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sur celui qu'il appelait l'homme-révolution. Quoi qu'il en soit, le premier soin de Lafayette, dans la soirée fut de faire offrir aux patriotes insurgés l'ap

du

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les ordonnances devaient provoquer. Les débats du procès des ministres ont démontré que le pouvoir avait pressenti le soulèvement et fait ses dispositions pour l'étouffer. Indépendamment des cours prévôtales, dont l'établissement devait compléter le système de contre-révolution, et dont l'organisation était arrêtée, l'autorité militaire s'était préparée d'avance à repousser la force par la force. Dès le 20 juillet, le duc de Raguse, alors de service comme major-général de la garde, avait transmis aux divers chefs de corps un ordre confidentiel tel qu'on n'en donne guère qu'en présence de l'ennemi ou dans les circonstances les plus critiques. Cet ordre indique les divers lieux où, en cas d'alerte, ces troupes doivent se rendre; il explique ce que c'est que le cas d'alerte; il s'entend par la générale ou par une révolte quelconque d'attroupemens armés. Dans ces deux les troupes se rendront de suite avec armes et bagages et les munitions nécessaires aux lieux indiqués, et sans attendre d'ordre. Les troupes, dans ce même cas, seront en capote, sac sur le dos, afin de déjouer le dessein que pourraient avoir formé les séditieux de tromper les royalistes en se présentant avec l'habit de la Garde. Défense est faite aux officiers, sous-officiers et soldats de quitter leur poste et de communiquer avec les habitans. Si le Roi est à St-Cloud, les corps casernés à l'École-Militaire, d'infanterie, cavalerie et artillerie, s'établiront au Champ-de-Mars; l'artillerie détachera une batterie qui se rendra aux Champs-Élysées par l'allée des Veuves et restera en colonne dans l'avenue de Neuilly.

cas,

le

Enfin, il était dit dans cet ordre que le lieutenant-général de service en ferait remettre une copie cachetée au chef de bataillon qui commandait les troupes casernées à la rue Verte, et que cet officier ne devrait l'ouvrir qu'en cas d'alerte.

pui de son nom et de sa personne. Dès quatre heures du matin, une députation des élèves de l'École polytechnique était réunie chez lui, et quelques heures plus tard cet essaim de jeunes héros combattait et mourait à la tête du peuple dans tous les quartiers de la capitale.

La résistance s'établissait sur tous les points avec des chances diverses de succès et de revers; quelques barricades commençaient à s'élever et le sang coulait déjà avec abondance, lorsque, conformément à leur convention de la veille, les députés commencèrent à se réunir chez M. Audry de Puyraveau. Il était midi; le soleil était radieux; le bruit du tocsin, mêlé à la détonation du canon et aux retentissemens de la mousqueterie, annonçait le réveil du peuple; les représentans de la France, on le croyait du moins, allaient décider du sort de la patrie; un sentiment indicible de crainte et d'espérance agitait toutes les âmes; on ne vivait point; on dévorait la vie; on mourait d'impatience.

Une foule nombreuse de citoyens diversement armés ou sans armes, encombrait les alentours de la maison de M. de Puyraveau, cherchant à deviner sur la figure de chacun des députés qui passait devant elle, ce que son cœur d'homine renfermait de courage et de dévouement à la patrie. Lafayette fut salué des plus vives acclamations; il était l'espoir de la liberté; lui et M. Laffitte se trouvèrent des premiers au rendez-vous. Bientôt, les députés ont pris leur place; le silence succède aux discussions particulières

on va s'occuper, enfin, de sauver la liberté pour laquelle le peuple combat d'instinct et meurt depuis trente-six heures.

Je vais recueillir mes souvenirs et raconter ce que, la tête appuyée sur le versant d'une croisée, l'oreille attentive et l'oeil fixé sur cette salle de rezde-chaussée où se débattent les destinées d'un peuple ou plutôt les destinées de l'Europe, j'ai vu et entendu dans ce moment suprême. Je suis à la barre de mon pays; je parlerai sans haine et sans crainte; je

dirai toute la vérité.

M. Mauguin prend la parole. C'est l'homme du danger; c'est l'orateur de la révolution; la nature l'a fait tribun. Il trace à grands traits un effrayant tableau de la situation de Paris; il dit l'attentat de la Cour, la colère du peuple, ses combats, ses succès, ses revers, ses craintes et ses espérances. Ecoutez, s'écriet-il avec enthousiasme, écoutez le bruit du canon et le râle des mourans; ils viennent jusqu'à vous; c'est un grand peuple qui fait une révolution que vous devez diriger; il n'est plus permis d'hésiter; notre place, messieurs, est entre les bataillons populaires et les phalanges du despotisme; gardez-vous de perdre du temps; la garde royale n'en perd pas; encore une fois, c'est une révolution qui nous appelle.

A ce mot de révolution, plusieurs députés se lèvent et menacent de se retirer à l'instant même: e; c'est une explosion de toutes les frayeurs qui s'étaient laissé traîner dans cette réunion. MM. Charles Du

pin, Sébastiani et Guizot se distinguent au nombre des plus zélés partisans de l'ordre légal. Je proteste contre tout acte qui sortirait de la légalité, s'écrie M. Dupin; que parlez-vous de résistance? dit M. Sébastiani, avec colère et précipitation, il ne s'agit ici que de sauver l'ordre légal; la moindre imprudence, ajoute M. Guizot, compromettrait notre bon droit; notre devoir, à nous, n'est point, comme on le dit, de prendre part pour ou contre le peuple, mais de nous constituer médiateurs, d'arrêter le mouvement populaire et de convaincre le Roi qu'il a été trompé par ses ministres.

Une voix connue des amis de la liberté se fait entendre, c'est celle de Lafayette toujours aussi courageux qu'habile à ramener les questions aux véritables principes. J'avoue, dit-il en souriant, que je comprends mal la légalité avec le Moniteur d'avanthier et la fusillade qui dure depuis deux jours. Puis, reprenant l'accent calme et solennel qui convenait à la gravité de la situation, il déclara que c'était bien d'une révolution qu'il s'agissait, et proposa la création immédiate d'un gouvernement provisoire; idée qui fut adoptée plus tard, mais qui était encore trop tranchante et trop patriotique, pour ne point paraître au moins prématurée à bon nombre de ses collègues.

Dans ce moment, on annonce que le peuple s'est emparé de l'Hôtel-de-Ville après un horrible carnage; mais le combat continue, les troupes royales reçoivent des renforts et il est à craindre que la vic

toire ne leur revienne. Cet incident paraît ranimer le courage défaillant de quelques-uns des champions de la légalité. M. Guizot, passant condamnation sur la lettre respectueuse à écrire à Sa Majesté Charles X, veut bien courir les hasards d'une protestation dont il lit le projet, et dans laquelle il était encore question de fidélité au Roi: Cette protestation est adoptée, malgré la courageuse observation de M. Laffitte qui la déclare insuffisante et au-dessous des exigences légitimes d'un peuple qui a déjà versé tant de

sang.

M. Périer propose d'envoyer une commission auprès du duc de Raguse, pour obtenir de lui une trève durant laquelle les députés pourront porter leurs doléances au pied du trône (1); mais Lafayette demande qu'on se borne à ordonner à Marmont, au nom de la loi, et sous sa responsabilité personnelle, de faire cesser le feu. Toutefois, cette commission fut nommée; elle se composait de MM.Périer, Laffitte, Mauguin, Lobau et Gérard. Lafayette, visiblement indigné de tous ces délais, lorsque le sang de tant de citoyens coulait autour de lui, déclara à ses collègues que son nom se trouvait déjà placé par la confiance du peuple et avec son aveu à la tête de l'insurrection; qu'il désirait ar

(1) Il est de mon impartialité d'ajouter ici queM. Périer avait déjà proposé, en confidence, d'offrir quelques millions à Marmont pour l'attirer dans la cause du peuple; il insista même pour que M. Laffitte, qui avait eu des rapports d'intérêt avec le duc de Raguse, se chargeât de cette négociation.

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