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avant d'obtenir un numéro, cette marche, établie par le canal de M. Brousse des Faucherets, favorise un agiotage extrêmement funeste.

En effet, il est très-possible, comme on le pense généralement, que les cent mille écus payés chaque jour par la caisse - d'escompte, si toutefois il est vrai qu'elle les paye, se versent entre les mains d'agens apostés, qui commercent une partie de ce numéraire à un prix exorbitant, et qui rapportent l'autre à la caisse (1). Le double effet de cette manoeuvre seroit d'enrichir, par des profits immodérés, les directeurs de la caisse, et d'attirer insensiblement le numéraire dans leurs mains.

Mais ce que messieurs les représentans du 'commerce n'ont pas dit, et qui fait trembler lorsqu'on y songe, c'est que la caisse fournissant des billets au trésor royal, qui ne paye à présent qu'avec cette monnoie, tandis que les impositions continuent à se payer en argent, tandis que le quart du revenu va se payer de même, tandis que les dons patriotiques concentrent dans les mains de l'administration tout le métal propre à être monnoyé; si le trésor royal continuoit, il s'ensuivroit dans peu que la France seroit inondée de billets d'autant plus embarrassans, qu'ils portent des sommes trop fortes pour les besoins journaliers; que le commerce, absolument privé de numéraire se trouveroit sans ressource, et qu'il entraîneroit dans sa chute la perte de la nation, qu'on veut

(1) Avant le commissariat de M. Brousse des Faucherets, des savoyards vendoient des numéros à la porte de la caisse. Le public, aujourd'hui paye aux vendeurs d'argent un escompte équivalent: chacun se lasse d'attendre un numéro, qui ne vient d'ordinaire que quand on n'en a plus besoin. L'agiotage est le même ; la manoeuvre paroît sealement plus honnête.

réduire au désespoir, et forcer de reprendre ses fers.

"Cela est impossible, dira-t on; une trop grande émission de billets perdroit la caisse à l'époque du premier juillet, lorsqu'elle reprendra ses paye mens. A cela, je répondrois que le ministère qui, dans ce systême, feroit cause commune avec la caisse, auroit une ressource dans le numéraire des impositions qu'il auroit entassé : je répondrois encore qu'on espère faire réussir une contre-révolu tion avant le premier juillet.

Mais les ministres sont responsables, et la caisse ne doit leur fournir qu'une somme déterminée.... Cette raison seroit bonne, si en effet la comptabilité étoit parfaitement établie. Mais les finances sont encore un gouffre sans fond; nulle dépense n'est fixée, nulle base établie. Bien loin d'être produit, le livre rouge, au grand scandale de toute la France, demeure caché; il peut même être quadruplé dans les ténèbres. Or, il est aisé de sentir qu'en finances, la responsabilité des ministres est un mot vide de sens, tant qu'un seul point de recette ou de dépense restera incertain, tant que le compte général ne sera pas apuré et publiquement connu. Nos finances sont comme un vase rempli d'eau, fêlé de toutes parts, qui se videra toujours en entier, tant qu'il restera une seule Felure ouverte.

Mais l'administration, dira-t-on enfin, est incapable d'une pareille manœuvre. Que les Français le croient, cela prouve au moins leur bon naturel et leur extrême confiance. Je demanderois seulement à l'administration, pourquoi ce décret si pressant, si ardemment sollicité, concernant la caisse d'escompte, décret qu'on vouloit arracher à l'assemblée, sans lui donner le temps de délibérer, tant le danger étoit prochain; pourquoi, dis-je, ce décret, rendu dans le courant de décembre, vient seulement d'être sanctionné. Je lui demanderois encore....... Mais ne sait-on pas que

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c'est sur-tout au despotisme ministériel qu'en veut l'assemblée nationale ? Et n'est-il pas naturel que des ministres se roidissent contre des opérations qui leur arrachent leur autorité, et leur ôtent toute la douceur de leurs places?

Je n'affirmerai rien de ce que je viens d'avancer; je dirai seulement que je le soupçonne avec le public entier. Or, puisqu'il est vrai que, dans son décret du courant de décembre, l'assemblée n'a fait à la caisse des conditions si avantageuses que pour acheter son crédit, puisqu'il est vrai qu'un papier employé par l'administration a besoin d'une extrême confiance, c'est beaucoup trop que des soupçons semblables dans la circonstance où nous

sommies.

Les représentans du commerce demandent une surveillance, et ils ont raison; mais je pense qu'ils ont tort, en venant la demander à l'assemblée. La constitution d'un établissement public dépend du corps législatif; mais sa police, sa surveillance dépend de la municipalité sous laquelle il se trouve. La municipalité de Paris l'a si bien senti, qu'elle a nommé elle-même M. Brousse des Faucherets, pour distribuer des numéros aux porteurs de billets de caisse.

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De quoi est-il donc question, pour corriger, non pas tous les vices de cette caisse qui peut nous être si utile, ou extrêmement funeste, mais quelques-uns de ses mauvais effets, de manière à garantir la liberté, jusqu'à l'organisation des assemblées de département? Faut-il continuer M. Brousse des Faucherets, et donner des surveillans à la caisse, comme le propose le commerce? Je ne le pense pas: ces surveillans verroient payer, verroient faire les écritures, et n'en seroient pas plus avancés; car tout cela n'empêcheroit pas que le numéraire ne pût se distribuer à des gens apostés.

Je ne prétends pas inculper M. Brousse des Faucherets; je dis seulement qu'on se plaint de lui et que dès-lors il ne convient plus à une opération

qui demande une entière confiance. Il ne convient pas davantage de le remplacer par un autre, ni même par un comité. Le seul moyen est de partager sa tâche à un grand nombre de commissaires, qui, agissant chacun isolément, se surveilleront eux-mêmes, ainsi que la caisse-d'escompte, sans même voir ses registres. Si l'assemblée nationale n'étoit composée que de cinquante membres, il y a long-temps qu'elle seroit corrompue elle l'est de 1200, et elle est incorruptible.

Je proposerois donc de nommer un commissaire par district, lequel distribueroit chaque jour dans son arrondissement pour 5 mille francs de numéros, plus ou moins, suivant que le quartier seroit plus ou moins commerçant. Ces commissaires, ayant beaucoup plus près d'eux ceux à qui les numéros se distribueroient, surveilleroient plus exactement ceux qui feroient des demandes, et jugeroient beaucoup mieux qu'un lieutenant de maire, unique pour tout Paris, de la légitimité de

ce commerce.

Je conçois, messieurs, que l'aristocratie va décrier ce moyen, en déclamant contre les districts; mais moi qui, dans l'ordre ordinaire des choses les croirois très - nuisibles, je ne les regarde pas moins, dans les circonstances présentes, comme les seuls soutiens de la liberté. Je m'applaudis de voir tant d'yeux ouverts sur ceux qui sont intéressés à faire manquer la révolution; et voilà pourquoi précisément je voudrois encore appeler ces yeux sur les opérations de la caisse d'escompte. Les districts ont été et seront jusqu'à la fin les vrais libérateurs de la France, et j'en donne pour preuve les déclamations même de l'aristocratie.

J'ai l'honneur d'être très - parfaitement, Messieurs, votre très humble et très - obéissant serviteur, SALLE, docteur en médecine, député de Lorraine.

Paris, ce 18 janvier 1790.

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A Messieurs les Auteurs des Révolutions de Paris;

MESSIEURS,

L'ame se resserre en lisant, à l'époque même de la liberté, des lettres semblables à celle que M. Mosneron de Launay a insérée dans le Supplément du Journal de Paris du 24 janvier. Il calomnie un quart de l'espèce humaine, l'Afrique toute entière, pour justifier et perpétuer le commerce atroce ec l'infernale antropophagie de deux ou trois cents piopriétaires d'habitations dans nos fles. Mon nom n'est inscrit dans aucune association particulière; je ne le sigue a moins avec confiance ; et messieurs les colons, quelque formidables qu'on les annonce, ne me font pas peur. Je ne suis que de la très-nous velle société de la commune de Paris, à qui la Franco doit à ce moment la société nationale, et à qui l'uni vers devra un jour la société du genre humain; mais celle des amis des noirs est trop conforme aux vues de la nature et de l'humanité, pour que toutes les ames justes et sensibles ne lui soient pas unies d'es

time et d'amour.

Les quatorze dépositions juridiques faites à la barre du parlement d'Angleterre, contre 4 ou 5 cents millions d'hommes qui couvrent les immenses contrées de l'Afrique, ou qui les couvriroient du moins sans l'horrible dépopulation occasionnée par la traite, ne méritent qu'une indignation profonde. La permission de ce parlement, de traiter cing nègres pour trois tonneaux, peut être comptée au nombre des graves erreurs d'un peuple qui a jusqu'à présent plus estimé l'argent que les hommes, plus le commerce que la justice, plus sa vicieuse rep sentation de la liberté que la liberté même, plus Londres que l'univers.

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On a déjà tant répondu aux objections repro-, duites par M. Mosneron de Launay contre la sup pression de ce commerce infâme, qu'il est superflu N°. 29. F

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