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rité: il affecta le plus grand dédain pour les deux confeillers qu'on lui avoit donnés, il fe conduifit avec tant de hauteur & d'imprudence, qu'il fut encore une des victimes du reffentiment populaire, & éprouva la douloureuse privation qui avoit plongé dans les ténèbres les deux prédéceffeurs.

N'étoit-ce donc pas affez que de faire defcendre de la fouveraineté dans l'abaissement le chef que l'on vouloit dépofer? falloit-il encore le plonger dans une nuit éternelle? Les hommes étoient alors fi barbares, fi aveuglés au moral, qu'ils croyoient ne faire qu'un acte de prudence, & n'en pas commettre un de cruauté, en raviffant à un prince, à un général, la feule confolation qui reste au malheureux, le doux plaifir de contempler la nature, de jouir de fes merveilles. Ce fut par une fuite de cette ftupide cruauté, que Louis-le-Débonnaire fouilla fa vie par un trait femblable de barbarie envers Bernard, son oncle.

Jufqu'au feptième doge, cette dignité n'avoit été ni héréditaire ni partagée. Le doge Maurice, après avoir gouverné fagement la république pendant plus de vingt ans, & s'être concilié l'affection du peuple, demanda, pour prix de fes fervices, la faculté de s'affocier fon fils: les Vénitiens ne prévoyant pas les conféquences d'une pareille faveur qui pouvoit changer la dignité élective en dignité héréditaire, y confentirent.

Ce fut pendant le cours de la domination de ces deux chefs, que Charlemagne, vainqueur des Aquitains & des Saxons, s'étant avancé dans l'Italie, marcha contre les Lombards, les défit, s'empara de Didier, leur roi; &, après l'avoir envoyé prifonnier en France, alla à Rome s'y faire proclamer empereur, & recevoir la couronne.

Le doge Jean, fils de Maurice, rendit hommage au nouvel empereur, & traita avec lui des limites de l'état de Venife & de ceux de Lombardie; il réfulta de ce traité, que l'état de Venise ne faifoit pas partie de l'empire d'Occident, & n'étoit par conféquent pas fous la domination de Charlemagne.

Après la mort de Maurice, Jean prétendit à la même faveur qu'avoit obtenu fon père, & s'affocia fon fils; mais ces deux chefs n'étant plus contenus par les confeils & les exemples de Maurice, s'abandonnèrent à tant de crimes, à tant d'injuftices, qu'ils alloient les expier par une fin tragique, lorfque, fe fentant hors d'état de lutter contre l'indignation publique, ils s'échappèrent, & allèrent fe réfugier à Mantoue. Obelerio qui avoit paffé quelques années à la cour de France, pour fe fouftraire à la vengeance du doge Jean & de fon fils, fut élu à leur place; malheureusement pour La patrie, il avoit indifpofé Charlemagne contre

les deux chefs qu'il haïffoit, & lui avoit fait craindre des intelligences avec l'empereur d'Orient: ce qui avoit déterminé Charlemagne à recommander à Pépin, fon fils, qu'il avoit associé à l'empire d'Italie, d'obferver de très-près les démarches des Vénitiens.

Pepin qui projetoit de s'emparer de la Dalma. tie, faifit cette occasion pour s'affurer de leurs difpositions; il leur fit proposer de se détacher du parti des Grecs, & de favorifer fon expédition.

Les Vénitiens, malgré les instances d'Obelerio, refusèrent d'entrer dans les deffeins de Pépin; peut-être envisageoient-ils les nouveaux maîtres de l'Italie fous le même point de vue que les Barbares, qui s'étoient rendu les maîtres de l'Empire. Quoi qu'il en foit, ils payèrent cher leur refus; Pépin donna ordre aux troupes qu'il avoit dans l'Ifirie & dans le Friðul, de faire tous leurs efforts pour pénétrer fur les terres de ces infulaires.

Ses ordres ne furent que trop bien exécutés; les François s'avancèrent jufques devant les villes d'Héraclée & d'Equilo, les affiégèrent, les empor tèrent d'affaut, y mirent le feu & les réduifirent en cendres. Les habitans qui échappèrent au car nage furent difperfés fur les territoires de Malamoque & de Rialte, & dans des îles où on leur procura des établiffemens.

Pépin paroiffoit fatisfait de cette vengeance; mais après avoir forcé Nicétas, général de Nicéphore, empereur d'Orient, de rembarquer fes troupes, dont une partie avoit été taillée en pièces devant Commacchio, il apprit que les Vénitiens avoient bien reçu cette armée défaite, qui étoit venue fe réparer chez eux; la vengeance rentra dans fon cœur & il réfolut d'achever leur deftruction. Il éprouva, dans cette tentative, tout l'avantage que donnoit aux habitans de Rialte leur pofition; ses vaisseaux s'étant imprudemment avancés ne purent manœuvrer dans des endroits où la mer n'avoit point de fond, tandis que des navires lègers voltigeoient autour d'eux, & accabloient de traits les foldats qui fe voyoient renfermés dans des prisons immobiles. Il fallut fouffrit toute la fureur des Vénitiens, jufqu'à ce que le retour de la marée remît les vailleaux à flots, & leur permît de revenir à demi-brûlés à Malamoque, où Pépin, qui attendoit le fuccès de l'expédition, voyant fon espoir trompé, entra dans une fureur qui le porta à des actes de cruauté contre les habitans des îles où il lui fut poffible d'aborder.

Un traité fait peu de tems après entre Char lemagne & Nicéphore, par lequel le conquérant de l'Italie reconnut que les Vénitiens appartenoient à l'empire d'Orient, mit fin à la pre

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mière. guerre de ces infulaires avec les François.

Cependant les Vénitiens qui avoient soupçonné Obelerio d'être plus attaché aux intérêts de Pépin qu'à ceux de fa patrie, l'avoient dépofé & envoyé à Conftantinople.

On élut à fa place le général qui avoit confeillé aux habitans de Rialte une vigoureufe défenfe, & avoit commandé la flotte victorieuse de celle de Pépin; ce nouveau doge, célèbre dans les annales de la république de Venife, fous le nom du doge Participatio, ne pouvant réfider à Héraclée, qui étoit réduite en cendres; ni à Malamoque, prefqu'entièrement ruinée par les François, fixa fa réfidence à Rialte, qui depuis toujours été le féjour des doges, & a porté le nom de Venife, comme capitale de l'état Vé

nitien.

Réfumons maintenant les faits que je viens 'd'expofer.

Nous avons parcouru un efpace d'environ quatre fiècles, nous avons vu une république devenue un des principaux états de l'europe, prendre naiffance fur des lagunes, croître fur de petites îles défertes, s'étendre, fe fortifier par la terreurs adopter d'abord, pour forme de gouvernement, la puiffance tribunitiene, qui confervoit à tous. les citoyens la fouveraineté, changer cette conf

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