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» étoit une fource de divifion, que les tribuns, » au lieu de veiller au falut de la république, » avoient déchiré fon fein par leurs rivalités, & » l'avoient exposée à être la proie de fes bar» bares agreffeurs; qu'on les auroit facilement repouffés fi l'on eût envoyé contr'eux des vaif»feaux l'on devoit toujours tenir prêts pour que garder les côtes »

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Il expofa l'avantage qui réfulteroit, pour tous les citoyens, d'avoir un chef qui feroit le centre de l'autorité publique, & qui fe dévoueroit fans trouble & fans contradiction à l'intérêt de la patrie. « Vous avez, leur dit-il, dans cette affem» blée grand nombre de fujets capables de remplir

les vues que je propose, hâtez-vous donc d'en » choisir un qui prenne feul en main les rênes » du gouvernement, ne lui donnez point le nom » de roi, donnez-lui le fimple titre de duc, plus » convenable à un homme que vous voulez bien

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prendre pour chef, sans l'avoir pour maître; qu'il ait le pouvoir d'assembler la nation quand il en fera befoin; qu'il nomme les tribuns qui, » sous fon autorité, doivent administrer la justice » dans les îles; que fon tribunal foit le tribunal fuprême auquel on appellera en dernier reffort,

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» choififfez un homme affez généreux pour mettre » toujours les intérêts de la patrie au-dessus des

* Tome II.

B

» fiens, affez impartial pour donner à tous les

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citoyens les mêmes foins, affez maître de fes » affections pour n'avoir égard, ni à la parenté, » ni à l'amitié, quand il s'agira du bien public; » voilà le feul moyen de rétablir cet état & d'en prévenir la décadence ».

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Ce difcours fut univerfellement applaudi, & fit une telle impreffion, qu'on procéda tout de fuite à l'élection d'un chef. Les fuffrages se réunirent en faveur de Paul-Luc Anafefte, citoyen d'Héraclée, univerfellement eftimé par fa fageffe & fa probité: ce fut le premier duc de Venife, titre qui, par corruption, s'eft changé en celui de doge.

Ainfi finit la forme du gouvernement tribunitien qui duroit depuis plus de deux cents ans. Le gouvernement ducal, tel qu'il fut d'abord institué, se rapprochoit beaucoup du gouvernement mónarchique; les premiers doges difpofoient de toutes les charges, ordonnoient de tout, fans prendre d'autres avis que celui des confeillers qu'ils fe choififfoient eux-mêmes, traitoient feuls de la paix & de la guerre.

« Il fallut, dit l'abbé Laugier, tout l'excès da » mal caufé par une démocratie confufe, pour pro» duire une révolution fi furprenante parmi des. républicains ennemis outrés de tout ce qui avoit

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» l'air de la fervitude».

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Par une fatalité fingulière, fi le peuple ne fait pas fe tenir dans les bornes d'une liberté éclairée, les hommes qu'on investit du pouvoir fouverain, ne favent prefque jamais fe renfermer dans les limites d'une autorité raifonnable. De fon côté, le peuple libre tend à la licence, de l'autre, le chef tend au defpotifine, d'où il résulte que le gouvernement qui contiendroit tout à la fois' le peuple dans l'obéissance, le chef dans l'exécution de la loi, & qui feroit de cette loi le centre du bonheur commun & de la sûreté réciproque, pourroit paffer pour un chef-d'œuvre de la création humaine.

Nous ferons bientôt à même de juger fi les Vénitiens ont atteint ce but fi important.

Le premier doge justifia, par fa prudence & fa fermeté, le choix qu'on avoit fait de lui pour ra» mener l'ordre & la paix dans la république. Ayant fixé fon féjour à Héraclée, cette ville devint la capitale de l'état que nous appelons Vénitien, quoiqu'il n'eût point encore ce nom.

Les Infulaires qui n'étoient plus des républicains depuis que leur chef avoit la fouveraineté ; eurent à s'applaudir d'avoir changé de gouvernement pendant les règnes de leur premier doge & de fon fucceffeur. Sous Urfe, troisième doge, ils fe couvrirent de gloire par la prife de Rayene 2

qu'ils enlevèrent aux Lombards, & qu'ils rendirent à l'exarque qui gouvernoit en Italie, au nom de l'empire. Enflé de fes fuccès, ce troisième doge rendit fa domination si odieuse, qu'il rappela dans les Vénitiens le fentiment de la liberté; ils affaillirent le tyran dans fon palais, & se vengérent, par fa mort, de l'abus qu'il avoit fait de fon pouvoir.

A cette époque, le gouvernement de Venife fubit une révolution momentanée; la conduite du dernier doge fit oublier celle des deux précédens; on convint, après bien des débats, de fubftituer au chef permanent de la république, un magiftrat annuel, que l'on ne nommeroit ni tribun ni doge, pour ne pas rappeler des noms devenus odieux, mais maître de la milice. Cinq magiftrats gouvernèrent fucceffivement l'état fous ce titre. Jean Fabriciatio, le dernier maître de la milice, ayant excité de vifs mécontentemens, le peuple d'Héraclée fe porta envers lui à une action atroce: il le priva de la lumière.

Le trouble qui régnoit à Héraclée, détermina la république à convoquer une affemblée d'états, & de la tenir à Malamoque. Les Vénitiens dégoûtés de la magiftrature annuelle, revinrent au fyftême d'un chef perpétuel, & élurent Théodat, fils du doge qu'ils avoient mis à mort. Ce quatrième

doge ne manifesta son ressentiment de la fin tragique de fon père, qu'en renonçant au séjour d'Héraclée, & en fixant fa réfidence à Malamoque, qui devint, par cette raison, la feconde capitale de

l'état.

Ce quatrième doge éprouva le danger attaché à l'élévation, fous un peuple turbulent, & facile à fe laiffer tromper. Un factieux nommé Galla, perfuada au peuple que l'intention de Théodat, en faifant conftruire un fort à l'embouchure d'un des fleuves qui venoit fe jeter près de l'île de Brondelo, étoit de fe frayer une route à l'autorité abfolue; il fut tellement s'emparer de l'efprit du peuple par-tout si crédule, si aisé à séduire, qu'il se forma un parti affez puiffant pour être en état d'aller attaquer Théodat, pour se faire élire à sa place, après lui avoir crevé les yeux. Un crime auffi horrible ne demeura pas impuni; un an après, le barbare effuya le même fupplice, fut dépofé, &

condamné à l'exil.

Les Vénitiens étoient, à chaque élection, dans l'inquiétude de voir leur chef ufurper une trop grande autorité; ils affocièrent à Monégario, fixième doge, deux tribuns, en lui impofant l'obligation de ne rien entreprendre, fans les avoir confultés. Ce chef, fier, & d'un caractère ardent, ne put supporter le frein qu'on mettoit à fon auto

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