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>> cette lettre par duplicata; le primata a été expé>> dié le 10 du courant.

>> Veuillez agréer, mon cher général, l'expression » de mon ancien attachement.

>> Joseph BONAPARTE. »

RÉPONSE DU GÉNÉRAL LAFAYETTE.

Paris, 26 novembre 1830.

A Monsieur le comte de Survilliers.

« M. le Comte,

» Les lettres que vous m'avez fait l'honneur de >> m'écrire ont été reçues avec tous les sentimens » d'affection et de respect que je dois aux bontés >> dont vous m'avez donné des preuves dans tous les >> temps; ma reconnaissance et mon attachement » n'ont pu qu'être fortifiés par nos dernières con>>versations, lorsque nous nous sommes parlé avec » confiance du passé, du présent et de l'avenir.

>> Vous aurez été mécontent de moi dans les der>> nières circonstances, non que j'eusse pris, avec >> vous ni avec personne, aucun engagement; mais >> vous aurez dit : «< Puisque Lafayette a cru devoir >> aux circonstances de se relâcher de sa préférence » bien connue, et de tout temps proclamée, pour >> les institutions complètement républicaines, pour>> quoi cette concession a-t-elle favorisé une autre >> famille que la mienne? A-t-il oublié que trois mil>>lions de votes avaient reconnu la dynastie impé

» riale? » Vous voyez, mon cher comte, que je >> présente le reproche dans toute sa force. Je vais >> m'en justifier comme je l'ai mérité, en toute indépendance et pureté de conscience.

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Lorsque l'attentat de Charles X et Compagnie >> eut soulevé la population parisienne, et que la >> confiance publique m'eut placé à la tête de ce mou>>vement patriotique, ma première pensée, après la » victoire, fut d'en tirer le meilleur parti pour la >> cause de la liberté de mon pays. Vous jugez bien >> qu'aucune combinaison personnelle ne pouvait >> entrer dans cette détermination.

>> La première condition du sentiment républi>> cain, étant de respecter la volonté générale, il m'é» tait interdit de proposer une constitution pure>>ment américaine, la meilleure de toutes, à mes >> yeux. C'eût été méconnaître le vœu de la majorité, >> risquer des troubles civils, appeler la guerre » étrangère. Si je me suis trompé, c'est du moins >>> contre mon inclination de tous les temps, et même, » en me supposant une ambition vulgaire, contre ce » qu'on appellerait mon intérêt actuel.

>> Un trône populaire, au nom de la souveraineté >> nationale, entouré d'institutions républicaines; >> voilà ce que nous avons cru pouvoir: tel a été le >> programme des barricades et de l'Hôtel-de-Ville >> dont je me suis fait l'interprète.

» La Chambre des députés représentant 80 mille » électeurs allait moins loin que nous, mais d'accord >> avec l'opinion publique pour l'expulsion de la fa

>> mille coupable, elle était, comme Paris et le reste » de la France, pressée de rassurer toutes les in>> quiétudes et de savoir à quoi s'en tenir.

» Je pourrais me borner à vous dire que votre dy>> nastie était dispersée; les uns à Rome, vous en » Amérique, le duc de Reischtadt dans les mains >> autrichiennes; mais je dois à votre amitié ma >> pensée tout entière.

>> Le système napoléonien a été éclatant de gloire, >> mais empreint de despotisme, d'aristocratie, et de >> servitude (1); et s'il était encore une combinaison >> qui pût rendre ce fléau tolérable et presque popu>>laire en France (ce qu'à Dieu ne plaise!), ce serait >> un retour du régime impérial. D'ailleurs, le fils de >> votre immense frère est devenu un prince autri>> chien, et vous savez ce qu'est le cabinet de Vienne. >> Voilà, mon cher comte, et malgré mes sentimens >> personnels à votre égard, ce qui ne m'a pas per>> mis de souhaiter le rétablissement d'un trône dont

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(1) Après le départ de l'Empereur pour Waterloo, le prince Lucien eut une conversation avec Lafayette : « Espérez-vous, lui demanda celui ci, « que votre frère soit corrigé? Non, répondit Lucien ; deux miracles l'ont sauvé : Marengo et Austerlitz; il en fera peut-être un troisième, mais il n'est pas en lui de l'arrêter, et, en cas de chute, deux partis s'éléveront: son fils et le duc d'Orléans. Moi, je suis du parti de mon neveu; et vous, général? Ni de l'un ni de l'autre, répondit Lafayette, ainsi que je viens de le dire à un orléaniste. Je reste avec le peuple, indépendant des partis, pour que la liberté fasse le meilleur marché possible, sans acception de personnes. >>

>> les Cent-Jours avaient montré la constante ten>> dance vers d'anciens erremens.

.

>> Je connaissais à peine le duc d'Orléans. De vives >> inimitiés avaient existé entre son père et moi. >> Quelques rapports de parenté et de bons procédés >> ne m'avaient pas même conduit jusqu'à l'entrée >> du Palais-Royal; et, néanmoins, je savais, comme » tout le monde, qu'il y avait dans cette famille des >> vertus domestiques, des goûts simples, peu d'am>>bition, et un sentiment français auquel l'Empe>> reur lui-même avait rendu justice. Je me rappelai >> le jeune républicain de 89, le soldat de Valmy et >> Jemmapes, le professeur de Suisse et le voyageur » aux États-Unis. Il s'appelait Bourbon, et c'est un » nom fâcheux, mais ce nom même était, plus que » le vôtre, plus que celui de république, une garan>> tie contre la guerre. Il n'empêchait point de cons>> tater, d'exercer le principe de la souveraineté du «< peuple, de mettre des armes aux mains de deux >> millions de citoyens nommant leurs officiers, de >> rendre complète la liberté de la presse, et d'avoir >> des institutions populaires. Il m'a donc paru utile, >> dans les circonstances où nous étions, pour la paix » du dedans et du dehors, que les diverses nuances >> d'opinions politiques, à l'exception du parti de » Charles X, se réunissent sur cette combinaison. » Mon adhésion n'a pu être l'effet d'aucune pré>>vention ou affection antérieure.

» Je dois dire aujourd'hui qu'après quatre mois » d'intime connaissance, des sentimens de confiance,

>> d'amitié et de cause commune sont venus se >> joindre à mes considérations primitives. Quant à >> l'assentiment général, ce ne sont pas seulement les >> Chambres et la population de Paris, 80 mille gar>> des nationaux et 300 mille spectateurs au Champ>> de-Mars; ce sont toutes les députations des villes » et villages de France que mes fonctions me met>>tent à portée de recevoir en détail; en un mot, un >> faisceau d'adhésions non provoquées et indubita» bles, qui nous confirment de plus en plus que ce >> que nous avons fait est conforme à la volonté ac>>tuelle de la très-grande majorité du peuple fran>> çais.

>> J'ai vu, dans une de vos lettres, qui toutes ont été >> fidèlement remises, que vous soupçonniez le duc » d'Orléans, d'alors, d'avoir eu connaissance d'un >> complot contre l'Empereur à l'île d'Elbe. Il en est >> incapable, et, d'après ce que m'ont dit le répu» blicain, dénonciateur de ce complot et madame de » Staël, restée l'amie du duc d'Orléans, j'aurais, in>> dépendamment même de son caractère connu, la >> conviction qu'il a été calomnié près de vous.

>> Un de mes premiers soins, après son élévation » au trône, fut de lui exprimer le vœu que vous, >> monsieur le comte, vos enfans et leur respectable » mère, vous pûssiez, si cela vous convenait, ren>> trer paisiblement en France. Cette pensée fut très>> cordialement accueillie par le Roi, mais on objecta » des traités avec les puissances étrangères, qui, >> tout absurdes et insolens qu'ils sont, nécessite

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