frere fe joint à lui; ces deux hommes admirables, fai+ fis de l'enthoufiafme de l'humanité, ne voient aucun danger: ils s'élancent dans les flots,en retirent des mourans qu'ils prennent entre leurs bras; chemin faitant, ils reçoivent für leurs épau les des miférables montés fur des branches, que la violence de l'orage alloit entraîner avec les arbres dont ils attendoient leur falut. Après plu↓ fieurs heures d'un travail infatigable, la tempête diminue, & nos deux héros fe trouvent entou rés d'une foule de malheureux qui leur doivent la vie. Ce n'eft pas tout, tes deux freres ont per du une partie de leurs biens; mais dans le nom bre des infortunés qu'ils ont arrachés des bra

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