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bonheur commun, s'il vous a appris à accorder un peu d'estime à un caractère inaccessible à l'inté rêt, à la crainte, à toute autre passion qu'à celle d'être toujours juste, je vous conjure de commencer par douter de tout ce que vous allez lire, d'y réfléchir, et de prononcer ensuite au fond de vos cœurs entre moi et ceux à qui vous avez accordé une confiance tellement aveugle, que c'est, en quelque sorte, un crime de lèse-nation que d'oser effacer quelques-unes des glorieuses épithètes dont vous surchargez le piédestal de leurs statues.

Je vais vous rendre compte de l'affaire du district des Cordeliers; car vous verrez bientôt que le sieur Marat n'étoit qu'un prétexte pris pour étouffer la voix d'une agrégation de citoyens qui se permettoit d'appeller les représentans de la commune des mandataires provisoires, qui ne plioit point sous l'aristocratie de l'état-major parisien, et dont le patriotisme actif et brûlant étoit un des plus grands obstacles qu'on eût à vaincre pour établir la dangereuse coalition des impartiaux qui a fait en peu de jours des progrès dont vous n'aurez pas de peine à deviner la cause.

Citoyens je ne vous parlerai que les pièces prokontes à la main! Je se vil si je faisois autre

ent. Dans ce qui sera de pur raisonnement, chacun de vous a deux règles sûres pour ne pas se tromper; c'est de consulter tour-à-tour son esprit et son cœur, et de n'adopter aucun résultat qu'ils ne soient parfaitement d'accord.

Je dois aussi vous dire avant tout, citoyens, qu'un écrivain a nécessairement trois objets en vue, les principes, les personnes et les choses. S'il varie, ou s'il foiblit sur les principes, méprisez-le sans retour; mais s'il ne varié que sur les hommes et les choses, ne vous hâtez pas de le taxer de contradiction: examinez auparavant si ce ne sont point les hommes et les choses qui ont changé.

Souvenez-vous, citoyens, que les aristocrates,

vaincus par notre patriotisme et notre persévérance, ont senti la nécessité de renoncer à quelques-unes de leurs prétentions, afin de soutenir les autres, et qu'ils ont formé une nouvelle coalition, sous le titre de modérés ou d'impartiaux. Souvenez-vous que leur première démarche a été d'envoyer une députation à M. de la Fayette, pour conférer sur les moyens de faire transiger les deux partis, comme si la liberté pouvoit jamais s'allier à la servitude. Il a été dit dans toute la ville et écrit dans plusieurs journaux, sans que le fait ait été jamais désavoué, que les conférences s'étoient tenues chez M. le duc de la Rochefoucault, où se trouvèrent avec lui MM. de la Fayette, de Liancourt, de la Tour-Maubourg; et pour les aristocrates, MM. Malouet, Virieux, Boufflers, Redon, l'évêque de Nancy. Peu de temps après a paru la lettre des impartiaux, contenant leurs propositions aux patriotes.

Souvenez-vous qu'on travaille depuis long-temps, et par toutes sortes de voies, à soustraire le sieur de Bezenval, non-seulement aux supplices, mais aux flétrissures que ses forfaits lui ont mérités, et que les seigneurs patriotes ne sont point éloignés de servir ce projet, si cher à la cour, parce qu'il est agréable de tenir aux deux partis à la fois.

Souvenez-vous que, parmi les écrivains patriotes, celui sur la tête duquel il falloit frapper pour les effrayer tous, étoit le sieur Marat, parce que son courage alloit jusqu'à la rage, et que sa conviction se changeoit quelquefois en délire.

Souvenez-vous que, de tous les patriotes parisiens, ceux qui se sont montrés avec le plus de chaleur, de tenue et de prudence, ce sont ceux qui composent le district des Cordeliers; que leurs sages et vigoureux arrêtés ont souvent heurté les prétentions des mandataires provisoires de la commune, du maire provisoire et du commandantgénéral; que ce district s'est opposé autant qu'il l'a pu à Pérection de plusieurs nouveaux corps

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soldés, dont on n'a que faire dans une ville peuplée de trois cent mille hommes en état de porter les armes; et qu'enfin il n'étoit pas possible de composer avec lui, ni pour le compte des impartiaux, ni pour celui de l'autorité arbitraire, tant municipale que militaire, que l'on a établie au milieu de nous, sans que nous ayons voulu nous en appercevoir.

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Souvenez-vous que ce seroit un poste bien flatteur pour l'ambition et l'amour-propre d'un simple citoyen, de se trouver l'arbitre d'une aussi belle révolution, de tenir le sort de l'état en ses mains, de diriger les deux partis, l'un par l'espoir, et l'autre l'idolâtrie.

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Souvenez-vous que le sieur Marat avoit tancé plus d'une fois le sieur Boucher d'Argis et le châtelet, le maire et le collége municipal, le commandant général et l'état-major, et qu'il avoit même osé, libre comme un journaliste anglois, dire son opinion sur la capacité, sur le coeur, sur l'esprit du 'ministre adoré.

Et voyez qu'en arrêtant le sieur Marat, on en le mettant en fuite, en se jouant d'un arrêté du district des cordeliers, ou en le réduisant par la force à l'abandonner, on obtenoit d'un seul coup une foule d'avantages; opprimer l'écrivain, sé venger du district, affermir l'autorité arbitraire, forcer les écrivains patriotes au silence à la veille des élections, enfin flatter les impartiaux de quelque espoir, en frappant à coups redoublés sur les francs patriotes. Voyez maintenant toutes les circonstances qui ont accompagné cette affaire,

Le sieur Marat étoit décrété de prise de corps, dès le 8 octobre; depuis ce temps il publioit sa feuille. Il étoit chez lui; une nouvelle loi criminelle mettoit sa liberté individuelle à l'abri de toute atteinte.

On se présente chez lui pour l'arrêter une première fois, même sans le déeret en forme ; il en est informé, il se plaint. Le district des cordeliers croit

de sa justice de prévenir l'exécution des décrets illégaux et des ordres arbitraires dans son arrondissement; il crée quatre commissaires conservateurs de la liberté, non pour suspendre, mais pour viser les actes de justice emportant prise de corps. Cet arrêté est adressé à la commune et aux autres districts.

Peu de jours après le 21 janvier, le tribunal dù châtelet se concerte avec le maire et le commandant général pour faire arrêter le sieur Marat, sans remplir la formalité établie par le district.

Le commandant général charge le sieur Carle, commandant du bataillon du district des Barnabites, maintenant de Henri IV, non pas seulement de prêter main-forte aux huissiers, car il n'auroit fallu pour cela que commander un simple détachement, et il étoit naturel de le prendre dans le bataillon des cordeliers; mais de conduire sur le district des cordeliers un corps de troupes assez fort pour que les huissiers pussent exécuter, malgré le pouvoir civil et les forces militaires de ce district, la capture du sieur Marat.

Lestroupes ont filé; la cavalerie, partagée en plusieurs corps, a occupé la place du théatre français, et les rues aboutissantes au lieu où se tient l'assemblée générale du district des Cordeliers: l'infanterie occupoit le carrefour de Bussy, et toute la rue des Fossés St.-Germain-des Près; le corps de réserve, consistant en un corps. de cavalerie, étoit au bas du pont-neuf, du côté de la rue de la Monnoie.

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Les huissiers se sont présentés chez le sieur Marat; le détachement du district des Cordeliers, qui occupe un corps-de-gardé dans la même maison, les a arrêtés, les a invités à requérir le visa des conservateurs de la liberté. Les commissaires convoqués ont paru, ils ont discuté la nature du décret avec le commissaire Fontaine et les huissiers. L'assemblée générale du district a été convoquée; les

huissiers s'y sont présentés. «(1)Le district a arrêté par procès-verbal que non-seulement ils ne viseroient pas notre décret, et ont même rayé le visa et les signatures qu'ils y avoient déjà apposées, mais même s'opposeroient de toutes leurs forces à l'exécution d'icelui, attendu qu'il n'étoit point conforme au décret de l'assemblée nationale dudit jour 8 octobre dernier; et, sur la représentation que nous leur avons faite que ce décret étant rendu antérieurement à la sanction et à la publication, il ne pouvoit point être dans les nouvelles formes, que ce seroit donner un effet rétroactif aux décrets de l'assemblée nationale, qui ne l'a point entendu à quoi ils nous 'ont répondu qu'ils n'en souffriroient point l'exécution....qu'ils alloient nommer des commissaires, pour aller en députation à l'assemblée nationale faire statuer sur les difficultés qui venoient dè s'élever. Par respect pour l'assemblée nationale, crainte, d'être cause d'une révolution, et par prudence, nous n'avons pas cru devoir prendre sur nous d'exécuter le décret à force ouverte ».

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Les huissiers sé retirèrent; le vice-président fut envoyé pour veiller à ce que, dans leur retraite ils n'éprouvassent aucune insulte. « La vice-président étant parvenu au corps - de -garde avec les huissiers (2), survint le sieur Carle, commandant du bataillon, qui investit et occupe le territoire du district des Cordeliers, auquel ils notifièrent leur retraite et le référé à l'assemblée nationale. Alors le sieur Carle, manifestant un mécontentement extrême, et entrant dans la discussion au fond, a fini par demander si nous prétendions le juger. Je lui ai répondu qu'il n'appartenoit pas au pouvoir exécutif d'argumenter pour se conserver la faculté de faire une capture, lorsque le

(1) Extrait du procès-verbal des huissiers. (2) Pieces justificatives publiées par le district des Cordeliers, cinquième pièce, page 11 ob 12.

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