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divisés en deux camps opposés : l'un défendait la constitutionnalité de la dissolution de la Chambre, le maintien de la puissance royale de Charles X, la nécessité de ne point sortir des limites de la légalité, et de se borner à provoquer le retrait des ordonnances, par de respectueuses remontrances appuyées sur la manifestation de l'opinion publique. L'autre camp soutenait que la qualité de député n'avait point été détruite par l'ordonnance de dissolution; que, du reste, Charles X, en violant la Charte par toutes et chacune des ordonnances, s'était dépouillé du droit même de dissoudre la Chambre, et que les députés restaient, par ce fait, investis de toute la plénitude du mandat électoral; qu'il était absurde d'invoquer la légalité en faveur d'un pouvoir qui venait d'en briser tous les liens, et que lorsqu'il s'agissait dè la liberté ou de l'esclavage de la France, du gouvernement représentatif ou de la tyrannie d'un seul, le salut de la chose publique ne résidait plus que dans le succès d'une résistance ouverte à l'oppression.

La première de ces deux opinions avait pour champion M. Dupin; la seconde était énergiquement soutenue par M. Mauguin. MM. de Laborde, de Puyraveau, Bérard, Labey de Pompières, Persil, Milleret, Bertin de Vaux et Villemain, se prononcèrent dans le sens de M. Mauguin ; les deux derniers soutenant toutefois qu'il fallait séparer Charles X de ses ministres, et ne les point confondre dans une commune réprobation. MM. Sébastiani et Casimir Périer s'étaient rangés sous la bannière de M. Dupin.

Cependant il est juste de dire que M. Périer ne se prononça d'abord que par des signes muets auxquels il était facile de reconnaître l'incertitude qui le tourmentait.

Ces débats s'animaient de part et d'autre, lorsqu'un incident imprévu vint interrompre la discussion et lui donner une physionomie nouvelle. Une députation des électeurs de la ville de Paris demande à être introduite. M. Périer voit déjà le glaive des Bourbons et le poignard populaire suspendus sur les têtes parlementaires. <«< Remarquez dans quelle position on nous >> place, s'écrie-t-il! Si nous recevons la députation, » on le saura aux Tuileries, on s'en irritera peut» être, et qui sait les mesures qu'on arrêtera contre >> nous? Si la députation n'est pas reçue, elle se plain» dra, elle pourra se répandre au milieu du peuple » et, dans l'état d'exaspération où sont les têtes, qui >> peut répondre. . . . (1). » Messieurs Dupin et Sébastiani s'opposèrent aussi de toutes leurs forces à la réception de cette députation qui, jointe à la nomination d'un président, faisait, disaient-ils, d'une réunion de famille une véritable assemblée délibérante.

Cependant la députation est introduite. Elle se compose des plus honorables citoyens de la capitale, qui viennent déclarer aux députés, par l'organe de messieurs Mérilhou et Boulay de la Meurthe, que tous les liens qui attachaient la France au trône des Bour

(1) Histoire des Trois Jours, par M. Marast.

bons sont brisés; que la nation ne doit plus, ne peut plus en appeler qu'à l'insurrection contre une autorité qui a foulé aux pieds toutes les lois, et que le peuple compte sur le patriotisme et le courage de ses représentans. Un silence absolu succède à cette déclaration, et la députation se retire dans une pièce voisine, pour laisser aux députés la faculté de délibérer en toute liberté. Sur ces entrefaites, une nouvelle députation, composée de jeunes gens, demande à être admise. M. Périer court à elle, et l'ad.. jure de ne point persister dans une démarche qu'il considère comme étant de la plus haute imprudence; il représente à ces jeunes gens la folie de leurs efforts contre les mesures de répression que le gouvernement n'aura pas assurément manqué de prendre ; il les exhorte à rentrer dans la légalité et à ne point chercher dans la rue une victoire qu'ils n'y trouveraient point. Les jeunes gens, bien décidés à ne plus compter que sur l'énergie du peuple, se retirent, et M. Périer va rejoindre ses collègues.

Les députés étaient entrés en délibération; ils délibèrent longuement... qu'il serait opportun et prodigieusement patriotique d'écrire une lettre à Charles X, pour supplier Sa Majesté de vouloir bien changer son ministère et retirer les fatales ordonnances. Cet avis, ouvert par messieurs Bertin-de-Vaux, Dupin, Sébastiani, Périer et Villemain prévalut, sans néanmoins amener aucun résultat. On se sépara sans avoir rien fait, rien tenté pour ce peuple héroïque dont le sang coulait déjà par torrens dans les rues

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LAFAYETTE PENDANT LA RÉVOLUTION DE 1830.

de Paris. Je me trompe, on fit quelque chose: on se donna rendez-vous pour le lendemain A MIDI, chez M. Audry de Puyraveau qui, sur le refus de M. Périer d'ouvrir une seconde fois son hôtel aux députés réunis, s'empressa de leur offrir sa maison, en ajoutant qu'ils y seraient sous la sauve-garde du peuple.

Les hostilités entre le peuple et les troupes royales, commencées dans la soirée du 27, se renouvelèrent le 28 au matin, et ne prirent qu'alors ce caractère d'ensemble et de ténacité qui annonçait une guerre dont l'issue devait être la vie ou la mort des libertés de la France. C'est aussi dès ce moment que Lafayette lie inséparablement son existence aux vicissitudes de cette grande lutte. La patrie va encore une fois se placer, au sein des orages, sous l'égide du grand citoyen, dont les lauriers cueillis dans l'un et l'autre hémisphères, furent toujours ceux de la liberté, du courage et de la philosophie. Comme aux premiers jours de la révolution de 89, comme à toutes les époques de sa longue carrière, l'autorité de son nom va vaincre le despotisme et imposer à l'anarchie.

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CHAPITRE III.

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Arrivée de Lafayette à Paris.-Ses premières démarches.- La résistance du peuple se généralise. - Première réunion de députés chez M. Audry de Puyraveau. Conduite et discours de MM. Lafayette, Mauguin, Laffitte, Charles Dupin, Sébastiani, Guizot, Puyraveau, etc. - Envoi d'une commission au duc de Raguse. M. Périer propose en secret de donner quelques millions à Marmont. Première réunion chez M. Bérard. Abandon de la cause du peuple par la presque totalité des députés présens. Divers combats. Faiblesse de MM. Villemain, Sébastiani, Bertin-de-Vaux.Nouvelle réunion chez M. Audry de Puyraveau. - Les députés patriotes ne sont plus que huit. - Nuit du 28 au 29.

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Lafayette était absent de Paris au moment de l'apparition des ordonnances. Le Moniteur du 26 lui parvint à La Grange, dans la matinée du 27. Sa détermination ne pouvait être douteuse; il prit la poste, et ne dut, peut-être, qu'à la rapidité de son voyage, de n'être point arrêté en route; car, il est impossible que, dans une crise de cette nature, le gouvernement contre-révolutionnaire (1) n'eût point les yeux fixés

(1) C'est à tort qu'on accuse la Cour d'avoir manqué de prévoyance, et de ne pas avoir pris toutes les mesures qu'il était en son pouvoir de prendre pour réprimer l'insurrection que

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