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« Les groupes de femmes et de jeunes filles ont chanté plusieurs autres strophes; la dernière strophe a été chantée par toute la montagne. En même temps, les jeunes filles jetaient des fleurs vers le ciel, et simultanément les adolescents tiraient leurs sabres, en jurant de rendre partout leurs armes victorieuses. Les vieillards ont apposé leurs mains sur leurs têtes, et leur ont donné la bénédiction paternelle. Enfin une décharge générale d'artillerie, interprète de la vengeance nationale, a retenti dans les airs, et tous les citoyens et citoyennes, confondant leurs sentiments dans un embrassement fraternel, ont terminé la fête en élevant vers le ciel ce cri de l'humanité et du civisme: Vive la République! (1) »

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vera le texte dans Chantreau, les Documents de la Raison, no XV, p. 235. Tissot, témoin oculaire, parle en ces termes d'un autre hymne qui fut chanté au Champ de Mars : « Celui, dit-il, qui commence par ce vers: Dieu du peuple et des rois, des cités, des campagnes, produisit une espèce de frissonnement intérieur et de recueillement religieux, que l'on ne saurait exprimer, même après l'avoir senti au milieu de cinq cent mille témoins, tous frappés de la même émotion. » (Histoire complète de la Révolution, V, 223.)

(1) Consulter encore, sur la fête de l'Être suprême, l'imprimé intitulé: Rituel républicain. Fête à l'Être suprême exécutée à Paris le 20 prairial, an II de la République, avec la musique des hymnes. Paris, Aubry, an II, in-8 de 56 pages, plus 4 feuillets de musique non-chiffrés. Bibl. nat., Lb 41/1106. Voici comment ce recueil est composé: 1o Préface anonyme, où on démontre que la contre-révolution s'emparait des esprits à la fois par le fanatisme vendéen et par l'athéisme hébertiste; 2o Programme officiel de la fête du 20 prairial; 3o Hymnes de Gossec, hymnes de Deschamps, musique du citoyen Bruni, chantés par les aveugles; 4° Récit de la fête, avec un recueil complet des inscriptions; 5° « Hymnes et autres poésies recueillies sur la fête à l'Être suprême. » Chénier, Augustin Ximenez, Molline, Valcour, Fabien Pillet, Jullien, sous-directeur de la correspondance de la Trésorerie nationale, Morambert, Philippon, Lemarchant-Lavievile, Saint-Ange, Moline, secrétaire gref

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fier de la Convention, Rochon (musique de Lemoyne), Desforges, Cambini; 6 Hommages et prières en prose: Théophile Mandar et Ducray-Duminil; 7o Musique. La religion républicaine, paroles de Desforges, musique de Séjean; Hymne à l'Être suprême, paroles de Desorgues, musique de Gossec; Hymne à la Divinité, paroles de Deschamps, musique « du cit. Au...»; Hymne populaire, paroles de Rochon, musique de Lemoyne. Ajoutons que les royalistes imprimèrent une parodie de l'hymne chanté au Champ de Mars, sous ce titre la Vérité opposée au mensonge, s. 1. n. d., in-8 de 6 pages. Bibl. nat., Y. Enfin, en dehors des poésies sus-mentionnées, on lira: 1o Hymne à l'Être suprême et à la Liberté, par le citoyen Desgrouas; Paris, imp. Daniel, s. d., in-8 de 3 pages. Bibl. nat., Ye, 20098. 2o Couplets adressés à l'Être suprême à l'occasion de la fête célébrée en son honneur, le 20 prairial, par le citoyen Laloi, de la section de l'Indivisibilité, s. 1. n. d., in-8 de 2 pages. Bibl. nat., pièce non cotée. C'est une médiocre chanson, sur l'air Guillot, Guillot; elle se termine ainsi :

Tu vois nos cœurs pleins de reconnaissance,
Dieu bon, Dieu juste, approuve nos projets;
Si nous avons recours à ta vengeance,
C'est qu'il s'agit de punir des forfaits.
Être suprême, accepte notre hommage,

Nos cœurs sont purs, ils sont dignes de toi;
Ne permets pas que l'infâme esclavage
Puisse jamais nous courber sous un roi.

CHAPITRE XXVII

Conséquences de la fête de l'Être suprême.

Telle fut cette fête du 20 prairial an II, en l'honneur de l'Étre suprême, où Robespierre crut vraiment qu'il inaugurait une religion nouvelle, et qui, si elle n'enthousiasma pas l'opinion, l'intéressa au plus haut degré.

Le lendemain, 21 prairial, l'agent national Payan prononça, devant la Commune, la glorification de cette journée, qu'il présenta comme le couronnement de l'œuvre révolutionnaire (1):

« La joie, dit-il, était générale, l'enthousiasme régnait partout; et cette journée, dont tous les hommes sensibles et républicains conserveront un éternel souvenir, est sans doute le fruit le plus doux de la Révolution. Elle doit prouver avec quelle rapidité l'esprit public se forme et s'élance vers le dernier période de la raison humaine. Tous les citoyens étaient satisfaits du culte simple et naturel rendu à l'Être suprême; ils ne regrettaient ni leurs prêtres ni

(1) Voir aussi l'éloge en quelque sorte officiel de la fête du 20 prairial que publia le Journal de la Montagne, t. III, no 44.

leurs superstitions; ils promettaient de chérir la vertu et la liberté; ils croyaient satisfaire à leur dette envers la Divinité et la patrie. Le sentiment de la fraternité unissait tous les cours; aucune scène affligeante n'a détruit la joie commune. La fraternité a été poussée à un tel point que, des personnes accablées de lassitude s'étant couchées par terre sur la route qui conduit au Champ de la Réunion, la foule immense qui s'y rendait, respectait leur sommeil, et les femmes, en passant autour d'elles, relevaient leurs jupes pour ne pas les réveiller.

<< Anciennement, il fallait des gardes nombreuses pour empêcher que les jardins publics ne fussent dégradés par le peuple; aujourd'hui, le peuple sait qu'ils lui appartiennent, il les respecte. Pas une rose, pas une fleur, n'ont été cueillies dans le parterre du Jardin national.

<< Il serait difficile de peindre la satisfaction qui régnait partout. L'on était trop tendrement affecté pour se livrer aux élans d'une joie folle et passagère; mais le sourire était sur toutes les lèvres ; un sentiment d'autant plus difficile à peindre qu'il est mieux senti remplissait toutes les âmes; dans la foule, des mères de famille avaient conduit leurs enfants de deux ou trois ans; aucun d'eux n'a été pressé, n'a été foulé. Que d'heureux résultats doit produire cette cérémonie! Que de citoyennes faibles elle rattache à la Révolution par les liens consolants de l'existence de l'Etre suprême et de la vertu ! Dans les fêtes anciennes, la pudeur était outragée par les propos les

plus indécents; hier, l'honnêteté a régné partout, et les jeunes citoyennes, environnées de leurs respectables parents, ont paru à tous les yeux et plus intéressantes et plus belles. La décence et le plaisir ont présidé à toutes les danses.

<< Hommes corrompus, qui ne voyez de jouissance que dans la débauche, que n'avez-vous vu, après la fête et le lendemain, cet air de gaieté qui régnait encore sur tous les visages? Les citoyens ne pouvaient se livrer au travail. Ce n'était point par suite des excès des débauches de la veille : ils avaient été sages; mais les sensations qu'ils avaient éprouvées avaient été si douces qu'ils s'y livraient encore et jouissaient du souvenir même. Puisse cette fête avoir été aussi touchante dans tout le reste de la République, et avoir augmenté, s'il était possible, l'amour de tous les citoyens pour la liberté et leur haine pour la tyrannie (1) ! »

(1) Moniteur, XXI, 53. - Quand Payan eut fini de parler, une discussion s'éleva sur la force armée qui se trouvait à la fête de la veille, et l'agent national fit arrêter qu'à l'avenir il n'y aurait plus de force armée dans les fêtes publiques : « Partout où est le peuple, dit-il, il ne doit point y avoir de baïonnettes; un peuple libre se conduit par la raison, et non par des armes. Invitez-le à faire tout ce qui est juste et raisonnable, et le peuple se conforme aux avis fraternels qu'on lui donne. Les militaires ne doivent paraître dans les fêtes publiques que pour y faire des évolutions propres à maintenir l'art de vaincre les tyrans. Si l'on met des gardes autour des prisons et dans l'intérieur de la ville, c'est parce que le peuple n'est pas rassemblé là pour y contenir les malveillants par sa seule présence. Les baïonnettes dans les fêtes publiques aigrissent les républicains; ils les repoussent et reculent au contraire avec plaisir à la voix d'un commissaire qui les invite à se ranger au nom de la loi. Dans les fêtes publiques, n'ayons que des commissaires pour régler l'ordre de la marche et des cérémonies; choisissons pour commissaires des vieillards ou des enfants;

AULARD.

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