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venir les révolutions dans tous les âges, par un établissement autant nécessaire que glorieux; (car alors il n'y avoit aucune apparence du rétablissement heureux des états-généraux) mais encore de réparer efficacement tous les maux présens, aussi bien qu'à en écarter à jamais de semblables pour l'avenir.

Mon paquet fermé, soupçonnant que le baron ne m'envoie chercher que pour me surprendre et m'envoyer pour me receler dans une autre prison de son ordre, je me hate de souper, de barricader ma porte en dedans, et de fermer l'entrée de ma chambre à l'officier, en cas que son dessein soit de me faire violence, pour m'enlever de force durant la nuit, sauf à ne lui parler que par le guichet, L'ordre qu'il avoit reçu du comte de Vergennes et du baron de Breteuil, portoit en effet de me tirer de ma chambre par violence mort ou vif, pourvu que l'officier prétendu ne courût pas de danger; et il étoit chargé de se faire aider, en cas de besoin, par cent quatre soldats invalides, inutilement préposés à grands frais à la garde des fossés et du pont-levis du donjon. Cette garde seule, dans l'espace de soixante-dix ans, avec celle de la Bastille, a coûté 3 millions 500,000 livres, pour l'ostentation de garder vingt ou trente prisonniers d'état qui n'avoient point besoin de garde, puisqu'ils étoient enfermés séparément un à un, sous trois portes énormes; ferrées en dedans et en dehors, sans sortir ni voir jamais personne.

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A onze heures et demie de nuit arrive le prétendu officier du baron, avec deux estafiers, ses domestiques, en petit uniforme de marine, mais lui, portant habit bleu, boutons d'argent aux armes de France. On me l'annonce à travers les portes. Ouvrez le guichet de la mienne par derrière, ré pondis-je, afin que je le voie et lui parle. Vous êtes, Monsieur, m'a-t-on dit, envoyé par M. le baron de Breteuil, pour m'emmener chez lui, à Versailles, au lieu de venir lui-même me visiter; cela est-il

vrai et même possible? Oui, Monsieur, répond Súrbois, je suis l'envoyé de M. le baron de Breteuil, ministre de Paris, qui, surchargé d'affaires en ce moment, vous fait proposer de vous rendre chez lui dans une bonne chaise de poste. Il ne m'a pas fallu plus de deux heures pour venir, et il ne me faudra pas plus de temps pour retourner à la cour, si vous voulez venir avec moi. Pour beaucoup de raisons, je ne puis profiter de l'invitation de M. le baron: mon geolier vous a pu dire qu'il me laisse, dans le plus rude temps de l'année, manquer de vêtemens, de bois et de chandelles, pendant qu'il reçoit 3600 liv. de pension par an du trésor royal pour chaque prisonnier, Dites à M. le baron que je suis nu, exténué des tyrannies de deux démons, le Noir et Rougemontagne, fatigué de mes travaux journaliers, privé de temps en temps de nourriture par leur excessive méchanceté, toujours claquemuré et cloîtré, abandonné de tout le monde ; que, faute de prendre l'air, ma santé en est affoiblie; que tous les secours qui me sont dus me sont refusés par ce despote geolier, et par le démon négritien, fils de gens de néant; que je l'accuse de mille forfaits et scélératesses, qui l'ont fait monter et remonter en police pour être chef d'une multitude de bandits et de scélérats. C'est ce que je vous prie de déclarer de ma part au ministre, en lui observant que j'ai chez moi des ouvrages que je ne puis abandonner aux rapines de Rougemont. Mais, pour que votre voyage ne soit pas tout-à-fait inutile ni infructueux, voici un paquet que je viens de faire à la hâte pour le ministre; il en enferme un autre de la plus grande conséquence pour le roi et pour l'état. Je ne savois pas encore que je parlois à Royer Surbois, inspecteur de police, qui m'étoit inconnu; et ce paquet, que je lui remettois, étoit mon plan d'université loyale, civile, politique économique et morale, en deux parties.

La suite à l'ordinaire prochain.

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ASSEMBLÉE NATIONALE.

Séance du mardi soir 16 mars.

DECRET SUR LES LETTRES DE CACHET,

t « L'assemblée nationale étant enfin arrivée au moment heureux d'anéantir les ordres arbitraires, de détruire les prisons illégales, et de déterminer une époque fixe pour l'élargissement des prisonniers qui s'y trouvent renfermés, à quelque titre ou sous quelque prétexte qu'ils y aient été conduits »;

« Considérant la nécessité de donner le temps aux parens ou aux amis de ceux qui sont encore détenus, de concerter les arrangemens qu'ils croiront devoir prendre, à l'effet de leur assurer une situation convenable et tranquille, et de pourvoir à leur subsistance >> ;

« Considérant encore que, parmi les prisonniers enfermés en vertu d'ordres arbitraires, il en est qui ont été préalablement jugés en première instance, ou qui sont seulement décrétés de prise de corps, ou contre lesquels il a été rendu plainte en justice, et dressé des procès-verbaux tendans à constater un corps de délit ; enfin, qu'il s'en trouve quelques-uns que leur famille a déférés à l'administration, comme coupables de faits très-graves, que l'on a cru certains et suffisamment avérés » ;.

« Considérant qu'il est juste de tenir compte des rigueurs d'une longue détention à ceux même qui seroient reconnus coupables de crimes capitaux, et d'allier à leur égard les ménagemens inspirés par l'humanité, à l'exactitude que la justice, l'intérêt de la société et celui des individus forcent à porter dans la recherche, la condamnation et la punition des délits constans, régulièrement pour suiyis, et complettement prouvés »;

« Considérant enfin qu'il est nécessaire de pre

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longer la détention de ceux qui sont enfermés pour cause de folie assez long-temps pour connoître s'ils doivent être mis en liberté, ou soignés dans des hôpitaux établis, inspectés et dirigés avec cette vigilance, cette prudence et cette humanité qu'exige leur triste situation »;

« A décrété et décrète ce qui suit ;

ART. I. « Dans l'espace de six semaines après la publication du présent décret, toutes les personnes détenues dans les châteaux, maisons religieuses maisons de force, maisons de police, ou autres prisons quelconques, par lettres de cachet, ou par ordre des agens du pouvoir exécutif, à moins qu'elles ne soient légalement condamnées ou décrétées de prise de corps, qu'il n'y ait eu plaintes en justice portées contr'elles, pour raison de crimes emportant peine afflictive, ou que leurs père, mère, aïeul ou aïeule, ou autres parens réunis, n'aient sollicité et obtenu leur détention, d'après des mémoires et demandes appuyés sur des faits très-graves, ou enfin qu'elles ne soient renfermées pour cause de folie, seront remises en liberté »,

II. « L'assemblée nationale n'entend comprendre dans la disposition du précédent article les mendians et vagabonds enfermés à temps, en vertu de sentence d'un juge, ou sur l'ordre des officiers de police, et autres ayant caractère pour l'exécution des réglemens relatifs à la mer dicité et à la sûreté publique, à l'égard desquels il n'est rien innové quant à présent ».

III. « Ceux qui, sans avoir été jugés en dernier ressort, auroient été condamnés en premiere instance, ou seulement décrétés de prise de corps, comme prévenus de crime scapitaux, seront conduits dans les prisons des tribunaux désignés par la loi, pour y recevoir leur jugement définitif », IV. « A l'égard des personnes non-décrétées contre lesquelles il y aura eu plainte rendue en justice, d'après une procédure tendante à consater un corps de délit, il leur sera libre de de

mander à être jugées, et alors elles ne pourront sortir de prison qu'en vertu d'une sentence d'élargissement. Dans le cas où elles renonceroient à se faire juger, l'ordre de leur détention sera exécuté pour le temps qui en reste à courir, de manière. toutefois que sa durée n'excède pas six années ».

V. « Les prisonniers qui devront être jugés en vertu des deux articles précédens, et qui seront condamnés comme coupables de crimes, ne pourront subir une peine plus sévère que quinze années de prison, excepté dans le cas d'assassinat, de poison ou d incendie, où la détention à perpétuité pourra être prononcée; mais, dans ces cas même, les juges ne pourront prononcer la peine de mort ni celle des galères perpétuelles ».

seront

« Dans les quinze années de pri on comptées celles que les prisonniers ont déjà passées dans les maisons où ils sont détenus ».

VI. « Quant à ceux qui ont été enfermés sur la demande de leur famille, sans qu'aucun corps de délit ait été constaté juridiquement, sans même qu'il y ait eu de plainte portée coutr'eux en justice, ils obtiendront leur liberté, si, dans le délai de trois mois, aucune demande n'est présentée aux tribunaux, pour raison des cas à eux imputés »

VII. « Les prisonniers qui ont été légalement condamnés à une peine afflictive, autre toutefois que la mort, les galères perpétuelles, ou le bannissement à vie, et qui, n'ayant point obtenu de lettres de commutation de peine, se trouvent renfermés en vertu d'un ordre illégal, garderont prison pendant le temps fixé par l'ordre de leur détention, à moins qu'ils ne demandent eux-mêmes à subir la peine à laquelle ils avoient été condamnés par jugement en dernier ressort; et cependant aucune détention ne pourra jamais, dans le cas exprimé au présent article, excéder le terme de dix années, y compris le temps qui s'est déjà écoulé depuis l'exécution de l'ordre illégal »;

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