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convenaient qu'il avait fait des fautes, et, prêts à l'abandonner, à peine lui accordaient-ils de ces froids regrets qu'emporte un bienfaiteur dont la perte, dès longtemps prévue, devient une consolation de l'état de crise qui l'a précédée.

D'autres conspiraient directement en faveur de l'ancienne dynastie, dont les agens, sortis enfin d'une longue apathie, se remontraient plus actifs, plus nombreux qu'à aucune époque de la révolution: ils s'étaient répandus dans les villes, glissés dans les admi nistrations; déjà ils essayaient la corruption sur des chefs de troupes, en même temps qu'ils assiégeaient les cabinets diplomatiques, suivaient les bataillons de l'étranger, implorant à la fois leur secours et armant leur fureur.

Napoléon, par son indulgence pour certains hommes, par sa faiblesse pour les vanités nobiliaires, avait familiarisé les esprits avec les idées de contre-révolution. Dans les salons de Paris, comme à l'époque du 18 fructidor, les anciens titres étaient placés au-dessus des services nouveaux, et de prétendues illustrations historiques recevaient les hommages de cette foule d'individus, lâches et vains, qui semblent n'avoir de pensée que pour blâmer ce qui est, de joie que pour les malheurs publics. Ces hommes avaient eu le cruel courage d'exercer leur esprit sur la retraite de la Bérésina; ils retrouvèrent encore leur gaieté à la nouvelle du désastre de Leipsick. La conduite au moins intempestive du Corps législatif leur parut justifier la leur, et tandis que toutes les calamités se précipitaient sur les frontières de l'Empire, dans l'intérieur ils se faisaient gloire d'être de l'opposition; ils demandaient à grands cris la paix, lorsqu'un raisonnement le plus vulgaire indiquait que pour obtenir cette paix si désirée il fallait auparavant se préparer à la guerre (1).

Les républicains aussi n'étaient pas sans mériter quelque reproche. Ils avaient conservé de justes ressentimens ; mais était-ce le moment de les faire éclater? Si Napoléon malheureux ne pouvait désarmer les accusateurs de Napoléon despote, le spectacle de la patrie déchirée devait éloigner pour un temps toute idée de vengeance contre un homme. Cependant les républicains recevaient un grand exemple du plus illustre d'entre eux Carnot, depuis longtemps rentré dans la vie de simple citoyen, mais confondant alors la chose publique avec l'empereur, vint offrir son dévouement et son génie; il se chargea du gouvernement et de la défense de la ville et du port d'Anvers; et cette importante cité, par un monument de sa reconnaissance, a

(1) Un membre du Corps législatif, l'un des chefs les plus influens de cette opposition factieuse, avait composé une chanson dont l'éternel refrain était la paix, la paix, la paix, et il aurait voulu que les citoyens, en se promenant dans le jardin des Tuileries, le répétassent incessamment sous les fenêtres de l'empereur.

consacré le souvenir de l'administration savante et paternelle de Carnot.

Ainsi Napoléon, au milieu d'un peuple isolé en soi par la perte de ses droits politiques; entravé dans la marche de son gouvernement par les efforts d'une faction; à la tête d'une armée toujours dévouée, mais qui, étant plutôt la sienne que celle de la nation, ne mettait de gloire à vaincre que pour son chef et avec lui; menacé de la tiédeur et même de l'abandon de ses premiers lieutenans, chez qui les richesses autant que les fatigues avaient amolli le courage, ébranlé la fidélité; Napoléon, après avoir imposé une domination tutélaire, brillante, mais absolue, n'allait recueillir que le fruit du despotisme. Quand sa position réclamait tous les dévouemens, il ne pouvait compter que sur l'obéissance du peuple, et devait craindre la défection de ses esclaves titrés. Tel est l'écueil des gouvernemens qui se séparent de la masse des citoyens pour s'appuyer sur des aristocraties.

Au dehors tout combattait également contre lui; la jalousie, la haine et les ressentimens des rots, l'ingratitude et l'aveuglement des peuples. Les défections successives de la Prusse, de l'Autriche, de la Bavière et des troupes saxonnes avaient décidé celles des princes de la Confédération. La Suède et la Russie entraînent le Danemarck, dernier allié de la France dans le nord. La Hollande proclame son indépendance sous la protection prussienne, et rappelle la maison d'Orange. La neutralité de la république Helvétique est vendue aux Autrichiens par l'aristocratie suisse. L'Italie, que Napoléon a régénérée, est en insurrection contre son bienfaiteur. Mais une défection la plus coupable de toutes, c'est celle qui annonce à Napoléon un ennemi de plus dans un prince français son parent, et l'un de ses premiers lieutenans, dans la personne du roi de Naples, Murat : soldat intrépide, mais chef incapable et mauvais citoyen, il s'est donné à la coalition autant pour satisfaire à des ressentimens personnels que par des vues ambitieuses: plusieurs fois il avait mérité que Napoléon lui adressât de vifs reproches; son orgueil offensé en fit l'ennemi de son pays. L'Angleterre, qui par les efforts de sa haine est parvenue à cimenter cette monstrueuse coalition, l'appuie encore par des efforts nouveaux pour elle: elle ne se borne plus à payer ses alliés, à diriger, à corrompre leurs cabinets; elle lève des armées, et se montre aussi puissance militaire. Ses troupes, réunies aux insurgens espagnols et portugais, grossies par des transfuges de tous les pays, parviennent à se rendre maîtres de la péninsule, que les généraux français, privés d'hommes et de toute espèce de secours, ont été obligés d'abandonner après cinq années d'une guerre la plus désastreuse; injuste peut-être de la part de la France, mais signalée du côté de l'ennemi par des actes inouis de vengeance et de cruauté. Enfin l'Europe entière, enveloppée d'une atmosphère d'intrigues et de trahisons, marchait armée contre la France.

En y comprenant les levées en masse et volontaires des peuples insurgés et fanatisés, deux millions de combattans étaient appelés à envahir la France. Napoléon avait levé trois cent mille hommes, organisé les gardes nationales, mis en activité les cohortes urbaines et toutes ses réserves; il avait autorisé des corps de partisans, et prcvoqué même un mouvement en masse. Mais ces différentes mesures, lorsqu'elles n'étaient pas comprimées par la faction ou arrêtées par l'arrivée de l'ennemi, s'exécutaient généralement avec lenteur, et l'on peut dire avec trop de sagesse : ici le courage des administrateurs semblait être passé tout entier dans leurs adresses à l'empereur; là on aurait pu croire que les commissaires extraordinaires du gouvernement impérial avaient été nommés par le prétendant. Napoléon pouvait compter un effectif de cinq cent mille hommes, mais répartis sur tous les points menacés, et dont les deux tiers de nouvelles levées. Par une déplorable imprudence, il avait laissé plus de cent mille vieux soldats dans les places fortes de l'Allemagne, de la Prusse et de la Pologne. Les maréchaux Soult et Suchet, avec soixante mille hommes environ, débris des armées d'Espagne, restaient sur la ligne des Pyrénées, qu'ils faisaient respecter. En Italie le prince Eugène se maintenait contre l'insurrection avec trente mille Français. Cependant les armées ennemies, qui dès le mois de décembre ont opéré leur passage sur toute la rive gauche du Rhin, se sont depuis répandues dans les départemens de l'est; déjà elles pénètrent au cœur de l'Empire. Plusieurs villes, soulevées enfin par la nécessité d'une défense directe, opposent une résistance héroïque; quelques unes se rendent sans gloire; mais l'étranger réserve à tout‹s un sort commun. Des manques de foi, des propositions captieuses, des capitulations violées, enfin la trahison et le déshonneur ont causé ses premiers succès; le même système le conduit au triomphe qu'il ambitionne. Son invasion est marquée par le carnage et l'incendie; partout il montre une soif de vengeance et une férocité dont on ne croyait pas capables des nations modernes; chefs et soldats, tous prouvent qu'ils sont encore barbares.

Le 26 janvier Napoléon reprend en personne la direction principale de ses armées. Il commande aussitôt à la victoire; elle le suit. Mais où il n'est pas la fortune reste contraire; de sorte qu'en un même jour on peut admirer un brillant succès et déplorer plusieurs défaites. Cette guerre, soutenue en partie dans les plaines de la Champagne et presque sous les murs de Paris, présente des faits d'armes qui égalent et même surpassent ceux qui ont illustré les premières campagnes de la République et les campagnes d'Italie. Les combats de Brienne, de Champaubert, de Montmirail, de Vauchamp, de Montereau, de Craonne, de Saint-Dizier, etc., auraient suffi à la réputation d'un chef d'armée, comme à la renommée belliqueuse d'une nation. En moins de vingt jours Napoléon a dispersé deux cent mille ennemis. Mais ce n'était plus des armées, c'était des peuples qu'il fallait vaincre.

Cette lutte, quoique inégale, se serait prolongée avec des succès divers; les peuples des départemens, séduits d'abord par les proclamations des alliés, mais cruellement désabusés par la conduite de leurs troupes, allaient enfin rendre la guerre nationale. Tout à coup un mouvement hasardé a découvert Paris; l'ennemi s'y précipite. Il est un moment humilié sous les murs de cette capitale ; enfin elle est livrée : il y était attendu. La contre-révolution marchait à sa suite; elle triomphe avec lui. (Voyez plus loin, Situation de Paris au 29, 30 et 31 mars, etc.)

Ier. Mention chronologique des principaux événemens.-Du 9 novembre 1813 au 29 mars 1814.

La grande

Le 9 novembre 1813, — retour à Paris de Napoléon. armée opère sa rentrée en France sur toute la ligne du Rhin. même jour, note de Francfort. Voyez 2 décembre.

Le

Le II, le maréchal Gouvion Saint-Cyr, privé de toute communication après l'affaire de Leipsick, et cédant au vœu des habitans, rend la ville de Dresde au général autrichien Klenau. La convention porte que la garnison, s'élevant à vingt-trois mille hommes, rentrera en France et ne pourra servir qu'après échange. Le prince de Schwartzenberg refuse de ratifier cette convention, quoiqu'elle ait déjà reçu un commencement d'exécution, et la garnison française est envoyée prisonnière dans les états autrichiens.

Des 12, 14 et 15 novembre. - Audience donnée au Sénat par Napoléon. Levée de trois cent mille hommes. (Voyez, pour les discours, page 419 et suivantes. )

Le 24, - le général prussien Bulow prend Amsterdam. Le parti du stathouder se relève; un gouvernement provisoire proclame l'indépendance des Provinces-Unies, et rappelle la maison d'Orange. Le général français Molitor, avec environ quinze mille hommes, s'était replié d'Amsterdam sur Utrecht, qu'il fut encore contraint d'abandonner après quelques jours. A la fin de décembre les troupes françaises avaient entièrement évacué la Hollande.

Du 1er décembre.

DÉCLARATION DES PUISSANCES ALLIÉES. (1) «Le gouvernement français vient d'arrêter une nouvelle levée de trois cent mille conscrits. Les motifs du senatus-consulte renferment une provocation aux puissances alliées : elles se trouvent appelées à promulguer de nouveau, à la face du monde, les vœux qui les guident dans la présente guerre, les principes qui font la base de leur conduite, leurs vœux et leurs déterminations.

» Les puissances alliées ne font point la guerre à la France, mais à cette prépondérance hautement annoncée, à cette pré

(1) Insérée avec autorisation, mais sans signature, dans le journal de Francfort du 7 décembre 1813.

pondérance que, pour le malheur de l'Europe et de la France, l'empereur Napoléon a trop longtemps exercée hors des limites de son Empire.

par

» La victoire a conduit les armées alliées sur le Rhin. Le premier usage que LL. MM. impériales et royales ont fait de la victoire a été d'offrir la paix à S. M. l'empereur des Français. Une attitude renforcée l'accession de tous les souverains et princes de l'Allemagne n'a pas eu d'influence sur les conditions de la paix. Ces conditions sont fondées sur l'indépendance de l'Empire français, comme sur l'indépendance des autres états de l'Europe. Les vues des puissances sont justes dans leur objet, généreuses et libérales dans leur application, rassurantes pour tous, honorables pour chacun.

» Les souverains alliés désirent que la France soit grande, forte et heureuse, parce que la puissance française grande et forte est une des bases fondamentales de l'édifice social. Ils désirent que la France soit heureuse, que le commerce français renaisse, que les arts, ces bienfaits de la paix, refleurissent, parce qu'un grand peuple ne saurait être tranquille qu'autant qu'il est heureux. Les puissances confirment à l'Empire français une étendue de territoire que n'a jamais connu la France sous ses rois, parce qu'une nation valeureuse ne déchoit pas pour avoir à son tour éprouvé des revers dans une lutte opiniâtre et sanglante, où elle a combattu avec son audace accoutumée.

» Mais les puissances aussi veulent être heureuses et tranquilles; elles veulent un état de paix qui, par une sage répartition des forces, par un juste équilibre, préserve désormais leurs peuples des calamités sans nombre qui depuis vingt ans ont pesé sur l'Europe.

avant que

des

Les puissances alliées ne poseront pas les armes sans avoir atteint ce grand et bienfaisant résultat, ce noble objet de leurs efforts. Elles ne poseront pas les armes avant que l'état politique de l'Europe ne soit de nouveau raffermi, principes immuables n'aient repris leurs droits sur de vaines prétentions, avant que la sainteté des traités n'ait enfin assuré une paix véritable à l'Europe.

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Francfort, ce 1er décembre 1813. »

Du 2 décembre. (M. le baron de Saint-Aignan, ministre plénipotentiaire de France, sur l'invitation expresse de MM. de Metternich et de Nesselrode, avait adressé de Francfort, le 9 novembre, une note portant:)

Que les puissances coalisées étaient engagées par des liens indissolubles, qui faisaient leur force, et dont elles ne dévieraient jamais ;

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