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IV

Oui, sans Voltaire et sans Rousseau,
La Raison, qu'ici l'on vénère,
Serait encore dans le berceau,
Et l'erreur couvrirait la terre.
Ils ont paru, l'erreur a fui.
Bientôt le républicanisme,
A l'aide du profond Mably,
Donna la chasse au despotisme..

V

Gloire à jamais à ce trio

Qui fit le bonheur de la France

Sur les vieux saints crions Haro!
Point de quartier, point de clémence :
La Raison les abolit tous

Et veut que tout Français préfère

A ce tas de cafards, de fous,
Mably, Jean-Jacques et Voltaire.

On voit qu'à Tours et à Grenoble le culte de la Raison ne se trouve pas déjà formellement contenu dans le culte de l'Étre suprême. Mais ce ne sont là que des exceptions: partout ailleurs, je le répète, il est expressément déclaré que la Raison, à laquelle on rend hommage, c'est ou Dieu considéré comme Raison suprême ou la Raison humaine considérée comme une émanation et un don de la divinité.

On n'en finirait pas, si on voulait relater toutes les manifestations déistes auxquelles donna lieu le culte

de la Raison. Ainsi, à Versailles, le temple de la Raison portait cette inscription: A l'Éternel, et le conventionnel Charles Delacroix y termina, le 30 frimaire, sa prédication morale par une prière à Dieu (1).

(1) Discours prononcé le décadi 30 frimaire à Versailles, pour l'inauguration du temple de la Raison, par le citoyen Ch. Delacroix... Versailles, imp. des Beaux-Arts, s. d., in-8.

Lb 41/3599.

Bib. nat.

CHAPITRE X

Le culte de la Raison en province; Alsace, Franche-Comté, Arras, Châlons-sur- arne, Limoges, Montpellier.

A Paris, la déchristianisation n'avait été, chez le peuple, qu'un acte de gaminerie. En province, il faut avouer que ce fut souvent un acte sérieux, sérieusement opéré. Rien de plus grave et de plus solennel que l'abjuration publique et commune qui eut lieu à Strasbourg (1), moins peut-être par philosophie que

(1) La déchristianisation des Strasbourgeois avait été préparée par les conventionnels en mission Guyardin et Milhaud. Ceux-ci, à Strasbourg, le 17 brumaire an II, « considérant qu'il est urgent de montrer que les ressources de la République sont aussi inépuisables que la rage des tyrans est impuissante, et voulant employer les dépouilles du fanatisme pour éteindre une guerre impie, dont il est lui-même la principale cause;... voulant, autant qu'il est en leur pouvoir, rallier tous les hommes autour de l'autel de la nature et leur inspirer les principes éternels de la morale universelle, qui, seule, doit être la religion d'un peuple libre », arrêtent que l'exercice de tout culte est restreint dans les bâtiments qui leur sont destinés, que tout signe extérieur d'opinions religieuses disparaîtra, que tous les ornements religieux seront enlevés pour servir à la défense nationale, que « ceux qui, soit par leurs discours, soit par leurs actions, retarderaient le triomphe de la raison et la destruction des préjugés, seront traités comme ennemis du genre humain et déportés dans les déserts destinés aux prêtres réfractaires. » Communiqué au département de la Meurthe, cet arrêté fut adopté et exécuté par lui. Nous en emprun

par nécessité de défense nationale, puisque cette ville frontière était, plus qu'une autre, menacée par la coalition des prêtres avec les émigrés et les étrangers (1).

Les députés des sociétés populaires de Pont-àMousson, Nancy, Lunéville, Sarrebourg, Phalsbourg, Chalon-sur-Saône et Beaune provoquèrent une grande assemblée générale des autorités et du peuple de Strasbourg. Elle eut lieu le 27 brumaire, à quatre heures, dans la cathédrale (2).

Le maire, plusieurs orateurs, les députés de la Moselle et de la Meurthe « montrèrent le prêtre toujours d'accord avec le tyran pour enchaîner le genre humain, et le premier abusant du nom du ciel pour em

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tons le texte à l'imprimé intitulé : Liberté, égalité, fraternité. Arrêté du directoire du département de la Meurthe... Nancy, imp. Hæmer, in-4 de 6 p. - Bibl. de Grégoire, t. IX. Deux jours plus tard, un arrêté du département du Bas-Rhin interdisait tout acte d'un culte quelconque " pendant la guerre ». (La Cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution, par Rodolphe Reuss, Paris, 1888, in-8, pp. 416-417.)

(1) Le même sentiment avait été exprimé, d'une manière naïve et frappante, à Etampes, le 24 brumaire an II. La déesse de la Raison y avait chanté, dans la ci-devant église Notre-Dame :

Ouvrez les yeux sur le danger :
Dans la Vendée, voyez le prêtre
Empruntant pour vous égorger
Le nom du Dieu qui vous fit naître.

(Affiches de la Commune de Paris, no 147.)

(2) Procès-verbal de l'assemblée générale des autorités constituées, de la Société populaire et du peuple de Strasbourg et des membres des Sociétés populaires des départements voisins, réunis au temple de la Raison, le vingt-septième jour du second mois de l'an II de la république une et indivisible. (Strasbourg), Dannbach, s. d., in-8 de 8 pages. Ce procès-verbal est signé des autorités locales.

pêcher l'homme d'user des droits de la Nature ». Ils conclurent qu'il fallait renoncer à la religion.

Puis on parla au peuple en allemand. Un officier municipal lui dit « que l'Etre suprême n'a d'autre Temple digne de lui que l'Univers et le cœur de l'homme de bien ».

<< Enfin un des membres de la Propagande révolutionnaire (1) a demandé, dit le procès-verbal, que le peuple énonçât son vœu sur les prêtres. Il a été consulté dans les deux langues et des acclamations générales ont annoncé qu'il ne voulait plus en reconnaître. Il en a prêté le serment; le citoyen maire l'a reçu à la tribune et a annoncé qu'au premier jour décadaire, on consacrerait le lieu de la séance à un temple de la Raison. >>

Le soir, toute la ville fut spontanément illuminée. La première fête de la Raison eut lieu à Strasbourg, le 30 brumaire an II, en présence du représentant en mission Baudot (2).

Le cortège partit de la Société populaire, avec les autorité civiles et militaires, pour se rendre à la cathédrale. On y voyait beaucoup de citoyennes vêtues de blanc, avec le bonnet de la liberté.

(1) On appelait ainsi un corps de missionnaires de la Révolution que le maire de Strasbourg, Monet, avait recruté dans les Sociétés populaires de la Moselle, de la Meurthe, des Vosges, du Doubs et de la Haute-Saône. Ces propagandistes s'employaient à fortifier le sentiment français en Alsace et à y combattre le fanatisme religieux. (Cf. Reuss, loc. cit., p. 409 à 412.)

(2) Description de la fête de la Raison, célébrée pour la première fois à Strasbourg, le jour de la troisième décade de l'an II... (Strasbourg), Dannbach, s. d., in-8 de 16 pages. C'est un procès-verbal officiel signé des autorités de Strasbourg.

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