Page images
PDF
EPUB

actions, s'écria-t-on de toutes parts! Vous l'entendez, reprit Lafayette;... Il est trop tard.»

Quelque temps après, un parlementaire patriote, envoyé auprès des régimens qui couvraient la Cour, étant revenu dire que le commandant des troupés royales au pont de Saint-Cloud se plaignait de ce qu'on ne s'était point expliqué depuis le rappel des ordonnances, et demandait une réponse catégorique, Lafayette le renvoya sur-le-champ avec un billet conçu en ces termes :

« On me demande une réponse explicite sur la si»tuation de la famille royale depuis sa dernière >> agression contre les libertés publiques et la vic>> toire de la population parisienne; je la donnerai >> franchement : c'est que toute conciliation est im» possible et que la famille royale a cessé de régner. << LAFAYETTE.>>

M.

Voyant leurs propositions opiniâtrement rejetées par les hommes de l'Hôtel-de-Ville, les commissaires de Charles X avaient espéré trouver un meilleur accueil chez M. Laffitte. Dès le 9, à dix heures du soir, d'Argout s'était présenté aux membres de la Chambre qui se trouvaient réunis chez ce député, et leur avait déclaré qu'il venait, au nom du Roi, son maître, leur annoncer le retrait des ordonnances et la formation d'un ministère, composé de notabilités agréables au pays; que les choses étaient donc rétablies dans l'état d'où la violation de la Charte les avait fait sortir, et que Charles X ne doutait point que la représentation nationale n'interposât sa médiation pour

F

ramener le peuple sous son autorité. La réponse de M. Laffitte fut aussi péremptoire que l'avait été celle de M. Lafayette, à l'Hôtel-de-Ville. « La guerre a prononcé, dit-il à M. d'Argout; Charles X n'est plus roi de France. » M. d'Argout se retira après avoir vainement insisté sur les garanties d'inviolabilité -dont, selon lui, l'ordre constitutionnel environnait encore la personne du Roi. Quelques instans après, M. Forbin-Janson vint annoncer que son beau-frère, M. le duc de Mortemart, réclamait un sauf-conduit pour se rendre à la réunion des députés. Cette demande fut accueillie et M. Laffitte resta seul chargé de répondre aux ouvertures du nouveau président du conseil des ministres de Charles X; mais M. de Mortemart ne parut point.

Dès ce moment, la cause de la branche aînée des Bourbons était irrévocablement perdue, non-seulement dans la volonté du peuple, mais encore dans la pensée des deux centres d'action qui s'étaient emparés de la direction du mouvement. L'Hôtel-de-Ville et la réunion-Laffitte étaient d'accord quant à l'expulsion définitive de la famille régnante, mais il n'en était point de même relativement à la forine ultérieure du gouvernement, et à la nouvelle dynastie à élire. Ces questions capitales étaient vivement controversées à l'Hôtel-de-Ville, tandis que, chez M. Laffitte, il y avait presque unanimité sur le choix du duc d'Orléans, ou plutôt sur la proclamation de ce choix déjà préparé par les efforts et les secrètes manoeuvres de l'honorable banquier.

[ocr errors]

Avant de revenir à Lafayette et à la commission municipale, je dois rapporter tout ce qui s'était passé chez M. Laffitte, dans l'intérêt de Louis-Philippe. Dès le vendredi, de très-bonne heure, quelques intimes, tels que MM. Thiers, Lareguy et Mignet, s'étaient rendus chez lui, pour s'y concerter sur les moyens d'assurer le succès de cette grande intrigue. C'est là, qu'avant même d'avoir interrogé la volonté des députés, on rédigea une proclamation qui appelait le duc d'Orléans à la Lieutenance-générale ; là aussi furent arrêtés les moyens les plus propres à faire entrer les journaux influens dans cette combinaison. Cette petite Camarilla d'une espèce nouvelle ne quitta les salons de M. Laffitte que pour aller travailler une réunion de patriotes qui se tenait chez le restaurateur Lointier, et dans laquelle on pensait généralement que, le peuple ayant seul vaincu, le peuple devait, avant tout, être consulté.

Vers dix heures, presque tous les députés présens à Paris se réunirent chez M. Laffitte; quelques pairs s'y rendirent aussi de leur côté; de ce nombre était M. le duc de Broglie, qui parla longuement de l'exaspération des esprits et des dangers d'une république. Ces dangers, exagérés à dessein par M. Dupin, produisirent une anxiété assez générale, dont M. Laffitte profita habilement pour proposer l'élection du duc d'Orléans, comme le seul moyen de fixer toutes les incertitudes et d'arrêter le torrent. Cette opinion, exprimée officiellement pour la première fois, produisit quelqu'étonnement et trouva des contradicteurs; mais

M. Dupin la soutint avec tant d'éloquence et d'énergie que dès-lors il était évident que la mesure qu'on avait l'air de mettre simplement en délibération, n'était autre chose qu'un projet déjà arrêté entre le prince et un parti à la tête duquel s'était placé M. Laffitte. Cependant les indécisions étaient encore nombreuses, et la discussion s'animait, lorsque l'adroit champion de la maison d'Orléans fit observer, avec solennité, que la place des députés de la France, reconstituant le gouvernement d'un grand empire, était au PalaisBourbon et non pas dans le cabinet d'un particulier. Cet avis prévalut; on arrêta que dans deux heures on se réunirait dans la salle des séances de la Chambre, et les Orléanistes profitèrent de cet intervalle pour redoubler d'efforts et de séductions.

Cependant, à l'ouverture de cette mémorable séance, les avis paraissaient encore plus partagés que jamais ; tous les systèmes, moins la république, y retrouvèrent des partisans; on y parla tour à tour du duc d'Orléans, du duc de Bordeaux, du duc d'Angoulême, et même de Charles X qui, chose incroyable! y réunissait encore l'évidente majorité des volontés. C'est dans ce moment décisif qu'on entendit M. Sébas-` tiani s'écrier, en parlant du drapeau tricolore arboré à l'Hôtel-de-Ville : « Il n'y a de national aujourd'hui que le drapeau blanc! » C'est aussi dans cette circonstance que M. de Sussy, repoussé de l'Hôtel-de-Ville, vint présenter à la Chambre le retrait des ordonnances et la formation du nouveau ministère, insistant, mais fort inutilement comme on l'i

magine, auprès de M. Laffitte pour que celui-ci transmît ces nominations aux titulaires auxquels elles étaient destinées.

L'objet principal de cette réunion était d'arrêter la déclaration qui devait appeler le duc d'Orléans à la lieutenance-générale du royaume. Une commission avait été chargée de présenter un rapport à la Chambre sur cette importante mesure, et elle s'était adjoint quelques membres de la Chambre des pairs; M. le duc de Broglie en faisait partie. Une vive discussion s'éleva dans cette commission mixte sur le principe d'après lequel le trône devait être déclaré vacant; les pairs et quelques députés insistaient sur la nécessité absolue de prendre pour base exclusive l'abdication de Charles X et celle du duc d'Angoulême.

Cependant une vive agitation se manifestait au dehors et au dedans de la législature. On parlait de nouvelles machinations ourdies dans l'ombre, pour faire ajourner la décision de la Chambre ; on affirmait qu'un personnage considérable, récemment élevé par Charles X à la présidence du conseil des ministres, avait été rencontré sur la route de Saint-Cloud, et, en effet, ce rapport avait été confirmé, à l'Hôtelde-Ville, par divers patriotes, sur la déposition desquels un mandat d'arrêt fut décerné contre M. Casimir Périer. Quoi qu'il en soit de la vérité de ce fait, l'inquiétude était générale, lorsque le président de la Chambre, M. Laffitte, instruit de ce qui se passait dans la commission, et cédant à l'impatience qui éclatait de tous côtés, envoya un secrétaire, pour

« PreviousContinue »