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LE CULTE DE L'ÊTRE SUPRÊME

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CHAPITRE PREMIER

Le culte de la Raison et le culte de l'Être suprême dans les philoso-
Rousseau, Voltaire, Raynal, Diderot, Mably, Montesquieu,

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On sait que l'idée de la religion naturelle est une de celles qui dictèrent le plus de pages éloquentes aux philosophes du xvIIe siècle, à ceux que les hommes de la Révolution avaient lus et qui avaient fait leur éducation intellectuelle.

C'est surtout Jean-Jacques Rousseau qui a été le maître de morale de la Révolution française. La religion du Vicaire savoyard a donné à Robespierre l'idée du culte de l'Etre suprême, dogmes et cérémonies.

Le nom de Rousseau est même en cela si inséparable de celui de Robespierre, il est si évident que certaines parties de l'Emile et les dernières pages du Contrat social ont préparé la fête du 20 prairial an II,

AULARD.

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qu'il est indispensable d'ajourner l'exposé des théories religieuses du philosophe de Genève au moment où nous raconterons le culte de l'Étre suprême (1).

Mais il faut dire dès maintenant que Voltaire n'eut pas moins d'influence sur la politique religieuse des révolutionnaires, ou plutôt ceux-ci purent trouver dans Voltaire autant de textes divers et décisifs qu'il leur en fallait pour justifier et encourager les vicissitudes de leur politique religieuse, vicissitudes qui, nous le verrons, étaient moins l'effet d'une doctrine que des circonstances.

Ainsi, quand la Constituante, mal dégagée encore de la foi héréditaire, se proclame catholique, apostolique et romaine, tout en refusant de déclarer le catholicisme religion d'État, elle peut se rappeler les hommages rendus à plusieurs reprises par la prudence de Voltaire à la religion dont il fut pourtant le sincère ennemi.

N'avait-il pas dit, dans le Dictionnaire philosophique, article Religion : « Je ne parle point ici de la nôtre elle est la seule bonne, la seule nécessaire, la seule prouvée ? » Il est vrai qu'il ajoutait: « ..... Et la seconde révélée. » Mais que de fois, en public, le grand rieur avait affecté de s'incliner sans rire devant l'autel!

Quand les Constituants songèrent à nationaliser la religion, à créer une Église de France indépendante

(1) Voir plus bas le chapitre intitulé: Robespierre et Jean-Jacques Rousseau.

de Rome et voulurent réaliser par la constitution civile le rêve gallican, que d'arguments, que de formules ce Voltaire, dont leur mémoire était saturée, ne leur suggéra-t-il point? Les railleries voltairiennes contre les papes étaient dans tous les esprits, sur toutes les lèvres, et la langue française elle-même s'était comme façonnée à ces plaisanteries. D'autre part, qui, plus que Voltaire, avait insisté sur la nécessité de réformer le christianisme? Dans l'A, B, C et en cent endroits, n'avait-il pas écrit: « Il faut absolument épurer la religion? »

Et comment l'épurer ? En cachant le dogme, en ne produisant que la morale. C'est Voltaire qui avait popularisé l'idée du prêtre officier de morale, du prêtre juge de paix, du prêtre médecin, du prêtre agriculteur. Y a-t-il un meilleur commentaire de la constitution civile que le catéchisme du curé, dans le Dictionnaire philosophique? Théotime est curé de campagne, et voici comment il comprend sa fonction: « J'ai, dit-il, étudié assez de jurisprudence pour empêcher, autant que je le pourrai, mes pauvres paroissiens de se ruiner en procès. Je sais assez de médecine pour leur indiquer des remèdes simples quand ils seront malades. J'ai assez de connaissances de l'agriculture pour leur donner quelquefois des conseils utiles. Le seigneur du lieu et sa femme sont d'honnêtes gens qui ne sont point dévots et qui m'aideront à faire du bien. Je me flatte que je vivrai assez heureux, et qu'on ne sera pas malheureux avec moi. >>

Quant à l'interdiction du mariage, Théotime s'y soumettra, mais il espère bien qu'un jour ou l'autre un Concile plus éclairé permettra aux prêtres de prendre femme.

Il parlera << toujours de morale, jamais de controverse ». Et quel parti prendra-t-il dans les disputes ecclésiastiques? « Aucun. On ne dispute jamais sur la vertu, parce qu'elle vient de Dieu : on se querelle sur des opinions qui viennent des hommes. » Et son interlocuteur de s'écrier: « Oh! le bon curé! le bon curé ! »

Ce type du bon curé, la Révolution en réalisera quelques traits dans l'abbé Grégoire, dans l'humble et hardi Jallet, dans tant de prêtres constitutionnels qui commirent le péché mortel de préférer la patrie à la religion, ou plutôt qui crurent, naïvement chimériques, pouvoir concilier la foi antique avec l'esprit

nouveau.

Mais la tentative d'accorder le christianisme avec la Révolution a échoué. Voici que l'Église fait cause commune avec l'ennemi de la patrie, au dehors et au dedans. Le prêtre correspond avec Coblentz, il allume la guerre de la Vendée. Partout où il y a une conspiration contre la défense nationale, on croit trouver la main du prêtre. Alors les attitudes changent, sinon les âmes; on frappe tout le clergé, jureur ou réfractaire; on insulte le temple, on renverse l'autel, on s'enhardit jusqu'à porter la main sur le dogme. C'est la tentative de déchristianisation, c'est le culte de la Raison.

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Alors aussi le rire antichrétien de Voltaire éclate sur toutes les lèvres. Son amusante et meurtrière polémique inspire la presse révolutionnaire. Hébert et Cloots servent tout cru au peuple le Voltaire endiablé des pamphlets. Un million de volontaires en armes, dans les camps ou dans les corps de garde, s'ébaudissent à ces plaisanteries, qui donnent une formule aux instincts irrévérencieux et positifs de l'imagination populaire. L'auteur du Dictionnaire philosophique préside à la mascarade patriotique tentée, à la fin de 1793, contre l'autel, et tentée parce que l'autel prétendait à étayer le trône, et le Père Duchesne envoie dans toute la France un écho grossier, mais fidèle, du rire de Voltaire.

Ceux qui, parmi les déchristianisateurs, ne songent pas seulement à rire et à houspiller, mais ont vraiment la foi en la raison, purent se rappeler alors de nobles et graves paroles de Voltaire. Ils avaient lu dans la préface d'Alzire que la véritable religion, c'est d'être humain. L'auteur de Candide n'est pas un pessimiste sec et ricanant, mais un des ardents et éloquents apôtres de la « religion de l'humanité », qui est l'âme du xvIIIe siècle. Cloots devait avoir imprimées au cœur ces paroles (1):

« Voulez-vous que votre nation soit puissante et paisible? Que la loi de l'État commande à la religion. Quelle est la moins mauvaise de toutes les reli

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(1) Nous les extrayons des Axiomes placés en appendice à l'opuscule intitulé: Dieu et les Hommes. (OEuvres de Voltaire, édition Garnier, t. XXVIII, p. 244.)

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