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reconnu et accepté son titre de roi constitutionnel. Pendant ce temps, Bouillé, ayant, dans sa lettre de Luxembourg, dit qu'il avait vu un parti qui voulait la république et que Lafayette en était, celui-ci renouvela dans l'Assemblée l'expression de sa fidélité à la constitution qu'elle avait établie. En effet, tandis que deux factions opposées l'accusaient d'avoir connivé à la fuite du Roi, pour fonder la république, disaient les uns, pour servir la cour, disaient les autres; calomnies absurdes et contradictoires, lui, n'employa sa popularité et son pouvoir qu'à assurer l'indépendance des délibérations et l'obéissance aux décrets de l'assemblée.

Celui du 16 juillet 1791 ayant prouvé la détermination presque unanime de rétablir le Roi, les mécontens se réunirent au Champ-de-Mars dans la matinée du 17, pour signer une protestation contre cette mesure. Ils commencèrent par égorger deux invalides, et portèrent leurs têtes sur des piques. Lafayette y accourut promptement et fit abattre les barrières déjà élevées. Un homme, dont l'arme ne fit pas feu, tenta de lui tirer un coup de fusil à bout portant; l'assassin, que Lafayette fit relâcher, se vanta depuis de ce crime à la barre même de la Convention. D'après la promesse qui leur fut faite que les attroupemens se sépareraient, les officiers municipaux patientèrent jusqu'au soir; mais comme l'effervescence augmentait, qu'on annonçait des projets hostiles à l'Assemblée nationale, et que ce corps ordonna à la municipalité de rétablir la sûreté publique, celle-ci déploya le

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drapeau de la loi martiale, et le transporta sur les lieux, ayant à sa tête le maire escorté par un détachement sous les ordres de Lafayette. La municipalité fut assaillie de pierres, et eut même à essuyer quelques coups de feu. La garde nationale riposta, mais en l'air; l'audace des perturbateurs s'en accrut; alors la garde fit feu. Une douzaine d'hommes, suivant le rapport de Bailly, furent tués, autant furent blessés ; on a dit que ce nombre était plus considérable; il fut même alors ridiculement exagéré. Quoi qu'il en soit, quelques instans suffirent pour dissiper ce rassemblement, renouvelé avec plus de succès au 10 août et au 31 mai. La municipalité et la garde nationale qui, dans cette malheureuse journée, perdit aussi quelques hommes, reçurent les remercîmens unanimes de l'assemblée. Il y aurait eu plus de sang répandu si, au moment où on allait mettre le feu à un canon, Lafayette, entraîné par un périlleux dévouement, ne s'était jeté au-devant de la pièce, dont le canonnier effrayé n'eut que le temps de retirer son bras.

Pendant la dernière rédaction de l'acte constitutionnel, Lafayette combattit le projet qui interdisait pour trente ans à la nation le droit de modifier la constitution; lorsqu'elle fut achevée, il fit décréter l'abolition immédiate des procédures relatives à la révolution, de l'usage des passeports, et de toute restriction à la liberté de voyager dans l'intérieur et hors de la France.

Le 8 octobre, il prit congé de la garde nationale

par une lettre affectueuse, dans laquelle il lui retrace ses principes de liberté et d'ordre public.

Voici le texte de ce document remarquable;

« MESSIEURS "

>> Au moment où l'assemblée nationale constituante >> vient de déposer ses pouvoirs, où les fonctions de >> ses membres ont cessé, j'atteins également le terme >> des engagemens que je contractai, lorsque placé >> par le vœu du peuple à la tête des citoyens qui, >>> les premiers, se dévouèrent à la conquête et au » maintien de la liberté, je promis à la capitale qui >> en donnait l'heureux signal, d'y tenir élevé l'éten– >> dard sacré de la révolution, que la confiance publi» que m'avait remis.

» Aujourd'hui, messieurs, la constitution a été >> terminée par ceux qui avaient droit de la faire; et » après avoir été jurée par tous les citoyens, par >> toutes les sections de l'empire, elle vient d'être lé

galement adoptée par le peuple tout entier, et so>> lennellement reconnue par la première assemblée >> législative de ses représentans, comme elle l'avait » été, avec autant de réflexion que de loyauté, par le >> représentant héréditaire qu'elle a chargé de l'exé» cution des lois. Ainsi les jours de la révolution font » place à ceux d'une organisation régulière, à ceux » de la liberté, de la prospérité qu'elle garantit. Ainsi, >> lorsque tout concourt à la pacification des troubles » intérieurs, les menaces des ennemis de la patrie >> devront, à la vue du bonheur public, leur paraître

» à eux-mêmes d'autant plus insensées, que, quelque >>> combinaison qu'on parvînt jamais à former contre >> les droits du peuple, il n'est aucune âme libre qui » pût concevoir la lâche pensée de transiger sur au>> cun de ses droits, et que la liberté et l'égalité une >> fois établies dans les deux hémisphères, ne rétro>> graderont pas.

>> Vous servir jusqu'à ce jour, messieurs, fut le de>> voir que m'imposèrent et les sentimens qui ont » animé ma vie entière, et le juste retour de dé>> vouement qu'exigeait votre confiance. Remettre ac->>tuellement, sans réserve, à ma patrie tout ce » qu'elle m'avait donné de force et d'influence pour >> la défendre pendant les convulsions qui l'ont agi»tée, voilà ce que je dois à mes résolutions connues, >> et qui satisfait au seul genre d'ambition dont je >> sois possédé.

Après cet exposé de ma conduite et de mes » motifs, je ferai, messieurs, quelques réflexions sur >> la situation nouvelle où nous place l'ordre constitu>>tionnel qui va commencer. La liberté naissait en» tourée de signes de paix, lorsque ses ennemis, >> provoquant les défenseurs du peuple, nécessité» rent la naissance inattendue des gardes nationales, >> leur organisation spontanée, leur alliance univer>> selle, enfin ce développement de forces civiques qui rappelait l'usage des armes à sa véritable des>> tination, et justifiait cette vérité qu'il m'est doux » de répéter aujourd'hui, que pour qu'une nation soit » libre, il suffit qu'elle le veuille. Mais il est temps

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>> de donner d'autres exemples, et ceux-là, qui seront >> encore plus imposans, sont d'une force irrésistible >> qui ne s'exerce que pour le maintien des lois.

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» J'aime à rappeler ici, messieurs, comment, au >> milieu de tant de complots hostiles, d'intrigues am>> bitieuses, d'égaremens licencieux, vous avez opposé >>> à toutes les combinaisons perverses, une infatigable » fermeté; aux fureurs des partis, aux séductions de >> tous les genres, le pur amour de la patrie; comment » enfin, au milieu des orages de vingt-sept mois de >> révolution, vous n'avez calculé les dangers que pour multiplier votre vigilance, et leur importance, » qu'autant qu'ils pouvaient compromettre ou servir » la liberté. Sans doute, nous avons eu trop de désor» dres à déplorer, et vous savez quelle impression >> douloureuse et profonde ils ont toujours faite sur >> moi; sans doute nous-mêmes nous avons eu des er>> reurs à réparer; mais quel est celui qui, en se >> rappelant non-seulement les grandes époques de la » révolution où la chose publique vous doit tant, >> mais encore ce dévouement de tous les instans, >> ces sacrifices sans bornes d'une portion des citoyens » pour la liberté, le salut, la prospérité et le repos de » tous; en réfléchissant surtout à cet état provisoire >> qui ne fait que cesser pour vous, et où la confiance >> devait sans cesse suppléer à la loi; quel est, dis-je, >> parmi ceux mêmes qui vous provoquaient, et que » vous protégiez, celui qui oserait blâmer aujour» d'hui les hommages que vous doit un ami sincère, >> un général juste et reconnaissant?

»

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