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>> commencement de l'année 1777, que les commis»saires du congrès américain à Paris, quoiqu'ils >> eussent d'avance encouragé le projet de M. La>>fayette, ne purent se procurer un vaisseau pour en >> hâter l'exécution. Dans de telles circonstances, ils >> crurent que la loyauté exigeait d'eux qu'ils le dis>> suadassent du dessein de poursuivre, pour le mo» ment, sa périlleuse entreprise. Ce fut envain qu'ils >> agirent d'une manière si franche: l'ardeur que la >> cause de l'Amérique avait allumée dans le cœur de >> Lafayette ne pouvait être éteinte par des revers. » Jusqu'ici, leur dit-il, avec la véritable énergie du >> patriotisme, je n'avais fait que chérir votre cause, » mais à présent je cours la servir; plus elle est tombée » dans l'opinion publique, plus l'effet que peut faire » mon départ sera grand; puisqu'il vous est impossible » d'avoir un vaisseau, je vais en acheter et en équiper » un à mes frais, et je me charge de porter vos dépé»ches au congrès. »

» En effet, Lafayette arriva à Charleston au com>> mencement de 1777, le congrès ne tarda pas à lui >> donner le rang de major-général, qu'il accepta, >> mais sous deux conditions qui montraient l'éléva» tion de son âme; l'une, qu'on lui permettrait de >> servir à ses propres dépens, et l'autre, qu'il ne dé.. >> buterait dans la carrière des armes qu'en qualité de >> volontaire. »

Les cours de Londres et de Versailles, dont il avait bravé les plaintes et les défenses, tentèrent envain d'intercepter son passage, qui s'effectua avec autant

d'audace de bonheur. Arrêté au port du Passage,

que

où son vaisseau fut obligé de relàcher, il réussit à repasser la frontière et à se remettre en mer. Puis, sachant que des avisos étaient partis pour les stations des Antilles avec ordre de s'emparer de lui, il risqua la route directe vers la côte des insurgens, alors infectée de croiseurs anglais, et il justifia ainsi la devise cur non? qu'il avait prise en partant.

Lafayette fut blessé à la première bataille (Brandywine), ce qui ne l'empêcha pas de rendre, dans cette mémorable affaire, un grand service à la cause de l'indépendance, en ralliant les troupes au pont de Chester. Peu de temps après ce premier échec, il rejoignit le général Greene dans les Jerseys, où il battit, avec quelques milices, un corps d'Anglais et de Hessois. Ce succès lui valut le commandement d'une division. Nommé, dans le courant de l'hiver suivant, commandant en chef dans le nord; commandement qu'une cabale ourdie contre Washington avait rendu indépendant de ce grand homme, Lafayette n'accepta qu'à la condition expresse de lui rester subordonné (1). Forcé, faute de moyens, d'abandonner l'attaque du Canada, le dévouement et le zèle dont il avait fait preuve dans cette circonstance, lui valurent les remercimens du congrès; puis il défendit, avec une poignée d'hommes, une vaste frontière, combattit, dans un grand conseil de nations sauvages,

(1) On voit dans les historiens américains que, dans ce moment de crise contre Washington, la fidélité de son jeune ami fut à la fois très-prononcée et très-utile.

l'influence anglaise, et reçut dans l'étendue de son commandement, le serment, alors prescrit, de renonciation au roi de la Grande-Bretagne et de fidélité aux États-Unis.

Appelé par Washington à l'ouverture de la campagne, Lafayette parvint, par ses manoeuvres, à dégager, sans perte, un corps de deux mille quatre cents hommes avec ses canons, que l'armée anglaise, commandée par les généraux Howe et Clinton, avait cerné à Barenhill. Il commanda dans la bataille gagnée à Montmouth, d'abord une avant-garde et ensuite la seconde ligne de l'armée; de là il conduisit un détachement destiné à seconder le mouvement du comte d'Estaing, conformément au traité d'alliance que le vœu national, à la manifestation duquel le départ de Lafayette n'avait pas peu contribué, détermina le cabinet de Versailles à conclure avec les insurgens. On voit, en effet, dans les relations contemporaines, à quel degré fut excité cet intérêt pour le jeune Lafayette, et l'effet qu'il produisit sur l'opinion publique. Aussi, lorsque les ambassadeurs des États-Unis, accompagnés de tous les Américains présens dans la capitale, parurent pour la première fois à la cour, tout le cortège crut devoir se porter chez la jeune épouse de Lafayette, pour lui rendre un hommage solennel.

A l'attaque de Rhode-Island, Lafayette commanda l'aile gauche de l'armée de Sullivan. Les mémoires du temps, et particulièrement la vie de Washington, par M. Marshall, montrent avec quel dévouement il

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défendit l'honneur de ses compatriotes à l'occasion de la retraite de l'escadre française à Boston, et combien aussi son influence servit à étouffer ces premiers germes de mésintelligence entre les deux nations. Revenu rapidement de Boston pour l'évacuation de l'Isle, il conduisit heureusement le réembarquement de l'arrière-garde : le congrès lui vota de nouveaux remercimens. Peu de temps après, les commissaires conciliateurs envoyés d'Angleterre mais repoussés par le congrès, s'étant servis d'expressions injurieuses pour la France, le jeune Lafayette envoya un cartel à leur président, lord Carlisle, qui ne l'accepta point. Il se rendit ensuite au congrès, et demanda un congé pour aller dans sa patrie. Les résolutions les plus honorables pour lui furent accompagnées d'instructions particulières, et d'un ordre exprès aux ambassadeurs en Europe de se concerter en tout avec Lafayette. Le congrès lui vota une épée, qui lui fut remise par Franklin; on y avait gravé plusieurs de ses actions d'éclat, et lui-même y était représenté blessant le lion britannique et recevant un laurier de l'Amérique délivrée de ses chaînes.

C'est ainsi que Lafayette, après avoir heureusement découvert et désarmé, près des côtes de France, une conspiration formée à bord de la frégate américaine par des prisonniers anglais, que son aversion pour la presse des matelots lui avait fait admettre dans l'équipage de la frégate, revit son pays après deux années d'absence et de combats : il avait alors vingt-deux ans. Lafayette fut accueilli avec enthou

siasme par le public et même par la cour. On retrouve les traces de cette double bienveillance pour le jeune soldat républicain, dans tous les Mémoires de l'époque (1). Cette faveur ne fut employée par lui qu'à servir la cause des Américains. Il avait combiné, de concert avec Paul Jones, une expédition tendant à faire contribuer les villes maritimes anglaises au profit des États-Unis : elle fut fondue dans le grand projet d'une descente en Angleterre. Employé à l'état-major du maréchal de Vaux, il ne cessait de solliciter des secours directs, et quoiqu'on lui eût dit à Philadelphie de ne pas demander des troupes pour l'intérieur des États-Unis, il outrepassa ses instructions, prévoyant qu'on serait bientôt dans le cas de lui en savoir gré. Enfin, après plusieurs conférences avec les ministres de Louis XVI, il fut décidé qu'une escadre serait envoyée à Rhode-Island, et qu'un corps commandé par Rochambeau, serait mis aux ordres de Washington. Franklin et Lafayette obtinrent aussi

(1) Voir les Mémoires de madame Campan, et les vers de Gaston et Bayard, copiés de la main de la Reine; le journal de son frère de lait Weber; voir aussi les relations contemporaines sur les hommages rendus par Voltaire au faîte de son triomphe, à la jeune madame de Lafayette; le poëme présenté par Cerutti à l'empereur Joseph lors de son voyage, où se trouve ce vers; Lafayette à vingt ans d'un monde était l'appui.

Les allusions aux spectacles; les témoignages d'enthousiasme dans les villes de commerce, à Bordeaux, à Marseille, et l'on ne sera pas étonné que le mouvement excité par son départ, contrastant avec le vif mécontentement et les démarches des deux gouvernemens de Londres et de Versailles, ait eu une grande influence sur l'opinion publique de cette époque.

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