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la visite des principaux citoyens de la ville. Cette affluence de toutes les notabilités lyonnaises ne cessa pas un seul instant jusqu'au moment indiqué pour la promenade sur la Saône. A trois heures du soir, l'hôte de la cité monta avec sa famille dans la calèche qui lui avait été préparée. Une brillante et nombreuse cavalcade lui servait d'escorte, et le cortége se rendit sur le port Neuville, en traversant les flots d'un peuple immense qui le saluait de ses hommages. Deux grands bateaux avaient été préparés, pontés et décorés à la hâte pour le trajet. Une société choisie, parmi laquelle on remarquait un grand nombre de dames resplendissantes de toilette, y attendait le général.

Une multitude de petites barques, pavoisées de flammes de mille couleurs, entourait l'embarcation principale, et les quais des deux rives de la Saône retentissaient des acclamations du peuple qui les couvrait. Au sortir de la ville, la foule s'accrut encore par le concours des habitans des campagnes voisines. Mais c'est surtout aux abords de l'Ile-Barbe que le spectacle devint merveilleux. Sur les prairies de l'Ile, comme sur les rivages, c'était une forêt vivante de têtes; au-dessus, le pont de Saint-Rambert, couvert d'une multitude pressée, formait un amphithéâtre animé; et, enfin, sur les collines pittoresques qui resserrent le lit de la Saône, et jusque sur leurs plates-formes les plus élevées, on voyait des groupes nombreux de spectateurs. Dans ce moment, le paquebot à vapeur de Châlons à Lyon vint à passer. Les voyageurs qui le remplissaient, étonnés de

cette scène extraordinaire, en connurent bientôt la cause. Par un mouvement spontané, en passant devant l'embarcation, ils se découvrirent et se joignirent de cœur à la fête, par le cri de vive Lafayette! qui, aussitôt répété par soixante mille bouches, retentit d'échos en échos (1). Le soir, une grande fête maçonnique fut donnée à Lafayette. Le lendemain, un banquet de cinq cents couverts lui fut offert dans la magnifique salle Gayet, où il ne parvint qu'à travers les flots d'une population nombreuse qui s'était portée sur son passage, malgré la pluie qui tombait par torrens.

M. Couderc, collègue du général, ayant porté ce

toast:

<< D'autres guerriers ont gagné des batailles; d'au>>tres ont prononcé d'éloquens discours: nul ne » l'a égalé dans les vertus civiques. »

Lafayette répondit :

« Je suis fier et heureux, Messieurs, que mon pas»sage dans cette grande et patriotique cité ait été » pour elle une occasion de plus de manifester sa >> constante haine de l'oppression, son amour de la » véritable liberté, sa détermination de résister à >> toutes les tentatives de l'incorrigibilité contre-ré>>volutionnaire.

» Plus de concessions, ont dit récemment les jour>>naux officiels de ce parti; étrange contre-sens sur » la nature des pouvoirs sociaux! Plus de conces

(1) Relation du Précurseur.

»sions, dit, à son tour, et à plus juste titre, le peuple » français, lorsqu'il demande ces institutions silong>> temps attendues, qui seules peuvent garantir la >> jouissance de ceux, du moins, de nos imprescrip>>>tibles droits que la Charte a reconnus.

>> Messieurs, ajouta-t-il, on nous menace de pro» jets hostiles; et comment les effectuerait-on ? Se>> rait-ce par la Chambre des députés. Mais mon col

lègue et ami, votre respectable député qui est ici » à côté de moi, M. Couderc vous attestera, tous >> ceux de nos collègues qui siégent à ce banquet >> vous attesteront aussi, que dans un moment de >> danger notre Chambre se montrera fidèle au pa>>triotisme et à l'honneur.

>> Voudrait-on dissoudre la Chambre ? Ce serait >> alors l'affaire des électeurs ; et certes, ils enverraient » des députés dignes d'eux, de la nation et de la cir

>> constance.

>> Oserait-on, par de simples ordonnances, vicier les » élections, exercer un pouvoir illégal? Mais sans >> doute les partisans de telles mesures se rappelle»ront à temps que la force de tout gouvernement >> n'existe que dans les bras et dans la bourse de cha>> cun des citoyens qui composent la nation. La na>>tion française connaît ses droits; elle saura les dé>> fendre.

>> Espérons donc, Messieurs, que ces complots se>> ront dissipés; et, en attendant, veuillez agréer le >> toast suivant :

» Au département du Rhône et à la ville de Lyon,

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LAFAYETTE AVANT LA RÉVOLUTION DE 1830.

>> antique métropole de l'industrie, courageuse enne>> mie de l'oppression! Puissent sa liberté, sa dignité, >> sa prospérité, être solidement fondées sur la pleine >> jouissance des droits naturels et sociaux qu'elle in>> voqua dans tous les temps ! »

Le lendemain, à sept heures, le général Lafayette monta en voiture et quitta la ville de Lyon. Des torrens de pluie n'empêchèrent point la foule de se presser, une fois encore, sur son passage pour le saluer d'un dernier adieu. Une escorte de cavalerie l'accompagna jusqu'à deux lieues de la ville; et là finit cette longue série de triomphes populaires à laquelle l'illustre citoyen mit lui-même un terme, en se dérobant aux pressantes sollicitations des députations de Saint-Étienne et de Châlons-sur-Saône, qui étaient venues l'inviter à visiter leurs villes : après leur avoir exprimé sa profonde reconnaissance, le général se rendit directement à sa terre de La Grange, par une autre route que celle sur laquelle l'attendaient de nouvelles populations et de nouveaux hommages.

L'impulsion patriotique, imprimée par la présence de Lafayette dans toute cette partie de la France, était si grande, que la Cour fut au moment d'envoyer par le télégraphe l'ordre de l'arrêter à Lyon ; dès lors, en effet, la révolution était commencée. Cependant on se ravisa, sans néanmoins se faire illusion sur le prodigieux effet produit par ce voyage.

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PENDANT

LA RÉVOLUTION DE 1830.

SECONDE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

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Lafayette à La Grange.

Restauration.

tère Villèle.

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Coup d'œil sur la politique de la

Progrès de la contre-révolution.

Minis

Ministère Polignac. Ministère du 8 août.

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Situation de la France au moment de la publication des ordonnances du 25 juillet.

Depuis 1800, époque de sa rentrée en France, Lafayette avait passé la plus grande partie de son temps dans sa terre de La Grange, héritage de sa belle-mère, la duchesse d'Ayen, immolée sur l'échafaud de la Terreur. Le décret qui ordonnait la restitution des biens 'des condamnés lui avait rendu ce débris d'un grand patrimoine dont la tourmente révolutionnaire avait dévoré tout ce que lui-même n'avait point sacrifié aux intérêts de la liberté, qu'il voulut toujours

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