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qui pouvait résister aux armes triomphantes de la France et à l'ascendant prodigieux de Bonaparte! On fit néanmoins une tentative pour imposer des conditions aux prisonniers, à qui toute communication était interdite. Le lieutenant-général, marquis de Chasteler, en fut chargé; on jugera la nature de cette démarche par la déclaration suivante de Lafayette.

<«< La commission dont M. le marquis de Chasteler » est chargé me paraît se réduire à trois points : 1o >> Sa Majesté Impériale souhaite faire constater notre >> situation; je ne suis disposé à lui porter aucune >> plainte. On trouvera plusieurs détails dans les >> lettres de ma femme transmises ou renvoyées par » le gouvernement autrichien; et, s'il ne suffit pas » à sa Majesté Impériale de relire les instructions >> envoyées de Vienne en son nom, je donnerai vo» lontiers à M. le marquis de Chasteler les rensei» gnemens qu'il peut désirer.

» 2° Sa Majesté l'Empereur et Roi voudrait être » assurée qu'immédiatement après ma délivrance je > partirai pour l'Amérique; c'est une intention que >> j'ai souvent manifestée; mais, conime, dans le >> moment actuel, ma réponse semblerait recon>> naître le droit de m'imposer cette condition, je ne » pense pas qu'il me convienne de satisfaire à cette >> demande.

» 3° Sa Majesté l'Empereur et Roi m'a fait l'hon»> neur de me signifier que, les principes que je » professe étant incompatibles avec la sûreté du

» gouvernement autrichien, elle ne veut pas que je puisse rentrer dans ses États sans sa permission » spéciale. Il est des devoirs auxquels je ne puis me » soustraire; j'en ai envers les États-Unis, j'en ai » surtout envers la France, et je ne dois m'engager » à quoi que ce soit de contraire aux droits de ma » patrie sur ma personne. A ces exceptions près, je » puis assurer M. le général, marquis de Chasteler, » que ma détermination invariable est de ne mettre >> le pied sur aucune terre soumise à l'obéissance de >> sa majesté le roi de Bohème et de Hongrie. » Maubourg et Bureau-de-Puzy firent aussi leurs déclaration, et les trois prisonniers signèrent en conséquence l'engagement suivant :

« Je, soussigné, m'engage envers Sa Majesté l'Em>> pereur et Roi de n'entrer dans aucun temps dans >> ses provinces héréditaires, sans avoir obtenu sa >> permission spéciale, sauf les droits de ma patrie » sur ma personne. »

Alors les portes de la prison parurent se refermer pour toujours. Pendant ce temps, les ambassadeurs autrichiens assuraient au quartier-général d'Italie que les prisonniers étaient en liberté, et Bonaparte devina que c'était un mensonge. Mais le héros de l'Italie envoya M. Louis Romeuf, ancien aide-decamp de Lafayette, pour traiter directement avec le ministre Thugut; et, enfin, le 23 septembre, les prisonniers sortirent de leur captivité et furent conduits à Hambourg où une fête les attendait à bord des bàtimens des États-Unis ; ils furent d'abord remis au

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consul américain, comme l'avait demandé le cabinet de Vienne, et s'empressèrent de se rendre chez le ministre de la république française, et d'arborer la cocarde nationale.

Cependant les prisonniers d'Olmütz, délivrés avec éclat la ferme insistance de leur gouvernement, par accueillis et environnés de considération par ses agens à l'extérieur, furent encore long-temps avant de rentrer dans leur patrie. Il eût fallu manifester leur adhésion à la journée du 18 fructidor, et cet acte de faiblesse ne convenait pas à des hommes qui avaient tant sacrifié et tant souffert plutôt que d'adhérer, en 92, à la violation du trône constitutionnel et de la représentation nationale. De plus, ils se firent un devoir sacré de comprendre dans l'expression de leur reconnaissance, la portion du gouvernement et des conseils qui avait concouru avec le parti vainqueur à leur délivrance, et qui venait d'être déportée et proscrite. Chose remarquable, ce fut à cette même époque, alors que Lafayette était traité au-dehors en général citoyen, et que le ministre de France assistait comme témoin au mariage de sa fille chez le consul français, qu'on acheva de vendre en France le reste de ses biens. Il avait refusé les émolumens et dédommagemens qui lui avaient été offerts dans les premiers jours de la révolution, et cependant une très-grande partie de sa fortune avait été dépensée pour la cause populaire (1).

(1) On sait qu'alors les États-Unis votèrent à Lafayette le

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Lafayette passa quelque temps dans le Holstein, pays neutre; il alla ensuite en Hollande, d'après l'invitation spéciale de cette république, encore pleine du souvenir des anciens rapports qu'il avait eus avec elle et les proscrits bataves de 1787. C'est là qu'ayant appris la mémorable journée du 18 brumaire, il prit sur-le-champ le parti de se rendre à Paris sans permission ni radiation préalable; il se contenta d'écrire aux consuls provisoires que puisqu'ils professaient de nouveau les principes de 89, sa place, à lui, était en France. Ses compagnons et lui ne tardèrent pas à être réintégrés dans leurs droits de citoyens. Lafayette se retira à la campagne. Son fils entra dans l'armée, où il servit avec distinction. Appelé à siéger au conseil départemental de la HauteLoire, il s'y refusa. Voici le discours qu'il adressa à ses concitoyens, dans cette circonstance :

« Après avoir concouru à une révolution ver» tueuse, où les républiques américaines ont trouvé » la liberté et le bonheur, j'étais déjà vétéran de la >> cause des peuples, lorsque la France adopta ces » vérités éternelles qui, invoquées depuis par les

nombre d'arpens de terre dans les meilleurs cantons de la Louisiane, qui revenaient à son grade, et qu'il avait refusés dans la temps. On se souvient aussi qu'en 1815 le congrès a fait au soldat de la liberté le magnifique présent d'un million en argent et d'une étendue considérable de terre dans les Florides, en alléguant avec une exquise délicatesse que c'était une compensation de ses dépenses primitives.

>> opprimés de tous les partis, ont sans cesse dé» noncé les faibles qui en souffrirent la violation, >> et les violateurs qui les souillèrent par un culte >> mensonger.

>> Investi moi-même de la confiance publique et » d'une popularité que je ne préférai jamais à mes >> devoirs, j'osai me flatter qu'après avoir surmonté, » avec mes concitoyens, les orages de leur totale » rénovation, je les laisserais à portée d'en recueillir » les fruits; et, si cette ambition fut justifiée par » quelques services, je le dois surtout au patriotisme » de mes amis, à cette force instituée pour le main>> tien de l'ordre légal, comme pour la destruction >> des coalitions hostiles, qui, paralysée dans son >> existence sédentaire, a si glorieusement rempli sa >> destination extérieure.

>> Rappelé ensuite de ma retraite au commande» ment, frappé de l'urgence de nos dangers civils, » je me dévouai sans ménagement au besoin de les » dénoncer, à l'espoir, encouragé par le vœu géné» ral, de les prévenir; mais quoique ma conduite >> au 10 août 1792 soit l'action de ma vie la plus » méritoire, je ne me permets ici que de rendre >> hommage aux dignes martyrs de la souveraineté >> nationale et des lois jurées, qui, en soutenant la >> royauté constitutionnelle, exercèrent au plus hau >> degré les vertus républicaines.

>> Loin de regretter, dans ma douloureuse expa>> triation, ces précautions pour le salut de l'armée, >> cette répugnance à priver la frontière d'un seu

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