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l'obligeoient, & croyoit appercevoir quel quefois des ennemis fecrets dans fes amis les plus déclarés. Il pouvoit donc, avec la meilleure envie d'être reconnoissant, mécontenter ceux qui s'employoient en fa faveur, & leur donner lieu de le regarder comme un ingrat. Dès lors il n'est pas étonnant que des gens qui comptent l'avoir obligé, qui fe croient payés d'ingratitude, qui favent qu'il exifte des Mémoires de cet homme ombrageux, où ils ont lieu de croire que fa prévention les a peints de noires couleurs, cherchent à décréditer ces préventions défavorables, en laiffant appercevoir les idées peu avantageufes qu'ils ont eux-mêmes fur fon compte. Ce n'est donc pas une noirceur de la part de M. d'Alembert d'avoir laiffé échapper un mot fur cet objet, ni même de la part de fon Collegue, plus impétueux, de s'être exprimé avec plus de violence; & des gens qui paffent leur vie à écrire du mal de tous ceux qui leur déplaifent, & qui donnent des nausées au Public, en déclamant fans cefle contre le Sécrétaire de l'Académie, doivent-ils relever une ligne, quand ils font des volumes de médifances?

Je ne fais ce que c'eft que ces Mémoi

res; ils doivent être écrits avec une grande chaleur, avec une éloquence pénétrante. On en cité des traits & des actions qui feroient en vérité d'un mal-honnête homme, fi M. Rouffeau avoit pu en être coupable. D'un autre côté, on a une lettre de M. Doratqui, enthoufiafmé de la lecture de cet Ouvrage, dans fon transport, regarde cet Ecrivain comme le premier des hommes tant les fautes s'affoibliffent peut-être quand le coupable les avoue tant elles contribuent même à intéresser en fa faveur !

Reconnoiffons cependant la probité de M. Rouffeau; même à l'occafion de fes Mémoires. Il les avoit confiés, dit on, à un ami sûr, en lui impofant la loi de ne les publier qu'après que tous ceux qui peuvent y être compromis n'exifteroient plus. Gardons-nous de juger mal d'un grand homme, & de lui attribuer de mauvaises actions. L'autre Rouffeau n'a-t il pas été justifié trop long-temps après fa mort? Un malheureux qui avoit compofé les fameux Couplets qu'on mit fur fon compte, n'a-t-il pas avoué en mourant entre les mains de M. Languet, Curé de S. Sulpice, qu'il en étoit l'Auteur? Ce Pasteur

exigea

exigea, dit on, que la confeffion fût publique; mais on ne s'eft pas empreffé de la publier. Le grand Rouffeau a traîné une bonne partie de fes jours dans l'exil, flétri par un Arrêt du Parlement.

CHAPITRE IV.

TANDIS

Voltaire.

pour

ANDIS qu'on attaquoit Jean Jacques, on célébroit Voltaire. S'il avoit contre lui quelques Anti-Philofophes, il avoit lui toute l'Europe. On donna aux François, dès le commencement de l'année la petite Comédie des Mufes rivales, fondée fur l'univerfalité des talents du Poète Philofophe, où toutes ces Déeffes le cou. ronnent à l'envi. L'Auteur garda quel que temps l'anonyme. La Piece eut un vrai fuccès: le Public, en l'applaudiffant, paroiffait charmé de faire en quelque fa çon fa cour à l'ombre de Voltaire. On l'attribua à différentes perfonnes, entre autres à M. de la Harpe, qui voulut bien enfin s'avouer pour l'Auteur, & prêter fa tête aux lauriers. Cette jolie bagatelle B

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parut quelque temps après, imprimée avec cette Epigraphe ;

Difcite juftitiam moniti.

On crut voir là du deffein. M, de la Harpe fe trouvoit relevé par ce triomphe de plufieurs chûtes précédentes. Il étoit naturel qu'il attribuât ces petites difgra ces à l'envie qu'il excitoit. Ici, pour dé router les méchants, il avoit gardé le fecret pendant deux jours, & il réuffiffoit; donc tout avoit été ci-devant l'ouvrage de fes ennemis.

· Le vers de Virgile,

Difcite juftitiam moniti, & non temnere divos.

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veut dire littéralement: A préfent que ≫ vous êtes bien avertis, apprenez à rendre juftice, & à ne pas méprifer les Dieux ». Cette juftice pouvoit être relative à Voltaire; l'Auteur de la Comédie d'ailleurs ne citoit que le commencement du vers; mais le Public fuppléoit le refte, & fourioit du petit Dieu, qu'on fembloit vouloir préfenter à fon refpect. Au refte; on a justifié M. de la Harpe fur cet article.

On rendit un autre hommage à fon Héros dans la loge des neuf Sœurs, où ce grand homme avoit été reçu Franc-Maçon

peu de jours avant fa mort. La fête fut, dit on, brillante. Ce qui fe pafle dans ces affemblées étant un myftere, nous laifferons le voile étendu là- deflus. Le zele des Freres fut moins heureux que celui de M. de la Harpe. La fête, felon quelques perfonnes, fut interprétée défavantageufement; on y crut voir une efpece. d'apothéofe, & cela valut, dit-on, ou contribua de valoir à la loge une interdiction. Je ne garantis pas ce fait.

Ainfi Voltaire mort avoit en France une fortune affez traverfée. Shakespear, ce génie fi fort & fi agrefte, qu'il s'étoit permis de critiquer, avoit lui même chez nous, quant à fes Ouvrages, des fortunes. diverfes. M. le Tourneur le traduifoit fort bien. Le Poète Young, ce fublime pleureur d'enterréments, qui ne parle que de l'Eternité au milieu des tombeaux, avoit

eu,

quelques années auparavant, un fuccès complet chez le Peuple fi gai, fi frivole de Paris, qu'on accufe de s'occuper

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peu des tombeaux, & même de l'Eter nité. Il n'en a pas été de même du grand Tragique Anglois; les uns l'ont mis dans les nues, les autres dans la boue, & fes Ouvrages fourniffent matiere pour deux traitements fi différents. Il venoit de per

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