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pensées d'un empereur aussi grand par les lois que par les armes, qui ne jouirait plus de sa gloire si elle ne devait pas augmenter notre bonheur, et qui sait en même temps que pour les Français il ne peut exister de bonheur sans gloire.

» Je vais me håter, messieurs, de vous lire le décret que nous sommes chargés de vous présenter. Je ne veux point, en prolongeant ce discours, retarder plus longtemps une solennité dont je me sens également pressé de jouir comme ancien soldat, comme magistrat et comme père.

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Lecture faite du décret de clôture, le président communique à l'Assemblée la lettre qu'il avait reçue en 1808 du prince de Neufchâtel.

« J'ai l'honneur de vous prévenir, monsieur le comte, que S. M. l'empereur et roi a chargé M. de Ségur (Paul-Philippe ), adjudant commandant, de porter et présenter au Corps législatif les quatre-vingts drapeaux et étendards pris par l'armée française aux combats d'Espinosa, Burgos, Tudela, SomoSierra et Madrid.

» Cet officier supérieur, qui a pris une part si honorable à l'affaire de Somo-Sierra, va se mettre en marche, des que l'état de ses blessures le permettra, pour remplir cette mission, qui est pour lui un témoignage précieux de l'estime et de la satisfaction de l'empereur pour les services qu'il a rendus.

» Je prie votre Excellence de recevoir l'expression des sentimens de ma plus haute considération.

» Au camp de Madrid, le 21 décembre 1808. Le major général de l'armée, signé ALEXAndre (Berthier ).

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« Une musique majestueuse et guerrière annonce l'approche des quatre-vingts drapeaux, portés par autant de grenadiers de la garde impériale, ayant à leur tête M. l'adjudantcommandant comte de Ségur; ils sont reçus et introduits par une députation de douze membres du Corps législatif. A la vue de ces nombreux trophées de la victoire, toutes les parties de la salle retentissent des plus vives acclamations de vive l'empereur, qui se renouvellent avec enthousiasme à mesure que les drapeaux sont déposés au pied de la statue de Napoléon-leGrand, dont ils couvrent et environnent toute l'enceinte. M. le comte de Ségur, adjudant-commandant, invité par M. le président à prendre la parole, monte à la tribune et dit:» (Procès verbal.)

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Messieurs, l'empereur me charge d'avoir l'honneur de

vous présenter les drapeaux ennemis pris aux combats d'Espinosa, Burgos, Tudela, Somo-Sierra et Madrid.

» Les voilà ces signes de ralliement des ennemis de la France! Comment donc osaient-ils les déployer contre le héros du monde, sans croire que c'étaient des trophées qu'ils élevaient à sa gloire !

» Nous, soldats du grand empereur, dévoués à ses ordres, fiers de les exécuter ou de mourir, quelle plus noble récompense peut-il nous donner que celle de vous apporter les marques éclatantes de ses victoires, d'en orner le sanctuaire de ces lois conçues par son génie, et sanctionnées par votre sagesse.

>> Permettez-moi donc, messieurs, de me féliciter aujourd'hui de l'honneur que S. M. daigne m'accorder en me chargeant de déposer au milieu des députés de tous les départemens de la France les témoignages de la gloire nationale, témoignages qui désormais ici seront ceux de la constante bienveillance de S. M. pour l'un des plus illustres et des plus grands corps de l'Empire.

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DISCOURS du président, M. de Fontanes.

<< Guerriers et législateurs, l'appareil militaire déployé dans cette enceinte paisible; les soldats français portant les trophées de leur gloire aux députés des villes et des campagnes qui les ont vus naître; les guerriers et les magistrats confondus; la puissance des armes honorant celle des lois; les nombreux drapeaux qu'on vient suspendre autour de cette statue, où revivent les traits du vainqueur et du législateur de tant de nations; tout ce spectacle, à la fois héroïque et touchant, a déjà pénétré vos cœurs d'un enthousiasme involontaire.

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Que peut ajouter la voix de l'orateur à l'émotion générale! Comment exprimer tout ce qu'on éprouve de grand et de doux au milieu de cette importante cérémonie!

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» Ils ne sont plus ces temps où les maîtres du monde s'arrogeaient seuls l'honneur des triomphes, payés par les travaux et quelquefois par la vie de leurs sujets. Un grand prince appelle aujourd'hui son peuple au partage de sa gloire; et quel prince a plus que lui le droit de croire qu'il entraîne seul la fortune à sa suite? Mais, sûr de sa grandeur personnelle, ne craint point de la communiquer; il n'ignore pas que le monarque accroît les honneurs de son trône de tous ceux qu'il accorde à sa nation. Il fait déposer pour la seconde fois au sein du Corps législatif les monumens de ses conquêtes. La lettre qui les accompagne est au-dessus peut-être du don glorieux que nous avons deux fois reçu de lui. Qu'on me permette de la

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rappeler un moment; les grands hommes se peignent dans leurs paroles comme dans leurs actions.

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"Mes troupes (dit Sa Majesté) ayant, au combat de Bur» gos, pris les drapeaux de l'armée d'Estramadure, parmi lesquels se trouvent ceux des gardes wallonnes et espagnoles, » j'ai voulu profiter de cette circonstance, et donner une » marque de ma considération aux députés des départemens >> au Corps législatif, en leur envoyant les drapeaux pris dans » la même quinzaine où j'ai présidé à l'ouverture de leur ses>>sion. Que les députés des départemens et les colléges élec>> toraux dont ils font partie y voient le désir que j'ai de leur » donner une preuve de mon estime. »

>> Cette lettre associe en quelque sorte la grandeur du monarque à celle du peuple français. Un héros avait dit en partant qu'il conduirait son auguste frère à Madrid: ce qu'il avait dit s'est exécuté; jamais il ne fit en vain de telles promesses. Mais sur le champ de bataille sa première pensée est pour nous. C'est Alexandre qui part de la Macédoine avec son génie et l'espérance, et qui, dès sa première victoire au delà du Granique, envoie les dépouilles des nations vaincues aux temples des dieux de sa patrie.

» Vous avez sans doute été frappés comme moi du motif de cet hommage fait aux députés des départemens et des colléges électoraux. Une autre idée non moins grave est digne de vous occuper encore.

>> Les drapeaux qui nous sont remis ont un caractère particulier : ils furent conquis sur un peuple égaré par les factions; quelques uns portent encore les emblèmes de la licence populaire. Ce n'est donc point en vain que le chef de l'État a résolu de les placer dans le sanctuaire des lois ; il veut par cette image rappeler à tous les yeux les malheurs qui menacent les empires quand le frein sacré des lois ne retient plus les fureurs de la multitude.

» Hélas! nous avons connu les mêmes excès. Que notre exemple éclaire et détrompe un peuple infortuné! L'esprit de ses anciennes juntes s'est réveillé sous une influence étrangère : voilà le véritable danger qui le presse. Non, ce n'est point un héros qu'il doit craindre; ses armes ne le soumettront que pour le sauver : c'est contre l'anarchie qu'il doit se mettre en défense. Et qui peut mieux l'en garantir que notre libérateur ? L'anarchie est de tous les ennemis de la France celui dont la défaite lui mérita le plus d'honneurs et de bénédictions.

>>

Espérons que des jours plus heureux vont se lever sur l'Espagne! Le prince qui la gouverne achevera l'ouvrage des armes

par la force des bienfaits et l'autorité de la sagesse. L'insulaire, entièrement chassé de la péninsule, et sans ressources sur le continent, implorera, pour nous échapper encore, la vitesse de ses vaisseaux; on va dire une seconde fois, en dépit de l'Angleterre : Il n'y a plus de Pyrénées!

» Rien ne peut donc altérer les nobles impressions qui naissent à l'aspect de ces trophées instructifs et glorieux. Le guerrier choisi pour nous les porter leur ajoute encore un nouveau prix ; son bras servit à les enlever : que dis-je ! on a craint longtemps qu'il ne les payât de ses jours. Brillant des grâces de la première jeunesse, il est déjà couvert d'honorables blessures comme un vétéran. Il eut le bonheur de trouver dans son aïeul et dans son père les vrais modèles de la valeur et de l'urbanité françaises : il n'a point démenti ce double exemple. Il réunit les plus beaux caractères de l'officier français, également propre à briller dans la cour et dans l'armée ; sachant cultiver son esprit dans la dissipation des fêtes et dans le tumulte des camps; aimable et doux dans la société, mais terrible un jour de bataille. Que ces drapeaux teints de son sang doivent paraître beaux à sa mère, à son épouse, à son père, qui versent des larmes de joie, et sur qui semblent s'arrêter tous les regards de cette Assemblée! Je suis sûr que dans ce moment le jeune guerrier se dit dans son cœur que, malgré tant de périls et de souffrances, la gloire dont il jouit ne fut pas trop chèrement achetée, et que nul sacrifice n'est impossible pour le souverain qui lui réservait un si beau jour!

» Oui, j'en atteste l'honneur français, telle est sa pensée. L'honneur français ! que de prodiges on peut faire avec ce seul mot! L'honneur français, dirigé par un grand homme, est un assez puissant ressort pour changer la face de l'univers.

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On a souvent nommé les rois d'illustres ingrats; on a dit, non sans quelque raison, qu'ils mettaient trop tôt en oubli le dévouement de leurs sujets, et qu'auprès du trône il était plus utile de flatter que de servir. Combien le maître à qui nous sommes attachés mérite peu ce reproche! Du haut point d'élévation qu'il occupe il jette un regard équitable sur les talens qui sont au-dessous de lui; car il est trop élevé au-dessus d'eux tous pour ne les pas juger tous avec impartialité. Ses bienfaits préviennent à chaque instant ses serviteurs de toutes les classes, et particulièrement ses fidèles compagnons d'armes. Le pinceau des grands artistes est chargé de reproduire les grandes actions; les places publiques portent les noms des guerriers morts sur le champ de bataille, et se décorent-de leurs images; des arcs de triomphe s'élèvent à la gloire des armées françaises, et un temple voisin conservera sur des

tables d'or la mémoire des braves. C'est là qu'un héros veut donner à ses soldats une part de son immortalité : il embellit leur vie par la fortune et les titres dus à leur courage; il fait plus, il honore leur mort, et sa royale amitié ne néglige pas

même le marbre de leurs tombeaux.

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Quels dévouemens extraordinaires ne doit pas attendre un souverain si magnanime! Aussi que de grandes choses il a fait exécuter dans un règne si court et si rempli !

» Périsse à jamais le langage de l'adulation et de la flatterie ! Je ne commencerai point à m'en servir dans les dernières paroles que je prononce à cette tribune, d'où je vais descendre pour toujours (1). Je n'ai point oublié les devoirs imposés à ce Corps respectable et cher dont j'ai l'honneur encore une fois d'être l'organe et l'interprète. Le Corps législatif ne doit porter au pied du trône que la voix de l'opinion publique : c'est avec elle seule que je louerai le prince; j'exprimerai franchement l'admiration qu'il m'inspire. J'en trouve l'occasion naturelle dans cette fête guerrière où brille toute sa gloire : l'élite de la France et de l'Europe est ici rassemblée; j'en appelle à leur témoignage; tout ce que je vais dire de lui sera merveilleux et véritable.

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Transportons-nous par la pensée dans l'avenir; voyons ce héros comme la postérité doit le voir un jour à travers les nuages du temps. C'est alors que sa grandeur paraîtra pour ainsi dire fabuleuse; mais trop de monumens attesteront les merveilles de sa vie pour que le doute soit permis. Si nos derniers descendans veulent savoir quel est celui qui, seul, depuis l'empire romain, réunit l'Italie dans un seul corps, l'histoire leur dira : C'est Napoléon! S'ils demandent quel est celui qui, vers la même époque, dissipa les hordes arabes et musulmanes au pied des pyramides et sur les bords du Jourdain, l'histoire leur dira: C'est Napoléon! Mais d'autres surprises les attendent; ils apprendront qu'un homme, en quelque sorte désigné d'en haut, partit du fond de l'Egypte au moment où toutes les voix de la France l'appelaient à leur secours, et qu'il

(1) M. de Fontanes, nommé six fois candidat à la présidence par le Corps législatif, et six fois choisi par Napoléon, avait enfin prié ses collègues de ne plus lui donner leurs voix. « Il ne manque plus rien à ma gloire, avait-il dit; j'en puis être fier, puisqu'elle me vient de si haut, et que je la dois premièrement à votre bienveillance... Je dois me renfermer tout entier dans les devoirs que m'impose l'Université impériale : : en surveillant l'instruction publique je tâcherai de payer à vos enfans la reconnaissance que je dois à leurs pères. » ( Séance du 16 janvier 1810.)

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