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aucuh foupçon, mon projet fut découvert, tous les François voulurent me fuivre. J'écrivis au major qu'étant obli. gé de prendre un congé pour quelque tems, je lui laiffois le commandement du régiment, & la paie pour tout le mois.

Croyant mes jeunes-gens en fûreté à Grodno, où je les recommandai aux bontés de M. le comte de Tyfenhaufen, je cédai aux instances qu'ils me firent d'aller me jetter aux pieds de V. M. J'implorai, en paffant à Bialyflock, les bontés de Mme. la caftellane de Cracovie, pour tant de braves gentilshommes éloignés de leur patrie. Mais quel fut mon étonnement d'apprendre qu'un courier m'avoit déja dávancé avec des ordres de me faire arrêter partout comme voleur & affaffin? Tous les feigneurs fur la route y furent invités, ainfi que Mme. la caftellane de Cracovie, dont l'ame vraiment royale me fit prévenir d'éviter la grande route, parce qu'un courier qui me dévançoit, avoit ordre d'ameuter les diétines contre moi. Le cœur fenfible de V. M. gémira des peines & des inquiétudes qu'un étranger a dû fouffrir, en errant dans les bois pendant deux jours & deux nuits, tandis qu'on mettoit fa tête à prix, & qu'on prenoit les mefures les plus violentes pour lui fermer l'abord au trône. J'y fuis enfin, Sire, & c'eft avec la confiance que je dois avoir dans la juftice de V. M. que je lui demande pour toute grace de me faire nommer une commiffion moins inique qui puiffe entendre mes défenfes ; & ne voulant plus que M. le grand-général puiffe abufer de la fupériorité de fon grade fur le mien, je donne entre les mains de V. M. Ja démiffion de mon régiment, que je n'aime pas affez pour le conferver aux dépens de mon honneur attaqué. Je demande pour feul prix de ce facrifice que votre bonté royale veille à la foreté de 40 gentilshommes françois que M. le grand-général traite, ainfi que moi, de déferteurs, & qu'il fait pour fuivre comme tels, tandis que dans toutes fes lettres il refufe de les

reconnoitre.

Deux jeunes perfonnes, accoûtumées à se voir dès l'enfance, avoient pris du goût l'une pour l'au tre, & vivoient contentes fous l'aîle de l'amour. La tendre amante étoit la fillle du nonce de Caun en Lithuanie, & fon amant fidele étoit le fils du notaire de la contrée. Les peres, quoique parens, vivoient en bonne intelligence; ils voyoient

avec plaifir l'amour naiffant de leurs enfans, dont ils projettoient l'union.

Mais la diete à-peine eft convoquée, que les intrigues qui précèdent l'affemblée générale de la nation, divifent les deux familles, & les voilà devenues ennemies. Leurs chefs s'enflamment,s'irritent & fe déchaînent les uns contre les autres; ils interdisent à leurs enfans tout commerce; ils leur avoient permis de s'aimer, ils leur ordonnent de se hair; mais cette tyrannie ne fait qu'accroître leur amour.

Le nonce, pour féparer à jamais fon fang de celui de fon ennemi, veut contraindre fa fille à époufer un jeune homme, dont l'amour rebuté fe tourne en rage; ce jeune homme fe détermine, malgré les pleurs de celle qu'il aime, à ufer des droits que l'accord de leurs parens lui donnoient fur elle; mais cette malheureufe victime échappe à fes perfécuteurs, & fe jette dans un couvent. L'amant aimé eft envoyé par fon pere au féminaire de Prague, & condamné à fe faire prêtre; fon rival, confus & défefpéré, renonce au monde, & fe fait moine.

Voilà nos trois amans féparés par des grilles, & fous la garde auftere de furveillans qui, pour n'être pas des eunuques noirs, n'en font pas moins propres à effaroucher l'amour. Ce dieu que les obftacles animent, avoit établi entre la tendre reclufe & le jeune féminarifte une correfpondance amoureufe. Leur metfager étoit le domeftique de ce même rival que le défefpoir avoit réduit à prononcer fes vœux. Pour les amans perfécutés, ils n'en avoient fait d'autre que celui de s'aimer jufqu'à la mort; leurs lettres n'étoient que de longues paraphrafes de ce vou; mais ils braloient de s'en faire le ferment, & ils devoient mourir heureux pourvu qu'ils l'entendiffent fortir d'une bouche adorée. L'amour & le jubilé

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leur en faciliterent les moyens. Ils choifirent pour lieu du rendez-vous l'églife d'une abbaye de bé nédictins où le moine amoureux venoit d'être tranfférés en ce jour même, pour le guérir de la langueur qui le confúmoit..

L'églife du couvent & celle de l'abbaye le touchoient; déjà la jeune penfionnaire, faifant fa dévote ftation au pied de l'autel, accufoit fon amant de lenteur; il arrive, & le domestique affidé fait le guet à la porte du cloître. Le moine en ce moment traverfe l'églife, s'agenouille devant l'autel, & reconnoît la fille du nonce; il s'écrie, l'amant troublé s'élance entr'eux, & le domeftique accourt au bruit. Le moine vole à lui, le. queftionne; la jeune perfonne s'évade & fon amant la fuit.

Le moine furieux conçoit le projet d'escalader cette nuit même, les murs du couvent, & d'enlever fa maîtreffe; il fait promettre à fon ancien domeftique de lui amener à minuit une chaise de pofte; celui-ci reçoit l'or du moine, prépare tout, & confeille aux amans d'en profiter. La peur, l'amour, & la facilité de l'occafion y font confentir la jeune penfionnaire. Minuit fonne, & elle monte en tremblant dans la chaife de pofte: fon amant la foutient, mais deux cours de piftolet qui l'effleurent fans le bleffer, le forcent à défendre fa vie. Il reconnoît le moine: lâche, tu mourras, il fond fur lui, faifit un des piftolets, le brife fur la poitrine du moine, & le laiffe étendu. Le couple gagne Léopold en toute diligence, & ils le marient.

Le prince, qu'ils trouvent le moyen d'inté reffer a leur fort, les fait rentrer en grace auprès de leurs parens. Ils apprennent que le moine eft guéri de fon amour & de fa blessure, & ils emploient de fi grands médiateurs qu'ils obtiennent qu'il foit relevé de fes vœux.

C'eft un fpectacle bien doux pour les philo fophes, qui prêchent depuis près d'un fiècle la tolérance, de voir cette vertu enfin germer fur la terre, & établir entre les hommes cet heur reux concert d'amour & d'union qu'ils ont trop longtems dédaigné. Il fe paffe peu de jours où dans quelque partie de l'Europe on ne voie des traits frappans d'humanité & de tolérance. La philofophie peut fe glorifier de cette révolution. C'est elle qui, en éclairant les efprits, a ramené les hommes, à la premiere loi de la nature & de la religion, celle de se supporter les uns les autres. Tous les gouvernemens font aujourd'hui convaincus de la néceflité de favorifer, de protéger cet efprit de tolérance, fans lequel la fociété feroit une fcene d'horreurs & de guerres fanglantes. L'expérience des fiecles paffés ne l'a que trop confirmé, & nous en geniffons encore. Nous ne rappellerons pas les excès auxquels s'eft portée la fuperftition dans ces fiecles d'aveuglement; tout le monde les connoît; la fureur des opinions étoit parvenue à un tel point qu'en 1617, un célebre médecin de Prague, appellé Humani, ne pouvoit fouffrir qu'on partat des fredaines innocentes des médecins à 225 lieues à la ronde. Tout le monde conviendra que ce docteur-là étoit ou médecin bien ignorant, ou un homme d'une humeur bien fâcheufe.

A cette ridicule intolérance, oppofons la conduite d'un curé généreux & compatiffant de Warfovie. Ce digne pafteur, témoin des perfécutions qu'a amenées le jubilé pour la nation juive, & perfuadé que ces peuples infortunés ne font méprilés que parce qu'on leur ôte les moyens de s'élever au niveau des autres hommes, & qu'ils ne font hais que parce qu'on ne leur laiffe que le mérite pernicieux de l'ufure, s'eft comporté d'une maniere bien différente de celle

de cet autre curé intolérant qui a excité contre eux certe horrible perfécution."

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Au milieu de l'àcharnement général du peu ple, contre les Juifs une famille nombreuse & pauvre de cette nation, qui avoit observé qu'on ne s'attachoit dans le pillage qu'aux mai fons opulentes, s'imagina que fon tour ne viendroit que quand tous fes autres freres feroien dépouillés; elle attendit la nuit pour chercher un afyle dans un bourg voifin dont les habitans étoient demeurés neutres, & dans lequel ils a voient un ami qui les avoit fait prévenir de l'orage qui les menaçoit. Ils arrivent, l'obfcurité les empêche de reconnoître la maifon; ils frappent à une porte; elle s'ouvre auffitôt, & ils s'apperçoivent qu'ils fe font mépris. Un curé vé mérable fe préfente à leurs yeux. Ces malheu reux croyant être tombés dans des mains enne mies, jettent un cri d'effroi, & veulent før. Le bon curé les raffure, les fait entrer : « Ne crai gnez pas mes amis, ne craignez rien de moi. Je ne fuis pas votre ennemi, je fuis votre frere: que ma maifon vous ferve d'afyle; je vous ferois bien conduire chez votre ami; mais je fçais que fa maifon eft déjà remplie de fugitifs. Reftez ici, vous ne feriez nulle part plus en fùreté ». Il leur donne un logement, leur fournit les provifions dont la loi leur permet de faire ufage, il les heberge pendant quelque tems, & ne les laiffe fortir que lorfqu'il eft affuré qu'ils n'ont plus rien à craindre de la fureur du peu ple. « Apprenez, mes enfans, leur dit-il, en les quittant, apprenez que ma religion fainte m'ordonne d'être humain & jufte. Ne la jugez pas fur les abus qu'on en fait. Ma religion fait aimer les hommes; elle eft douce, elle ordonne la bien faifance. Vous pourrez vous en convaincre, fi jamais Dieu vous y appelle. Il m'eft

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