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général de la province et de la France, et à l'établissement de la constitution.

par

Ineptie et mauvaise foi, voilà la défense des lementaires. On est presque fàché de voir que l'assemblée ait porté contr'eux un décret sérieux. Il falloit leur permettre d'étre mauvais citoyens, et les vouer au mépris public, au lieu d'attacher quelque prix à leur conversion.

L'assemblée nationale avoit droit d'attendre qu'un décret par lequel elle écrasoit l'aristocratie par, lementaire, plairoit aux patriotes; le contraire est précisément arrivé. Les aristocrates ont tant répété qu'il étoit contraire à la liberté, que l'assemblée na tionale jugeât et punit les magistrats bretons, qu'ils ont réussi à le persuader aux plus grand nombre.

J'aime à voir ce mouvement d'inquiétude dans les patriotes. Il prouve combien la liberté leur est chère, combien ils sont éloignés de se laisser asservir par le corps législatif; mais, par quel événement arrive-t-il qu'ils conçoivent des alarmes d'un décret qui ne compromet point la liberté publique, et qu'ils n'en ont pas témoigné lorsque l'assemblée a décrété que la volonté seule du corps législatif suffisoit pour faire la loi, même contre la volonté de la nation; lorsqu'elle a substitué un conseil général des communes aux assemblées gé, nérales des communes ; lorsqu'enfin elle a réduit les droits des citoyens actifs, qui consistent à ratifier en personne la loi et l'impôt, à la seule faculté d'élire?

Ces principes immuables du pacte social, que l'assemblée nationale a transgressés,sont cependant bien moins méthaphysiques, bien plus faciles à saisir, que celui de la division des pouvoirs politiques. Et leur violation est bien autrement dangereuse, puisque le systême de la représentation absolue ne nous donne qu'une liberté factice et une servitude réelle, tandis que l'interversion des pouvoirs, n'est qu'un despotisme factice, que la loi elle-même peut ordonner. C'est ainsi que, dans

la constitution romaine, lorsqu'on nommoit un dictateur, ce qui avoit presque toujours lieu quand un criminel de lèze-nation mettoit la patrie en danger, tous les pouvoirs se trouvoient réunis en sa main (1).

Il ne faudroit donc pas vous alarmer, citoyens, quand l'assemblée nationale auroit fait un acte de dictature envers le parlement de Rennes. Le salut de l'état est la supréme loi. La dictature n'avoit pas une autre cause chez les Romains. On les cite toujours, quand il s'agit de liberté; ce sera nous qu'on citera un jour; ce sera nous qui deviendrons foracle des peuples libres, si nous ne portons pas l'incurie et la stupidité jusqu'à croire qu'il ne peut y rien avoir de mieux que la souveraineté représentative et le marc d'argent.

Ces parties de la constitution, et la distinction entre le pouvoir constituant et le pouvoir législatif, paroîtront avant peu de temps des absurdités insoutenables aux membres de l'assemblée, qui, n'étant encore que frottés d'esprit public, en seront alors imprégnés; il n'y a véritablement qu'un seul pouvoir (2), le pouvoir national: on le divise en

(1) Vide no. 16, page 7. J. J. dit bien que ce magistrat pouvoit tout faire, excepté des loix, c'est-à-dire, des loix qui survécussent à son exercice mais sa volonté tenoit lieu de loix, ce qui est bien pire.

(2) Nos politiques ne pouvant diviser la souverai neté dans son principe, la divisent dans son objet; ils la divisent en puissance législative et exécutive, en droit d'impôts, de justice et de guerre, etc...." Tantôt ils confondent toutes ces parties, et tantôt ils les séparent. Les charlatans de la Chine dépendent, dit on, un enfant aux yeux des spectateurs; puis, jettant en l'air tous ses membres l'un après l'autre, ils font retomber l'enfant vivant et tout

pouvoir législatif et exécutif; celui-ci se divise encore en pouvoir administratif et judiciaire.

On sent bien que la masse du pouvoir national ne peut pas se partager de manière qu'ils soient entièrement séparés; il faut bien qu'ils se touchent en quelque point, puisqu'ils sont la même chose considérés sous différens points de vue.

Quand le corps social, c'est-à dire le peuple, délègue son pouvoir, soit pour exécuter, soit pour juger, soit pour faire des loix, il le fait toujours selon cette règle : Qui veut la fin, veut aussi les moyens. Ainsi, en déléguant son pouvoir à des représentans, par exemple, pour faire des loix, il leur donne, sans avoir besoin de l'exprimer, la portion du pouvoir exécutif ou judiciaire, sans laquelle il ne pourroit faire des loix.

Cest d'après cette théorie que j'ai démontré cidevant (1) que l'assemblée nationale devoit seule juger les criminels de lèze-nation; car, si elle ne le faisoit pas, le tribunal chargé de les punir n'avoit qu'à se réunir au pouvoir exécutif, pour tuer le corps législatif, en légitimant tous les attentats du gouvernement contre les membres du corps législatif. Cette doctrine trouva beaucoup de contradicteurs : elle sembloit devoir être étayée par le décret de l'assemblée nationale contre le parlement de Rennes, puisque, dans cette occasion, l'assemblée nationale ayant jugé les parlementaires, et leur ayant infligé une peine, elle a exercé le pouvoir législatif.

Ce n'est pas, comme l'a prétendu M. Barnave, en vertu du pouvoir constituant, qui n'est autre chose

rassemblé. Tels sont à peu près les tours de gobelets de nos politiques. Après avoir démembré le corps social par un prestige digne de la foire, ils rasseinblent les pièces on ne sait comment. Contrat social,

(1) Vide, no. 17; pag. 27.

que

ue le pouvoir législatif, que l'assemblée a jugé et uni les parlementaires de Rennes. «< Quiconque reçu un pouvoir public, disoit cet estimable puliciste, a reçu avec ses fonctions les moyens de epousser ceux qui l'usurpent (1). A ce compte, le parlement de Rennes ayant reçu le pouvoir judiciaire, et le Châtelet, celui de juger les criminels He lèze nation, auroient pu repousser le corps législatif qui s'avisoit d'usurper leurs fonctions.

Le point de la difficulté est que le crime de lèze-nation ne peut être réprimé que par le pouvoir national, c'est-à-dire, par un acte complexe des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

Le pouvoir judiciaire seul n'atteint que les crimes commis de citoyens à citoyens ; il n'a trait qu'aux intérêts privés. Il est borné par sa nature à prévenir ou punir les troubles privés de sujet à sujet. On voit bien que le crime qui attaque le souverain ne peut pas être mis dans la même classe, et que le souverain ne doit pas remettre le soin de protéger sa vie à un collège de magistrat, c'est-à-dire, à un corps qui tendroit à s'agrandir, au préjudice de l'autorité souveraine (2). La haute cour nationale, par exem

(1) Videle Point du Jour, No. 181, pag. 396.

(2) Nos parlemens ne se sont pas agrandis autrement. De simples jugeurs s'étoient érigés en représentans de la nation. Ils se disoient des étatsgénéraux au petit pied; ce qui n'arriva que parce qu'on leur laissa juger les causes qui intéressoient la nation, et qu'ils étoient inamovibles.

Ce n'est pas en France seulement que ceci est arrivé: voici un passage de Tite-Live, qu'on pourroit croire avoir été pris dans l'histoire de France. Or, il s'agit de celle de Carthage. « L'ordre des juges jouissoit alors à Carthage d'une autorité absolue, principalement parce qu'ils étoient juges perpétuels; ils disposoient de la propriété, de la réputation, de la No. 27.

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ple, composée de juges à vie, seroit bientôt le souverain; elle feroit en trois mois les progrés que les parlemens auroient fait en trois siècles.

Le pouvoir exécutif seul ne peut être chargé de punir le crime de lèze-nation, puisqu'étant luimême le plus souvent, et presqu'inévitablement coupable de lèze-nation, il ne pourroit pas se punir lui-même ; il absolveroit ses agens d'un crime qu'il tournéroit toujours à son profit.

Enfin le pouvoir législatif seul ne peut être chargé de punir le crime de lèze-nation; car une loi ne porte que sur un objet général, et il faut nonseulement statuer sur un cas particulier; savoir, qu'un tel est coupable; mais aussi infliger la peine, ce qui est un point d'exécution.

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vie de tous les citoyens. Quiconque en avoit un pour ennemi, les avoit tous. Annibal exposa devant. le peuple assemblé qu'ils avoient anéanti les loix et le pouvoir exécutif. Voyant que son discours faisoit impression, et que les derniers citoyens eux-mêmes, ne vouloient plus souffrir les atteintes portées à leur liberté, il proposa, et fit passer sur le champ une loi, portant que les juges seroient élus tous les ans, et et que nul ne put être continué deux ans de suite. Liv. Decad. 4, liv. 3.

Ainsi Annibal fit une révolution, en abolissant les juges à vie, et le comité de constitution veut établir la révolution en créant des juges à vie. Les états libres d'Italie craignent tellement l'activité du pouvoir judiciaire. contre le pouvoir souverain, qu'ils prennent des étrangers pour juges, et qu'ils les changent tous les cinq ans. L'histoire est le fondement de toute bonne politique; le comité travaille ses plans comme s'il n'y avoit pas d'histoire. Les juges à vie et la haute cour nationale sont contraires à la liberté. Ces monstres politiques n'ont jamais existé chez des peuples libres.

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