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un prêt de plusieurs millions. Enfin, il arriva sur une frégate française à Boston, où, malgré l'ignorance dans laquelle on était des mesures concertées avec lui et par ses soins, il fut reçu avec enthousiasme par la population dont il avait déjà obtenu cette affection et cette confiance qui lui ont été conservées pendant plus de cinquante-quatre années avec une si honorable constance.

Durant la campagne de 1780, Lafayette commanda l'infanterie légère, division d'élite qui se regardait comme spécialement associée à sa fortune, ainsi que les dragons qui formaient l'avant-garde américaine; il accompagna Washington à son entrevue avec les généraux français, et pensa devenir avec lui victime de la trahison d'Arnold. L'hiver suivant, il marcha sur Portsmouth, en Virginie, pour y coopérer. à une attaque concertée avec les Français, et qui échuoa par l'issue malheureuse du combat naval de M. Destouche. Lafayette reçut, en retournant vers le nord, un courrier de Washington qui lui annonçait que les ennemis allaient porter leur force en Virginie, et lui demandait de défendre, le plus longtemps qu'il le pourrait, cet État d'où dépendait le sort de toute la partie méridionale des États-Unis. Le faible corps qu'il commandait manquait de tout; il emprunta en son nom; les dames travaillèrent pour les troupes, qui se passèrent de solde; il arrêta la désertion en s'adressant à l'honneur et à l'affection des soldats, et en faisant de leur renvoi un moyen de punition.

Son premier soin fut de gagner à marches forcées Richmond, capitale de l'État, où étaient tous les magasins, et qu'il eut le bonheur de sauver en arrivant quelques heures avant les ennemis. C'est alors, que lord Cornwallis, très-supérieur en nombre et maître. de la navigation intérieure, écrivit à Londres que « l'enfant ne pouvait lui échapper. »

Nous ne suivrons pas les historiens américains dans le détail de cette campagne de cinq mois. Les grands mouvemens de la dernière guerre ont diminué l'intérêt de ces succès importans sans doute, mais obtenus avec de faibles moyens. Nous dirons seulement que le résultat produit fut d'éviter une bataille, d'assurer des jonctions d'une haute importance, de garantir les magasins, et puis, après une suite de manœuvres et quelques engagemens, d'enfermer lord Cornwallis et toute son armée dans une position assignée d'avance, comme la plus convenable pour que le comte de Grasse, à son arrivée des Antilles, pût la bloquer par mer, tandis que le corps de Lafayette, renforcé par trois mille Français débarqués sous les ordres du marquis de Saint-Simon, prenait à Williamsbourg une position que lord-Cornwallis crut inattaquable. Grasse et Saint-Simon, pressèrent Lafayette d'attaquer l'ennemi ; mais, celui-ci sûr que son adversaire ne pouvait échapper, voulut épargner le sang, et attendit Washington qui amenait le corps de Rochambeau et la division de Lincoln. Cette jonction opérée, Lafayette enleva à la baïonnette, avec l'infanterie légère américaine, une redoute ennemie ; les grenadiers

français, commandés

par

le baron de Viomesnil, en

prirent une autre. La capitulation de Yorktown décida le sort de cette guerre. Ces événemens se passaient en octobre 1781.

Revenu en France à bord d'une frégate américaine, Lafayette fut associé à la grande expédition de Cadix, où il conduisit de Brest huit mille hommes. Le comte d'Estaing, commandant les troupes et la marine de France et d'Espagne, devait attaquer la Jamaïque avec soixante-six vaisseaux et vingt-quatre mille hommes. Lafayette fut nommé chef de l'état-major des armées combinées. Le but ultérieur de l'expédition était de se porter devant New-York. Alors Lafayette, avec six mille hommes, aurait entrepris, par le fleuve Saint-Laurent, la révolution du Canada. Le départ de cette expédition fut arrêté par la paix de 1783, dont il envoya les premières nouvelles au congrès, étant appelé lui-même, par le chargé d'affaires américain, à Madrid où l'établissement des relations politiques, trop long-temps différé, fut réclamé avec fermeté et réglé en huit jours (1).

Lafayette fit, peu de temps après, une visite aux

(1) Les négociations diplomatiques des États-Unis, dans les premières années de leur indépendance, tirées des archives du congrès, ont dernièrement été publiées en Amérique. Celles de Lafayette tiennent un tiers de volume; on reconnaît dans la manière franche mais hautaine dont il parle avec succès, au nom de cet État naissant, aux cours de Madrid et de Vienne, ́le ton qu'il avait voulu imprimer à notre diplomatie dans les premiers temps de la révolution de 1830.

États-Unis; son passage dans les villes et les campagnes présenta le spectacle d'une fête continuelle (1): on lui demanda d'assister à un traité avec les sauvages, sur lesquels on connaissait son influence. Reçu en cérémonie dans la salle du congrès, il répondit par un discours dont les derniers mots furent : « Puissent » la prospérité et le bonheur des États-Unis attester » les avantages de leur gouvernement! Puisse ce » temple immense que nous venons d'élever à la li» berté présenter à jamais une leçon aux oppresseurs, » un exemple aux opprimés, un refuge pour les droits >> du genre humain, et un objet de jouissance pour les » mánes de ses fondateurs!»-L'État de Virginie, en plaçant le buste de Lafayette dans son Capitole, fit présent d'un buste semblable à la ville de Paris qui l'installa dans la grande salle de l'Hôtel-de-Ville, devenue depuis la salle des électeurs de 1789.

En 1785, Lafayette alla visiter les cours et les armées d'Allemagne, et, quoiqu'il y apportât l'esprit et les professions de républicanisme qui le singularisaient à la cour de France, et qui n'empêchaient pas alors qu'il ne fût traité avec distinction et bienveil– lance, il fut reçu partout de la manière la plus flatteuse, particulièrement par Joseph II, et surtout par le Grand-Frédéric qu'il accompagna dans ses revues. C'est-là qu'il vit de l'artillerie à cheval, et qu'il se promit d'introduire cette arme en France aussitôt qu'il le pourrait.

(1) Voyez les publications du temps, et spécialement le 3o volume du Cultivateur américain, par M. de Crevecœur.

Rentré dans sa patrie il s'occupa avec Malesherbes du sort des protestans, dans l'intérêt desquels, dès 85, il avait fait un voyage à Nîmes; et, de l'aveu du ministre maréchal de Castries, il consacra une somme considérable à l'essai de l'affranchissement graduel des noirs. Ces hommes, achetés à Cayenne pour être rendus à la liberté, furent, malgré les réclamations de madame de Lafayette, vendus comme esclaves par le parti qui triompha au 10 août 1792.

Lafayette avait secondé l'ambassadeur Jefferson dans la formation d'une ligue contre les Barbaresques, ligue que les cours de Versailles et de Londres déjouèrent, en prenant ces pirates sous leur protection.

Plus tard, lorsque la Hollande fut menacée par la Prusse, on voit dans l'ouvrage de M. de Ségur, et par une lettre de M. de Saint-Priest, que Lafayette allait être appelé par les patriotes bataves, si la lâcheté du ministère français n'avait précipité leur ruine. L'indignation que Lafayette témoigna dans cette circonstance fut la même que celle qu'il a récemment manifestée à la tribune, lorsque le gouvernement actuel s'est conduit envers l'invasion autrichienne de l'Italie, comme celui de l'archevêque de Sens l'avait fait à l'égard de l'invasion prussienne en Hollande. Ce dévouement ne fut point oublié par les Hollandais qui, pendant la longue et cruelle proscription de Lafayette, ne cessèrent de lui témoigner l'affection et la gratitude les plus vives.

En 1787, il fit partie de l'Assemblée des Notables; il y dénonça plusieurs abus, proposa la sup

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