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pression des lettres de cachet et des prisons d'État, obtint un arrêté favorable à l'état civil des protestans, et fit, seul, la demande formelle de la convocation d'une Assemblée nationale. Quoi! lui dit le comte d'Artois, «< vous faites la motion des États-Généraux? »

«

Oui, répondit-il, et même mieux que cela. » Lafayette fut membre de l'assemblée provinciale d'Auvergne ; il fut le premier, comme propriétaire en Bretagne, à signer les protestations de cette province contre des actes arbitraires. A la seconde assemblée des notables, il insista vivement pour obtenir la double représentation des communes.

Député aux États-Généraux, Lafayette appuya la motion de Mirabeau demandant l'éloignement des troupes et en obtint l'adoption imédiate. Le 11 juillet, au milieu de l'assemblée, alors entourée de troupes et fortement menacée, il proposa sa fameuse déclaration des droits ; la voici :

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«La nature a fait les hommes libres et égaux ; les >> distinctions nécessaires à l'ordre social ne sont » fondées que sur l'utilité générale.

>> Tout homme naît avec des droits inaliénables et >> imprescriptibles; tels sont la liberté de toutes >>ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie, >> le droit de propriété, la disposition entière de sa » personne, de son industrie, de toutes ses facultés, >> la communication de toutes ses pensées par tous » les moyens possibles, la recherche du bien-être et » la résistance à l'oppression.

» L'exercice des droits naturels n'a de bornes que

>> celles qui en assurent la jouissance aux autres mem»bres de la société.

» Nul homme ne peut être soumis qu'à des lois >> consenties par lui ou ses représentans, antérieu>>rement promulguées et légalement appliquées.

» Le principe de toute souveraineté réside dans la » nation. Nul corps, nul individu ne peut avoir une >> autorité qui n'en émane expressément.

>> Tout gouvernement a pour but unique le bien » commun. Cet intérêt exige que les pouvoirs légis>> latif, exécutif et judiciaire, soient distincts et dé>> finis, et que leur organisation assure la représen>>tation libre des citoyens, la responsabilité des >> agens, et l'impartialité des juges.

» Les lois doivent être claires, précises, uni>> formes pour tous les citoyens.

>> Les subsides doivent être librement consentis

>> et proportionnellement répartis.

» Et comme l'introduction des abus et le droit des » générations qui se succèdent nécessitent la révision » de tout établissement humain, il doit être pos»sible à la nation d'avoir, dans certains cas, une >> convocation extraordinaire de Députés, dont le seul » objet soit d'examiner et corriger, s'il est nécessaire, » les vices de la constitution. >>

Cette déclaration, la première de toutes en Europe, et la plus simple, servit de base à celle de l'assemblée constituante. A la même époque, cette assemblée s'étant déclarée en permanence, créa un vice-président et nomma Lafayette. Il la présida en cette qualité

pendant les nuits du 13 et du 14 juillet, et fit décréter la responsabilité des conseillers de la couronne. Envoyé, le 15, à Paris, comme chef d'une députation de soixante membres, il y fut proclamé commandant général de la garde bourgeoise; le lendemain, il fit publier l'ordre de détruire la Bastille ; le 17, il reçut le Roi à la tête de près de deux cent mille hommes diversement armés (1). Après avoir arraché un grand nombre de victimes à la fureur populaire, mais désespéré de n'avoir pu sauver Foulon et Berthier, il donna sa démission. Les instances des citoyens, et surtout des électeurs et du vertueux Bailly, lui rendirent l'espoir d'arrêter les violences; il se dévoua de nouveau. Les soixante districts de Paris confirmèrent à l'unanimité sa nomination de commandant général et s'engagèrent, par des arrêtés spéciaux, à le seconder dans ses efforts pour la défense de la liberté et de l'ordre public.

(1) Lafayette, dit Toulongeon, en parlant de cette époque, Lafayette dont le nom et la réputation acquise en Amérique, étaient liés à la liberté même, Lafayette était à la tête de la garde nationale parisienne; il avait à la fois la confiance entière et l'estime publique dûes à de grandes qualités : celle de rallier les esprits, où plutôt les cœurs, lui était naturelle; un extérieur jeune et rassurant qui plaît à la multitude; des manières simples, populaires et attirantes : Il avait tout pour commencer et terminer une révolution, les qualités brillantes de l'activité militaire, et l'assurance tranquille du courage dans les émotions publiques, Lafayette eut suffi à tout, si tout se fut passé en action, si tout se fut fait au grand jour, mais les routes ténébreuses de l'intrigue lui étaient inconnues.

Bientôt après, Lafayette proposa, à l'Hôtel-deVille, l'institution régulière de la force armée sous le nom de garde nationale. L'antique couleur blanche fut unie aux couleurs de la ville, bleu et rouge, « Messieurs, dit-il, je vous apporte une cocarde qui >> fera le tour du monde, et une institution à la fois » >> civique et militaire, qui changera le système de » la tactique européenne et réduira les gouverne>> mens absolus à l'alternative d'être battus s'ils ne >> l'imitent pas, et renversés s'ils osent l'imiter. » La garde nationale de tout l'empire s'organisa à l'instar de celle de Paris, et sous l'influence de son chef qui, cependant, refusa les commandemens spéciaux que des députations et des adresses lui offraient de toutes part.

On voit dans les mémoires de Bailly que, dès le commencement de septembre 1789, Lafayette obtint, non sans difficulté et par son influence personnelle, l'envoi d'une députation de la commune à l'assemblée nationale, pour demander quelques innovations immédiates dans la jurisprudence criminelle, telles que la procédure rendue publique, la communication des pièces, des défenseurs accordés aux accusés, la libre communication des prévenus avec leurs familles et leurs amis, la confrontation des témoins : réformes si nécessaires, et dont profitèrent les trois seuls procès politiques qui eurent lieu dans ces premières années. M. de Sèze, avocat du baron de Bezenval en fit un magnifique éloge, qu'on retrouve encore dans les mémoires et journaux du temps.

Cependant, tandis qu'à Paris les magistrats du peuple et la garde nationale s'épuisaient en efforts pour maintenir l'ordre public, on conspirait de nouveau à Versailles. Le signal fut donné dans le fameux repas des gardes du corps; on y foula aux pieds la cocarde tricolore; les dames y distribuèrent des cocardes blanches; on y cria à bas la nation! Le 5 octobre, ces provocations, la disette de pain, les intrigues des factieux produisirent à l'Hôtel-de-Ville la plus violente émeute. Lafayette contint pendant huit heures les flots de cette foule immense qui, de toutes parts, criait: à Versailles et du pain! Mais apprenant que de divers autres points de la capitale, plusieurs milliers de furieux se portaient sur Versailles avec des armes et du canon, il demanda et obtint de la commune l'ordre de s'y rendre lui-même avec une partie de la garde nationale. En arrivant à Versailles, il fit renouveler le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Ayant demandé, pour lui seul et les deux commissaires de la commune, l'ouverture des cours du château, remplies alors par le régiment des gardes suisses, il s'avança dans les appartemens encombrés de monde, au milieu d'un morne silence qui ne fut rompu que par ce cri poussé par un des spectateurs : Voilà Cromwell! « Cromwell, répondit Lafayette, « ne serait pas entré seul ici. » Ses procédés envers le Roi et les paroles qu'il lui adressa furent trouvés, même par les courtisans, pleins d'affection et de respect. Cependant Louis XVI ne lui confia que la garde des postes qu'avaient occupés les ci-devant gardes

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