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>>tion sont contribuables, cultivateurs, proprié» taires, libres; sont-ils aussi des hommes? moi je le >> pense, etc.>>

que,

Lafayette ne voulut accepter de la commune de Paris, ni dédommagement, ni appointemens, tout en déclarant cependant qu'il ne mettait pas plus d'importance à les refuser qu'à les recevoir. Le public a su, pour la première fois, par les Mémoires de Bouillé, qu'il avait refusé le bâton de maréchal, l'épée de connétable, et même la lieutenance-générale du royaume; offres positives et plus d'une fois renouvelées. C'est ainsi dans les assemblées populaires de l'Hôtel-de-Ville, et particulièrement à l'occasion d'une motion spéciale de l'abbé Fauchet, il avait repoussé les propositions de dictature et de commandement-général des citoyens armés. Il alla plus loin à l'époque de la grande fédération de 90, sachant que toutes les députations arrivaient avec le projet de lui conférer ce commandement général, il se hata de faire une motion à l'effet d'obtenir un décret tendant à ce que personne ne pût être investi du commandement des gardes nationales de plus d'un département, ou même d'un district. Un jour que, revenant de passer une revue, il était reconduit à l'Assemblée, au bruit des acclamations d'une foule immense et ivre d'enthousiasme, il saisit cette occasion pour déclarer à la tribune sa détermination formelle de rentrer dans la classe des simples citoyens, aussitôt que la constitution serait terminée.

Dans la fameuse séance où fut proclamée l'abo¬

lition des titres nobiliaires, Lafayette appuya vivement cette proposition; il s'opposa même à toute exception en faveur des princes du sang, et il insista pour que le principe constitutionnel d'égalité entre les citoyens fût constaté sur-le-champ.

Le 14 juillet 1790, major-général de la fédération dont le Roi était le chef, Lafayette prêta, sur l'autel de la Patrie, le serment civique, au nom de quatre millions de gardes nationaux représentés par quatorze mille députés. La popularité dont il jouissait éclata à cette époque, et surtout à cette occasion solennelle, avec un enthousiasme qui lui fit dire dans un discours adressé aux fédérés: « Que l'ambition n'ait » pas de prise sur vous; aimez les amis du peuple, » mais réservez l'aveugle soumission pour la loi, et >> l'enthousiasme pour la liberté. Pardonnez ce con>> seil, messieurs, vous m'en avez donné le droit >> glorieux lorsque, réunissant tous les genres de fa>> veur qu'un de vos frères puisse recevoir de vous, » mon cœur, au milieu de sa délicieuse émotion, n'a » pu se défendre d'un mouvement d'effroi. » — En prenant congé de lui, les députations lui firent ainsi leurs adieux : « Les députés des gardes nationales de >> France se retireront avec le regret de ne pouvoir >> vous nommer leur chef; ils respecteront la loi cons>>titutionnelle qui arrête en ce moment l'impulsion >> de leurs cœurs, et, ce qui doit vous couvrir à ja>> mais de gloire, c'est c'est que vous-même avez provo» qué cette loi, c'est que vous-même avez prescrit >> des bornes à notre reconnaissance. »

Dans la journée du 28 février 1791, après avoir réprimé une émeute excitée à Vincennes dans le but de l'attirer hors de Paris, lui en fermer les portes, et même attenter à ses jours, Lafayette revint au château, où s'était formé, dans les appartemens et par des passages intérieurs, un rassemblement armé, auquel on a donné le nom de chevaliers du poignard. Les murmures de la garde nationale de service avaient suffi pour dissiper cette étrange réunion dont le Roi lui-même blàma l'imprudence et sentit le danger. La présence de Lafayette démentit le bruit de sa mort déjà répandu. Il demanda que les armes déposées, et parmi lesquelles il y avait effectivement des poignards, fussent livrées à la garde nationale, et un ordre du jour annonça que les chefs de la domesticité, pour nous servir de ses expressions, avaient reçu l'injonction de ne plus souffrir de pareilles entreprises. C'est ainsi qu'il eut continuellement à défendre la liberté et l'ordre public contre les complots et les efforts, souvent simultanés, quelquefois combinés, des diverses factions qui, depuis, et lorsque les institutions régulières furent enfin établies, firent une si violente et si funeste explosion.

Le 11 avril de la même année, une émeute, évidemment préparée dans l'ombre, s'étant opposée au voyage ordinaire du Roi à Saint-Cloud, Lafayette fut, pour la première et la seule fois, mécontent de la garde nationale de service; il le fut aussi des autorités civiles et de la cour; il donna sa démission. La commune en corps et tous les bataillons réunis al

lèrent le conjurer de reprendre le commandement.

L'évasion du Roi, contre laquelle on avait pris toutes les précautions compatibles avec la liberté dont jouissait le chef suprême de l'État, fut pour Lafayette une crise d'autant plus imprévue, que les paroles positives et le ton de sincérité du monarque l'avaient mis récemment dans le cas de démentir les soupçons qui s'élevaient, et de répondre publiquement et sur sa tête que le Roi ne partirait pas (1). «< En effet, dit un historien, la fureur du peuple >> contre Lafayette fut extrême; elle s'apaisa quand » le peuple vit la tranquillité avec laquelle il s'a>> vançait sans escorte, au milieu des rugissemens » d'une foule prodigieuse qui s'était réunie devant » l'Hôtel-de-Ville. Quelques lamentations sur » le malheur public qui venait d'arriver, et qui » semblaient interpeller Lafayette, lui fourni>> rent l'occasion de dire à ceux qui se désolaient, » que s'ils appelaient cet événement un malheur, » il voudrait bien savoir quel nom ils donneraient » à une contre révolution qui les priverait de la li»berté. »

Le même témoin oculaire (2), ajoute que dans cette multitude il s'éleva plusieurs voix qui lui offrirent la place vacante, et qu'il repoussa par un sarcasme assez dédaigneux et qui acheva de lui rendre toute sa popularité.

(1) Histoire de France de Toulongeon. Voyez les Pièces justificatives.

(2) Bureaux-Puzy.

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Aussitôt que ce fatal départ, signal trop prévu de guerre civile et étrangère, lui fut connu, Lafayette, sans attendre la réunion de l'assemblée, et après avoir consulté son président et le maire, prit sur lui seul la responsabilité de signer et d'envoyer sur toutes les routes l'ordre d'arrêter ce qu'il appelait l'enlèvement du Roi. Heureusement pour lui, d'après les horribles attentats qui eurent lieu depuis, ce ne furent pas ses ordres, nécessairement tardifs, mais bien le malheur d'être reconnu par un maître de poste, qui occasionna l'arrestation de Varennes. La famille royale, en recevant par l'aide-de-camp de Lafayette, le décret de l'Assemblée, parut surprise qu'il commandat encore à Paris; et, en effet, observe Bouillé dans ses Mémoires, la fuite du Roi devait le faire massacrer par le peuple. Il est assez remarquable que le fameux Danton, qui avait naguère reçu 100,000 francs de la cour, fut le seul qui, le même soir, au club des Jacobins, demanda la tête de Lafayette, quoiqu'il sût fort bien que celui-ci connais

sait son secret.

Lorsque le Roi et sa famille furent ramenés à Paris, où jusqu'alors ils n'avaient été que surveillés mais non prisonniers, un décret de l'assemblée les consigna, sous les ordres du commandant général, à des gardes personnellement responsables, et d'autant moins confians qu'ils venaient d'être trompés. Lafayette redoubla de zèle pour garantir la sûreté de la famille royale, mais les honneurs souverains ne furent rendus au monarque qu'après qu'il eut de nouveau

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