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>>berté, et les forces nécessaires pour exécuter ses » desseins. Débarquée à Altona, le 9 septembre 1795, >> elle partit pour Vienne sous le seul nom de Motier, » avec un passeport américain, et arriva à Vienne >> avant qu'on pût être prévenu de son dessein et >> armé contre ses réclamations (1).

« Le prince de Rozemberg, touché de ses vertus, >> obtint pour elle et pour ses filles une audience de >> l'empereur, dont on croit pouvoir rapporter fidè>>lement tous les détails.

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<«< Madame Lafayette, dont le but principal était » de partager la captivité de son mari, en obtint la permission; et trouvant l'empereur assez facile sur >> ce point, elle tenta de lui faire sentir qu'il devrait, >> en consultant la justice et l'humanité, rendre la >> liberté à Lafayette. Ce prince lui répondit: Cette » affaire est compliquée ; j'ai les mains liées là-dessus; » mais j'accorde avec plaisir ce qui est en mon pou» voir, en vous permettant de rejoindre M. de La

fayette: je ferais comme vous, si j'étais à votre » place. M. de Lafayette est bien traité; mais la pré»sence de sa femme et de ses enfans sera une conso»lation de plus. ». L'empereur ajouta : « Chez nous » on prend les prisonniers d'état, on les numérote, » on ne sait plus ce qu'ils deviennent; je sais ça par » exemple. »

et

» Il est facile de juger quelle impression dut rece

(1) Elle avait envoyé le jeune Georges Lafayette en Amérique, chez le général Washington, où il trouva une seconde maison paternelle.

>> voir Lafayette à l'apparition subite de sa femme et » de ses enfans, dont l'existence était depuis long>> temps pour lui un objet de crainte et d'incerti>>tude, et ce que ses tendres et jeunes filles dûrent » éprouver avec leur mère, à l'aspect de ses membres » décharnés et de son extrême pâleur; mais on ne >> s'attend pas à voir leurs embrassemens suspendus >> par l'ordre de remettre tout ce qu'elles portaient » sur elles. »

>> Enfin, la santé de cette malheureuse femme, >> altérée par seize mois de prison et d'affreux cha>> grins en France, présentant tous les symptômes >> d'une prochaine dissolution de la masse du sang, >> elle crut devoir tenter quelques efforts pour con» server ses jours, et elle écrivit à l'empereur pour lui » demander la permission de passer une semaine à » Vienne, d'y respirer un air plus sain, et d'y con>>sulter un médecin. Après deux mois d'un silence >> qui suppose l'obligation de consulter pour les » moindres choses, le commandant de la prison,

jusque là inconnu à M. de Lafayette, entra chez >> elle, ordonna, sans qu'on sache pourquoi, que >> 'ses jeunes filles fussent mises dans une chambre » à part, signifia à madame de Lafayette, la défense » de jamais paraître à Vienne, et lui donna la per>> mission de sortir, à condition de ne jamais ren>> trer; il lui prescrivit d'écrire et de signer son choix ; >> elle écrivit :

» J'ai dû à ma famille et à mes amis de demander » les secours nécessaires à ma santé; mais ils savent

bien pour

le prix qu'on y
que
moi. Je ne puis oublier

attache n'est pas acceptable tandis que, que nous étions prêts à périr, moi, par la tyrannie de Robespierre, mon mari, par les souffrances physiques et morales de sa captivité, il n'était permis d'obtenir aucune nouvelle de lui, ni de lui apprendre que nous existions encore, ses enfans et moi; et je ne m'exposerai pas à l'horreur d'une nouvelle séparation Quel que soit l'etat de ma santé, et les inconvéniens de ce séjour pour mes filles, nous profiterons avec reconnaissance de la bonté qu'a eue pour nous Sa Majesté impériale, en nous permettant de partager cette captivité dans tous ses détails (1).

Signé NOAILLES-LAFAYETTE.

(1) Après la proscription de Lafayette, le ministre Roland. chargea un commissaire spécial d'amener à Paris sa femme qui était restée avec sa famille dans sa retraite d'Auvergne; c'était l'époque des massacres de septembre. L'administration départementale du Puy (Haute-Loire) eut le courage de désobéir et de confier l'épouse et la famille de Lafayette à la responsabilité offerte par leur propre commune. Le hazard nous ayant fait retrouver dans une collection particulière l'original de deux lettres écrites à cette occasion au député Brissot, nous croyons devoir les consigner ici comme un nouveau témoignage du caractère de cette digne épouse de Lafayette, la seule femme que nous sachions s'être refusée, dans les prisons de la terreur, à profiter du prétexte de mort civile ou d'un divorce simulé, pour faire oublier un mari proscrit, et qui s'obstinait à signer du nom de femme Lafayette, alors le plus proscrit de tous les noms, les

« A partir de ce moment, aucune réclamation n'a » été faite; et ces malheureuses femmes respiraient

pièces mêmes qu'elle savait devoir passer sous les yeux des

bourreaux.

Au Puy, département de la Haute-Loire, ce 12 septembre 1792. a Monsieur,

»Je vous crois réellement fanatique de la liberté, et c'est dans ce moment un honneur que je fais à bien peu de personnes. Je n'examine pas si ce fana»tisme, 'comme celui de la religion, agit ordinairement contre son objet, mais »je ne saurais me persuader qu'un ami zélé des noirs puisse être un suppôt de » la tyrannie, et je pense que si le but de votre parti vous passionne, souvent >> ses moyens vous répugnent. Je suis sûre que vous estimez, je dirai presque » que vous respectez M. Lafayette comme un ami courageux et fidèle de » la liberté, lors même que vous le persécutez parce que des opinions con>> traires aux vôtres, sur la manière dont elle peut être affermie en France, » soutenues par une conduite et un courage tel que le sien, et par une fidélité » inébranlable à ses sermens, peuvent s'opposer aux vues du parti que vous avez embrassé, et à votre nouvelle révolution. Je crois tout cela, et c'est pourquoi

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» je m'adresse à vous, dédaignant de m'adresser à d'autres. Si je me trompe, >> mandez le moi, ce sera la dernière fois que je vous importunerai.

» Une lettre de cachet de M. Rolland, du 2 septembre, motivée sur un ar

» rêté du comité de sûreté générale, du 19 août, m'a fait amener ici lundi

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dernier par un particulier, juge-de-paix de cette ville, qu'elle chargeait de >> m'amener à Paris, avec mes enfans ( s'ils étaient rencontres avec moi), et »après s'être concerté pour cela avec le département de la Haute-Loire, dans »l'étendue de la juridiction duquel se trouvait ma retraite. J'avoue, avec » douleur, que le procureur général syndic du gouvernement, a eu la faiblesse » de donner au commissaire de M. Rolland une réquisition pour la force » armée, et, avec reconnaissance, que ce commissaire et les troupes qui l'accompagnaient ont eu toutes sortes de soins de nous, pendant la route. Ma ⚫ fille aînée était avec moi, et loin de chercher à se cacher, elle a été charmée » que ces ordres tui fussent communs. Une tante de mon mari, pour laquelle je » suis restée loin de lui tout l'hiver dernier, a bien voulu m'accompagner ici. >> Lorsque M. Aulagnier (c'est le nom du commissaire) me demanda où »je voulais aller dans cette ville, je répondis que je voulais me placer sous la sauvegarde de la municipalité, et aller au département, auquel seul, dans la ville du Puy, il appartenait de donner des ordres à Chavaniac, lieu de mon

>>

>> dans leurs chambres, qu'on peut appeler des ca>> chots, un air si infect par l'effet des exhalaisons d'un

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» domicile, attendu qu'il est du district de Brioude, canton de Paullaguet. Ce que je dis en arrivant au lieu des séances, et ce qui fut résolu entre le conseil général et le commissaire qui m'avait arrêtée, se trouve à peu près entiè>rement consigné au procès-verbal où j'ai exprimé mon vou, et fait mes de»mandes au département... Ma tante désirait que je parlasse des fatigues du » voyage, après tant d'épreuves que ma santé a souffertes, mais je n'ai pas » voulu donner de prétextes, ayant d'aussi bonnes raisons pour ne pas aller à » Paris. J'allais parler des dangers que pouvaient y faire craindre les événemens » du 2 septembre, mais, ayant demandé la date de la lettre de M. Rolland, et » la voyant datée de ce jour même, j'ai voulu lui épargner des réflexions qui » l'eussent pu choquer, car je ne veux pas m'adresser à lui, mais je ne veux pas » lui dire des injures. Je me suis contentée de dire aux membres du département » que puisque j'étais sous leur sauvegarde, c'était à eux de prévoir et de préve>nir les dangers que je pourrais avoir à redouter; ils vont écrire de concert » avec M. Aulagnier, et je m'en fie à leur prudence.

D

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J'ignore quelle sera leur réponse. Il est aisé de voir que, si elle est dictée » par la justice, elle me rendra ma liberté indéfinie; si elle est selon le vœu de

» mon cœur, elle me permettra de me réunir à mon mari, qui me demande en Angleterre, dès qu'il sera délivré de sa captivité, afin que nous allions ensem

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» ble nous établir en Amérique, aussitôt que le voyage sera praticable; mais si » l'on veut absolument me retenir en ôtage, on adoucirait ma prison en me per⚫mettant de la choisir à Chavaniac, sur ma parole et la responsabilité de la municipalité de mon village.

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Si vous voulez me servir, vous aurez la satisfaction d'avoir fait une bonne » action en adoucissant le sort d'une personne injustement persécutée et qui, » vous le savez, n'a pas plus de moyens que d'envie de nuire.

Je consens à vous devoir ce service. >>

» Signe NOAILLES LAFAYETTE.

Au même.

Au Puy, ce jeudi au soir, 4 octobre, veille de mon départ pour Chavaniac.

« Je ne devrais plus vous écrire, Monsieur, après l'usage que vous faites de ⚫mes lettres, mais les sentimens de révolte qu'avaient fait naître dans mon » âme, et mon injuste captivité, et surtout la dure obligation de m'adresser aux » ennemis de ce que j'aime, ceux mêmes que les calomnies rebattues que M. Rol» land m'a adressées n'ont pu manquer d'exciter dans mon cœur, sont tous sur

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