Page images
PDF
EPUB

titution qui femble fi favorable à la multitude, & préferer l'autorité d'un chef électif, s'en détacher enfuite pour la convertir en la puissance d'un commandant annuel, revenir à la domination d'un chef perpétuel, effayer de tempérer la puiffance de, ce chef par la jonction de deux tribuns, & presque toujours trompée dans fes espérances.

Nous fommes arrivés au dixième doge, le troisième a été affaffiné dans fa maison, le quatrième, le cinquième & le fixième ont effuyé ce fupplice affreux qui femble féparer l'homme de la nature; le huitième a été forcé de fe bannir avec fon fils, le neuvième a été dépofé & conduit à Conftantinople; ainfi, fur neuf chefs, choifis par le peuple, pour le gouverner, en voilà fept qui périffent ou finiffent miférablement; fur cinq commandans annuels, un ne put voir le jour qui devoit mettre fin à fon autorité fi limitée, & fut privé de la lumière par fes concitoyens.

Quelle fource de réfléxions! Si les hommes favoient profiter des leçons du tems & de celles de l'hiftoire, combien ils feroient peu jaloux d'être portés par le peuple aux dignités, aux places suprêmes! combien ils préféreroient l'obscurité à l'éclat du pouvoir qui bleffe les yeux de l'envie, excite tant de murmures & de haines ! Mais ce ne font pas les feules idées qui naif

!

fent de ce que nous venons d'observer. C'est donc une chose bien difficile, pour un peuple, qu'une conftitution qui lui plaife! Les Venettes n'étoient point des barbares, c'étoient des hommes éclairés qui fortoient du fein des arts & des fciences, & dans près de quatre fiècles ils ne purent rencontrer une forme de gouvernement qui affurât d'une manière ftable leurs droits, leurs priviléges & leur bonheur.

*

Un fait fur lequel je n'ai point infisté, c'est leur fidélité à l'empire d'Orient, dont ils ne recevoient aucun fecours. Juftinien veut faire paffer des troupes en Occident, pour chaffer de l'Italie les Oftrogots; les Vénitiens favorifent le transport de l'armée de Narsès, & ce général leur doit fon entrée en Italie & fes fuccès.

Les Lombards font le fiége de Ravenne, s'en emparent; l'Exarque Paul fe réfugie dans l'état de Venife, implore fes fecours, pour reprendre Ra venne; les Vénitiens arment fur le champ, mettent des vaiffeaux en mer, & rendent à l'empire cette ville importante.

[ocr errors]

Après l'expulfion des Lombards, Pépin projette la conquête de la d'Almatie, il s'eft rendu formidable aux infulaires, il les fait folliciter pour l'aider dans fes vues de conquêtes; les Vénitiens réfiftent à fes demandes, aux infinuations de leur

doge, & préferent de s'expofer à toute la vengeance de Pépin, plutôt que d'entrer dans une expédition contraire aux intérêts de Nicephore, qu'ils regardent toujours comme le légitime chef de l'empire.

Voilà de ces traits qui caractèrifent une nation & que les hiftoriens ne font pas affez remarquer.

J'ai mis en oppofition du tableau d'une république naissante, l'image terrible & effrayante de la deftruction de l'empire romain; on a vu dans ce difcours l'ancienne fouveraine du monde affaillie & fubjuguée fucceffivement par cinq peuples barbares, qui y ont porté le fer & la flamme, & l'Italie n'en eft pas moins encore le plus beau pays de l'univers, tant il eft vrai que la nature triomphe de tous fes ennemis: Rome enfevelie fous les cendres, en eft fortie plus belle, plus ornée que jamais, comme cet oifeau de la fable, qui offre de plus raviffantes couleurs en renaiffant, à mesure qu'il s'élève au-dessus du bûcher qui l'avoit confumé.

Qu'est-ce qui a imprimé l'immortalité à cet empire? C'est l'idée de fa grandeur paffée, c'est la pureté du goût qui a faccédé à l'afcendant de fa force, c'est l'énorme affemblage de ses richesses qui a excité l'admiration des étrangers, c'est le

refpect attaché à la demeure des hommes vertueux, éclairés, qui en ont fait la gloire; fi Rome n'avoit eu que des généraux, fon nom fe feroit effacé avec fes triomphes; fi elle n'avoit eu que des légiflateurs, la république qui a donné dés loix à l'europe n'auroit pas furvécu à une légissation plus parfaite; mais elle a eu des orateurs, des poëtes, des hiftoriens, des artistes qui n'ont point encore été furpaffés, elle exifte par eux dans la fplendeur du génie.

[ocr errors]

La France a de commun avec elle une grande partie de ces ornemens indeftructibles; ne foyons pas à notre égard plus barbares que ne l'ont été envers Rome, les barbares eux-mêmes; que des idées de haine, de vengeance, de rivalité ne nous faffent pas perdre de vue la culture des beaux arts, n'immolons pas à des principes trop austères ce qui conftitue la gloire d'une monarchie éclai rée; en difputant à toutes les républiques 'du monde l'honneur d'établir la plus fage, la plus immuable des conftitutions; difputons-leur auffi l'avantage d'offrir aux talens & aux fciences l'afyle le plus attrayant.

Que l'étranger, après avoir parcouru Rome Naples & Venife, foit frappé d'une nouvelle admiration, en voyant tous nos établiffemens publics; que nos hôpitaux lui donnent l'idée da

plus grand refpect & des foins les plus attentifs pour l'honnête indigence.

Que nos prifons même paroiffent moins iet séjour du crime que la retraite de l'innocence soupçonnée.

Que l'étranger émerveillé de la beauté de l'édifice destiné à la perfection d'un art fi utile à l'humanité fouffrante, fe plaife encore davantage à y entendre le savoir discourir, & y démontrer les fecrets de la nature.

Qu'il éprouve plus de respect à la vue de nos magistrats dispensans la justice, qu'en obfervant les déhors & la diftribution de fon temple.

Qu'il oublie le mufaum & la bibliothèque du vatican, en parcourant un jour cette immenfe galerie qui fera éclairée par le ciel, tapiffée de cette riche collection de tableaux, trop longtems enfevelis dans l'obfcurité, ou expofés aux ravages du tems.

Qu'il rende hommage à la fcène françoife, & reconnoiffe fa fupériorité fur toutes celles de l'Europe, en afsistant à la représentation de nos chef-d'œuvres dramatiques.

Qu'il fe profterne devant l'image de nos grands écrivains, dont le génie hardi a amené une révolution dans nos pensées qui changera un jour la deftinée de tous les peuples opprimés. Ne négligeons

« PreviousContinue »