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mée hors d'atteinte, et les commissaires eux-mêmes attestèrent ce dernier service. De Nivelles, les quatre députés constituans furent transférés à Luxembourg. Il y eut là une tentative d'une troupe furieuse d'émigrés pour assassiner Lafayette; elle avait été précédée par un pamphlet de Rivarol, portant cette epigraphe :

Et dubitamus adhuc mercedem extendere factis.

Le commandant autrichien prit des mesures pour que cette attaque ne se renouvelàt pas. Dans le même temps, les clubs jacobins retentissaient de vociférations contre Lafayette, pour avoir voulu, ce qui était vrai, conclure avec le duc de Saxe-Teschen un cartel où les émigrés, assimilés à ce qu'étaient dans la révolution américaine les Torys au service de l'Angleterre, auraient également joui des droits de prisonniers de guerre; stipulation que non-seulement aucun des généraux français, mais aucun des généraux ennemis, ni des cabinets étrangers, n'a depuis daigné demander.

<< Les quatre constituans furent,» dit M. de Ségur dans son Histoire de Frédéric Guillaume, « conduits » et renfermés à Wezel, où ils étaient gardés à vue >> par des bas officiers, dont la consigne était de les >> fixer constamment et de ne rien répondre à leurs >> questions.

>>> Lafayette étant tombé dangereusement malade, >> on refusa à Maubourg la permission de voir son >> ami près d'expirer. Une crise salutaire l'ayant sauvé

در

>> des portes du tombeau, le roi de Prusse, croyant pouvoir profiter de son abattement, lui fit propo>> ser, pour adoucir son sort, de donner des plans >> contre la France; mais il prouva, par une réponse » énergique, son mépris pour une pareille proposi» tion (1). Alors on redoubla de rigueurs envers lui; >> bientôt après on les jeta dans une charrette, et on >> les transféra à Magdebourg, refusant toujours de >> les informer de l'existence de leurs familles, sur le >> compte desquelles les proscriptions de France leur >> faisaient éprouver les plus vives inquiétudes (2).

>>

(1) On trouve cette circonstance rapportée dans un discours de << Fox: Avec cette même perversité diabolique, dit-il, qui asuggéré depuis aux ministres de l'empereur de tendre des embû» ches à la courageuse piété de la femme, on a cherché à séduire » la loyauté du mari. On a osé espérer que le brave Lafayette >> voudrait renoncer à cette réputation éclatante et si justement » acquise, qu'il voudrait flétrir les lauriers dont il était cou» vert, sacrifier ce noble caractère qui fleurira dans les annales » du monde, et vivra dans les hommages de la postérité, lors>> que les rois et la couronne qu'ils portent seront tombés en >> poussière; mais Lafayette, tout en réprouvant la mesure qui » l'exilait de sa patrie, était trop magnanime pour favoriser >> les desseins de ceux qui s'étaient ligués contre elle. Un tel » acte de perfidie ne pouvait approcher de ce cœur qui n'a » pas cessé un instant de nourrir le feu sacré du patriotisme le » plus pur et le plus religieux. »

(2) Les ministres américains à Londres et à la Haye obtinrent enfin que dans les prisons prussiennes, ils pussent recevoir leurs lettres ouvertes, et y répondre sous les yeux du commandant. Il n'en fut plus de même à Olmütz, jusqu'à ce que l'arrivée de son épouse apprit à Lafayette qu'elle vivait encore.

«Ils restèrent un an à Magdebourg dans un sou» terrain humide, obscur, entouré de hautes palis»sades, et fermé par quatre portes successives gar>>nies de fer et de cadenas. Cependant leur sort >> leur semblait plus doux, parce qu'on leur permet>> tait quelquefois de se voir, et qu'on les promenait >> une heure par jour dans un bastion.

» Le roi de Prusse envoya tout à coup l'ordre de » transférer Lafayette à Neiss; Latour Maubourg >> sollicita vainement d'y être enfermé avec lui, on » le conduisit à Glatz, où bientôt on amena égale» ment Bureaux de Puzy. Mais ce ne fut qu'au mo>> ment de les livrer à l'Autriche qu'on les réunit >>> tous trois à Neiss.

>> Alexandre Lameth, dangereusement malade, ne >> put être transporté avec ses compagnons d'infor

>>> tune.

» Après de vives sollicitations, sa mère, qui par » ses vertus, jouissait d'une considération si mé» ritée, obtint de Frédéric Guillaume, que son fils >> restat prisonnier dans ses états; et quelque temps

après, la paix ayant été conclue entre ce mo>> narque et les français, elle parvint à lui faire rendre » la liberté.

>> Le roi de Prusse qui ne voulait pas que la paix >> qu'il venait de faire en France, le forçât à relâcher >> ses victimes, livra ses prisonniers à l'Autriche ; on >> les conduisit à Olmütz.

>> On déclara à chacun d'eux, en les renfermant sé>> parément dans leurs cellules, qu'ils ne verraient plus

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à l'avenir que leurs quatre murailles; qu'ils n'auraient » de nouvelles ni des choses, ni des personnes; qu'il » était défendu, même aux geoliers, de prononcer leurs » noms, et que dans les dépéches de la cour, ils ne se»raient désignés que par leurs numéros; qu'ils ne se»raient jamais rassurés sur le sort de leurs familles, ni » sur leur existence réciproque; et que cette situation »portant naturellement au suicide, on leur interdisait >> couteau, fourchette, et tous moyens quelconques de » destruction.

» Après trois attestations de médecins sur l'indis>> pensable nécessité de faire respirer à Lafayette un >> air un peu plus pur que celui de son cachot, >> après avoir trois fois répondu que Lafayette, n'était >> point encore assez mal, on lui permit, enfin, de se >> promener, sans attacher à cette faveur aucune con>>dition expresse, mais en le surveillant avec rigueur; >> car il est faux que Lafayette ait joui de cette li» berté, ainsi qu'on a voulu le faire croire, en vertu >> d'un engagement d'honneur de ne pas chercher à >> s'évader.

>> On connaît l'entreprise du docteur Bollmann et » du jeune Huger, fils du major Huger, de la Ca>>roline du sud, chez lequel Lafayette avait débarqué >> la première fois en Amérique. »>

›› Bollmann étant parvenu, après plusieurs mois de >> tentatives infructueuses, à faire tenir secrètement >> un billet au prisonnier, exécuta le projet le plus >> hardi il se rendit à Vienne, en ramena le jeune >> Huger, se porta avec lui sur le lieu où on devait

:

>> conduire Lafayette pour prendre l'air, et tous » deux tentèrent de l'enlever au moment où, ayant » écarté quelques-uns de ses gardiens, il s'efforçait >> de désarmer celui qui restait près de lui.

>> Dans cette lutte, Lafayette se donna un violent >> effort dans les reins, et le caporal-geôlier, contre >> lequel il combattait et qu'il avait désarmé, lui dé>> chira la main jusqu'à l'os.

» Ses généreux défenseurs parvinrent à le mettre » à cheval, avec un tel oubli de leur propre sûreté, >> qu'ils eurent peine à retrouver leurs chevaux pour » s'échapper eux-mêmes. Cette perte de temps et les >> cris des gardiens avaient attiré du monde et des » troupes; Huger (1) fut bientôt pris. Lafayette, sé» paré de Bollmann, fut arrêté à huit lieues d'Ol» mütz, d'autant plus facilement qu'il était sans >> armes. Bollmann parvint dans les états prussiens; » mais le roi de Prusse eut l'inhumanité de le livrer >> aux Autrichiens.

>> Tandis que Lafayette, réservé pour l'échafaud, » était torturé dans les prisons d'Olmütz, sa femme, >> incertaine de son existence, et condamnée à d'é>>ternelles douleurs, attendait chaque jour, dans les >> prisons de Paris, qu'on la conduisît au supplice >> par lequel avait péri la meilleure partie de sa fa» mille. La chute des tyrans lui sauva la vie; mais >> elle ne recouvra que très-longtemps après sa li

(1) Le généreux Huger se livra pour faciliter la fuite des deux autres.

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