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ministère de jeunes orphelins ou enfans-trouvés, qui, vêtus de foutanes violettes, & chargés » chacun d'une boete dont l'intérieur eft partagé en deux cafes, promènent ces boetes de banc s en banc, en criant de toute leur force le nom de celui qu'on va ballotter.

» Toutes ces boëtes font enfuite reportées d'eftrade du trône où l'on compte féparément les boules de la cafe verte pour l'exclufion, & > celles de la cafe blanche pour l'admiffion. Tant » que dure cette énumération, les nobles quit

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tent leurs places, courent, s'appellent, s'en» tretiennent. On entend enfuite un coup de ba» guette; on appelle un nouveau nom, & les » ballottini repartent en foule du trône, en criant » ce nouveau nom; alors, chacun ayant repris fa 5 place, caufe avec fon voifin, badine avec le »ballottino qui lui préfente à fon tour la boëte » & la ballotte, & en caufant, badinant, fans paroître occupé de l'objet du fcrutin, il intro» 'duit la main dans la boëte par l'orifice honrizon»tal qu'elle préfente, & qui communiqué aux » deux cafes, dans l'une defquelles il laiffe tom"ber fa boule fans qu'il foit poffible à l'œil le plus fubtile de démêler ce qui fe paffe entre les

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>> cafes & la main ».

On peut, d'après ce récit naïf, fe former une idée jufte de la manière dont fe font à Venife toutes les élections.

La dignité la plus recherchée, après celle de doge, eft celle des procurateurs ; ils ont inspection fur l'églife de S. Marc, fur les archives de la république, fur les fondations faites en faveur des pauvres, fur les testamens, fur les tutelles; ils peuvent réprimer les créanciers trop durs; ils font au nombre de neuf : leurs charges font à vie, & c'est ordinairement parmi eux qu'on choifit le doge.

Le confeil véritablement redoutable, eft celui qu'on appelle le Confeil des dix, & que l'on devroit nommer le Confeil des dix - fept, puifqu'il eft compofé de dix nobles, du doge, & de fes fix conseillers; tous les trois mois, fes trois chefs, qu'on nomme inquifiteurs d'état, son renouvelés la voie de l'élection; on ne peut appeler de ce confeil à aucun autre tribunal; il est fpécialement chargé de maintenir le gouvernement, d'avoir infpection fur la nobleffe, de fervir de rempart aux citoyens contre les nobles.

par

On a, depuis 1762, limité leur pouvoir, ils ne peuvent plus prendre connoiffance des matières civiles ou fifcales, ni empêcher les avogadors

d'exercer leurs fonctions.

Malgré cette limitation, ils ont encore le droit, lorfqu'ils font d'accord, de punir même de la mort qui bon leur femble, pourvu que l'accufé ne de l'ordre des nobles; mais ils peuvent

foit pas

infliger à ceux-ci toute autre peine moins grave. Pour condamner un noble à mort, il faut rap porter l'affaire devant le confeil des dix, qui n'eft cenfé complet que lorfqu'il eft compofé de quatorze membres. L'autorité des inquifiteurs eft d'autant plus redoutable, que les exécutions qui fe font en vertu de leurs jugemens, ont toujours lieu dans la prifon même; quelquefois on enterre le coupable, d'autres fois, on l'expofe entre les colonnes de S. Marc, avec des écriteaux qui ne préfentent que des mots fort vagues, tels que ceux-ci, pour un crime grave contre l'état.

Les inquifiteurs ont la clef de ces troncs qui font dans le palais du doge, & dans lesquels on peut jeter, par les gueules de lions qui leur fervent d'ouverture, des billets où l'on revèle les fecrets qui intéreffent la république.

Qui peut entendre fans frémir le récit de ces vengeances fecrètes, de ces actes mystérieux de cruautés! pourquoi exiftent-ils à Venife? pourquoi forment-ils la base du gouvernement? C'est parce que ce gouvernement eft lui-même fondé fur l'injuftice. Il a été établi, ainsi que nous l'avons vu, fans le confentement du peuple; l'autorité dont jouiffent aujourd'hui les nobles, exclufivement, eft une ufurpation faite fur la multitude & fur le chef de la république.

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Les citoyens dépouillés de leurs légitmes pri

viléges, ont fait d'inutiles efforts pour les recou→ vrer; malheureusement il entroit toujours dans leurs projets d'exterminer les ufurpateurs; ceux-ci fentant qu'il falloit ou conferver la fouveraineté, ou perdre la vie, ont mis tout en ufage pour écarter un auffi grand danger; airifi, tout homme qui a ofé concevoir le deffein de changer le gouvernement de Venise, leur a paru un ennemi public qui confpiroit contre leurs jours, & qu'il falloit étouffer à l'inftant.

Voilà comme une première injuftice conduit à la cruauté : l'iniquité des loix est la fuite de l'iniquité de la puissance.

Tant que l'aristocratie fubfiftera à Venife, lę confeil des dix & les inquifiteurs d'état doivent exister, parce que l'ufurpation a befoin, pour se maintenir, de tous les moyens qui peuvent découvrir & comprimer les regrets de la liberté asfervie.

Combien donc nous devons-nous applaudir d'exifter fous une autorité auffi pure dans fes principes, que franche dans fes procédés; qui n'a befoin, pour fe foutenir, ni de ces actes ténébreux, ni de ces prisons mystérieuses, ni de ces délations fecrètes qui expofent, à chaque inftant, l'honneur & la vie des citoyens; fous l'empire de laquelle l'accufé, s'il eft innocent, eft plus puiffant que fon accufateur; où le riche n'a

fur le pauvre d'autre afcendant, d'autres priviléges que ceux d'animer l'industrie & d'exercer plus fouvent la bienfaifance; où la propriété peut fe développer dans toute fon étendue, fans avoir à craindre ni vexation, ni impôts arbitraires; où la vertu ne peut jamais être fans récompense, parce que l'eftime de fes concitoyens fera la première de toutes; où les places éminentes n'exciteront plus l'envie que de ceux qui n'ont d'autre objet que de se dévouer au bien public!

Sous une femblable conftitution, il n'y aura point, comme à Venise, de conjurations à redouter, parce qu'elle fera le bien & la sûreté de [ous; foutenue, chérie de tous les François, elle trouvera autant d'orateurs pour la louer, que de foldats pour la défendre.

XIX DISCOURS,

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