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Je supplie donc qu'en lisant le titre de mon livre, on ne se hâte ni de douter de sa véracité, ni d'en attribuer la pensée à qui elle n'appartient pas.

Le fait est, et je le confesse tout d'abord, que je suis coupable d'une indiscrétion, peutêtre dira-t-on d'un abus de confiance. Et cependant, je sens que ma conscience s'en glorifie comme d'une bonne action de citoyen.

Au fait, des lettres inédites, des pensées intimes, des rapports à huis-clos, prédominent dans cet ouvrage; et ces lettres, ces pensées, ces rapports appartiennent souvent aux deux hommes que la révolution de juillet a saisis, les premiers, des nouveaux destins de la France. Comment donc concevoir que de tels enseignemens (car ce sont de vrais et grands enseignemens) soient descendus jusqu'à moi, simple journaliste? Quelques mots sur ma position individuelle, avant et après la révolution de juillet, suffiront, je l'espère, pour expliquer cette énigme.

Honoré, dès ma jeunesse, de la précieuse amitié de M. de Lafayette, j'avais, depuis longtemps, recueilli de sa bouche, ou emprunté à ses souvenirs écrits, des notes sur les circonstances les plus importantes et les traits les plus caractéristiques de sa longue et noble carrière.

Mon but était de suppléer un peu au vide immense que l'absence de ses Mémoires laissera peut-être dans les annales de notre pays; car, ni le soin de sa renommée, ni l'intérêt de l'histoire, ni les pressantes sollicitations de ses amis, n'ont pu, jusqu'ici, le déterminer à se livrer à cet important travail. Quelques éclaircissemens sur des points peu ou mal connus de sa vie politique, quelques redressemens d'erreurs historiques, voilà tout ce que nos vives instances pouvaient obtenir de son patriotisme tout actuel, tout positif, mais peu soucieux de lui-même.

Les notes dont je viens de parler restaient éparses dans mon portefeuille, lorsque l'explo

A.

sion de juillet vint, ponr la seconde fois, placer Lafayette à la tête d'une grande révolution.

Cet événement prodigieux rendit plus fréquens et plus intimes les rapports que la bonté du général avait bien voulu laisser s'établir entre lui et moi, et, pour comble de bienveillance, il me fit l'honneur de me nommer son aide-de-camp. Ami et aide-de-camp de Lafayette, depuis les jours de l'Hôtel-de-Ville, jusqu'à celui de sa démission, on conçoit tout ce que j'ai dû voir et apprendre. Ce que j'ai vu, ce que j'ai appris, voilà mon livre.

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Cependant, cette faveur ne m'imposait que des devoirs de circonstance; ma condition d'écrivain n'était point changée mes projets restaient les mêmes, et le désir d'esquisser le caractère du grand citoyen que j'avais sous les yeux, ne fit naturellement que s'accroître avec les nouvelles facilités que je trouvais dans ma position passagère auprès de

sa personne.

De plus, je compris que les événemens qui

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allaient se dérouler deviendraient le point culminant, l'âme de mon ouvrage. Un demi-siècle et deux révolutions allaient, je le croyais alors, se résumer en quelques semaines; un Roi et une Cour, la légitimité monarchique et la souveraineté du peuple, l'esclavage et la liberté, devaient encore se retrouver en présence; de salutaires leçons pouvaient jaillir de ce conflit; j'étais écrivain par métier; ces leçons étaient ma chose; je m'en emparai pour le compte de ma patrie.

Je m'enrichis donc de tous les documens dont mes fonctions accidentelles me révélaient l'existence; je surchargeai mes tablettes et ma mémoire de tous les renseignemens historiques qu'amenait à moi un contact de tous les instans avec les sommités du pouvoir.

Mes rapports, comme on s'en convaincra en parcourant mon livre, s'étendaient au-delà du cercle de l'état-major de la garde nationale. D'autres notabilités m'honoraient aussi de leur confiance. C'est ainsi, par exemple,

que j'ai dû à un ami bien connu de la famille impériale, la possession de la correspondance du prince Joseph avec le général Lafayette; au hasard, celle de trois lettres de ce général à Louis-Philippe, et, à divers membres du cabinet du 3 novembre, la découverte de quelques scènes d'intérieur d'un haut intérêt.

De là, et de là seulement, la connaissance des choses politiques que je communique aujourd'hui à mes concitoyens, en attendant que de nouveaux loisirs me permettent de confier à leur indulgence de plus longues et plus graves investigations.

Aurais-je, en tout cela, abusé de la confiance de M. de Lafayette ou de tout autre? Je ne saurais le craindre : mon livre ne dévoile rien qui m'ait été confié; je dis seulement ce que j'ai vu, lu, entendu : rien de plus, rien de moins.

Serais-je assez malheureux pour que mon franc-parler déplût au général? Non, sans

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