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par les excès et la licence; il voyait dans ce qu'il y avait parmi les jacobins de patriotes sincères, des instrumens involontaires de l'intrigue, de la fureur et de la contre-révolution. Il se décida à les braver, mais il les attaqua seul, et sa lettre du 16 juin à l'assemblée nationale dénonça franchement cette redoutable association; les jacobins y étaient nominativement désignés. Voici un extrait de ce document qui fait époque dans l'histoire du temps.

MESSIEURS,

« La chose publique est en péril; le sort de la France repose principalement sur ses représentans. La nation attend d'eux son salut, mais en se donnant une constitution, elle leur a prescrit l'unique route par laquelle ils peuvent la sauver.

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Persuadé, Messieurs, qu'ainsi que les droits de l'homme sont la loi de toute assemblée constituante, une constitution devient la loi des législateurs qu'elle a établis, c'est à vous-mêmes que je dois dénoncer les efforts trop puissans que l'on fait pour vous écarter de cette règle que vous avez promis de suivre.

>> Rien ne m'empêchera d'exercer ce droit d'un homme libre, de remplir ce devoir d'un citoyen; ni les égaremens momentanés de l'opinion, car que sont des opinions qui s'écartent des principes? ni mon respect pour les représentans du peuple, car je respecte encore plus le peuple dont la constitution est la volonté suprême; ni la bienveillance que vous m'avez constamment témoignée, car je veux la con

server, comme je l'ai obtenue, par un inflexible amour de la liberté.

» Vos circonstances sont difficiles. La France est menacée au-dehors et agitée au-dedans. Tandis que des cours étrangères annoncent l'intolérable projet d'attenter à notre souveraineté nationale, et se déclarent les ennemies de la France, des ennemis intérieurs, ivres de fanatisme ou d'orgueil, entretiennent un chimérique espoir, et nous fatiguent encore de leur insolente malveillance.

» Vous devez, Messieurs, les réprimer, et vous. n'en aurez la puissance qu'autant que vous serez constitutionnels et justes.

>> Vous le voulez, sans doute; mais portez vos regards sur ce qui se passe dans votre sein et autour de vous.

>> Pouvez-vous vous dissimuler qu'une faction, et pour éviter les dénonciations vagues, que la faction jacobine a causé tous les désordres? C'est elle que j'en accuse hautement. Organisée comme un empire à part dans sa métropole et dans ses affiliations, aveuglément dirigée par quelques chefs ambitieux, cette secte forme une corporation distincte au milieu du peuple français, dont elle usurpe les pouvoirs, en subjuguant ses représentans et ses mandataires.

» C'est là que, dans des séances publiques, l'amour des lois se nomme aristocratie, et leur infraction, patriotisme: là, les assassins de Desilles trouvent des triomphes; les crimes de Jourdan trouvent des panégyristes; là, le récit de l'assassinat qui a souillé

la ville de Metz vient encore d'exciter d'infernales acclamations. Croira-t-on échapper à ces reproches, en se targuant d'un manifeste autrichien, où ces sectaires sont nommés? Sont-ils devenus sacrés, parce que Léopold a prononcé leurs noms? Et parce que nous devons combattre les étrangers qui s'immiscent dans nos querelles, sommes-nous dispensés de délivrer notre patrie d'une tyrannie domestique? Qu'importent à ce devoir et les projets des étrangers, et leur connivence avec des contre-révolutionnaires, et leur influence sur des amis tièdes de la liberté? C'est moi qui vous dénonce cette secte; moi, qui, sans parler de ma vie passée, puis répondre à ceux qui feindraient de me suspecter: « Approchez, dans ce mo>> ment de crise, où le caractère de chacun va être >> connu, et voyons qui de nous, plus inflexible dans » ses principes, plus opiniȧtre dans sa résistance, >> bravera mieux ces obstacles et ces dangers, que » des traitres dissimulent à leur patrie, et que les » vrais citoyens savent calculer et affronter pour elle.

Et comment tarderais-je plus long-temps à remplir ce devoir, lorsque chaque jour affaiblit les autorités constituées, substitue l'esprit d'un parti à la volonté du peuple; lorsque l'audace des agitateurs impose silence aux citoyens paisibles, écarte les hommes utiles, et lorsque le dévouement sectaire tient lieu des vertus privées et publiques, qui, dans un pays libre, doivent être l'austère et unique moyen de parvenir aux premières fonctions du gou

vernement.

>> C'est après avoir opposé à tous les obstacles, à tous les piéges, le courageux et persévérant patriotisme d'une armée sacrifiée peut-être à des combinaisons contre son chef, que je puis aujourd'hui opposer à cette faction la correspondance d'un ministère digne produit de son club; cette correspondance dont tous les calculs sont faux, les promesses vaines, les renseignemens trompeurs ou frivoles, les conseils perfides ou contradictoires; où, après m'avoir pressé de m'avancer sans précautions, d'attaquer sans moyens, on commençait à me dire que la résistance allait devenir impossible, lorsque mon indignation a repoussé cette làche assertion.

>> Quelle remarquable conformité de langage, Messieurs, entre les factieux que l'aristocratie avoue, et ceux qui usurpent le nom de patriote! Tous veulent renverser nos lois, se réjouissent des désordres, s'élèvent contre les autorités que le peuple a conférées, détestent la garde nationale, prêchent à l'armée l'indiscipline, sèment tantôt la défiance et tantôt le découragement.

>> Quant à moi, Messieurs, qui épousai la cause américaine, au moment même où ses ambassadeurs me déclarèrent qu'elle était perdue; qui dès-lors me vouai à une persévérante défense de la liberté et de la souveraineté des peuples; qui, dès le 11 juillet 1789, en présentant à ma patrie une déclaration des droits, osai lui dire : « Pour qu'une nation soit libre, >>> il suffit qu'elle veuille l'être ; » je viens aujourd'hui, plein de confiance dans la justice de notre cause, de

mépris pour les làches qui la désertent, et d'indignation pour les traîtres qui voudraient la souiller, je viens déclarer que la nation française, si elle n'est pas la plus vile de l'univers, peut et doit résister à la conjuration des rois qu'on a coalisés contre elle. Ce n'est pas sans doute au milieu de ma brave armée que les sentimens timides sont permis: patriotisme, énergie, discipline, patience, confiance mutuelle, toutes les vertus civiques et militaires, je les trouve ici.

je

» Ici, les principes de liberté et d'égalité sont chéris, les lois respectées, la propriété sacrée ; ici, l'on ne connaît ni les calomnies, ni les factions; et lorsque je songe que la France a plusieurs millions. d'hommes qui peuvent devenir de pareils soldats, mé demande à quel degré d'avilissement serait donc réduit un peuple immense, plus fort encore par ses ressources naturelles que par les défenses de l'art, opposant à une confédération monstrueuse l'avantage de combinaisons uniques, pour que la làche idée de sacrifier sa souveraineté, de transiger sur sa liberté, et de mettre en négociation la déclaration des droits, ait pu paraître une des possibilités de l'avenir qui s'avance avec rapidité sur nous! Mais pour que nous, soldats de la liberté, combattions avec efficacité, ou mourions avec fruit pour elle, il faut que le nombre des défenseurs de la patrie soit promptement proportionné à celui de ses adversaires, que les approvisionnemens se multiplient et facilitent nos mouvemens, que le bien-être des troupes, leurs

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