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Vénitiens la même fuzeraineté qu'avoient eu leurs prédéceffeurs fur les Venettes, ont confondu tous les principes qui forment la bafe du droit public.

Les Vénitiens ne dûrent rien à l'empire d'occident, du moment où cet empire, loin de les protéger, ne put même fe défendre contre les Barbares, & réduifit, par fon impuiffance, fes vaffaux à la dure néceffité de s'expatrier & d'aller chercher une nouvelle habitation au milieu de la mer.

Un peuple ne relève d'un autre peuple qu'autant que celui-ci le maintient dans fa poffeffion, qu'il le protège de fes armes & l'aide à repouffer fes ennemis. Tels font les liens de la puiffance féodale; où il n'y a plus de protection, il n'y a plus ni fuzeraineté, ni vaffalité; c'est par une conféquence de ces principes, que le fyftême féodal devoit être détruit en France, du moment où le feigneur n'avoit plus de fortereffe, ne levoit plus de foldats à fes frais, & ne marchoit plus qu'à la folde du Roi & de la nation.

La nouvelle république de Venife ne recevoit ni fecours ni appui des légitimes empereurs d'otient & d'occident; ce n'étoit pas à eux qu'elle devoit le féjour qu'elle s'étoit créé, ainfi, fous aucun rapport, elle ne relevoit plus d'eux; mais elle, au contraire, pouvoit leur être d'un grand fecours, pour les aider à transporter leurs troupes

d'Aquilée à Ravenne, c'est ce qu'elle fit lorsque Justinien envoya Narsès avec une armée confidérable en Italie, à la place de Bélifaire; ce nouveau général, plus heureux que fon prédéceffeur, eut la gloire de réunir l'Italie à l'empire dont elle avoit été démembrée depuis plus de foixante ans. Tottila périt dans une bataille que lui livra Narsès; Teias, que les Oftrogots nommèrent pour leur chef, eut le même fort, & fes troupes fubirent la loi du vainqueur.

Souvent des évènemens qui paroiffent peu dignes d'attention dans leur principe, ont la plus grande influence fur l'avenir. Si les Venettes ne se fuffent pas refugiés dans les îles; fi le dénuement abfolu de toutes les chofes que produit le continent ne les eût pas réduits à la nécessité de vivre de leurs falines, & de tirer leur confommation de leur commerce d'échange, ils n'auroient pas eu de vaiffeaux à offrir à l'armée de Juftinien. Tottila qui avoit eu la prudence de s'emparer de tous les paffages qui conduifent d'Aquilée à Ravenne, par terre, auroit arrêté Narsès dans sa route, & peut-être l'Italie fût-elle toujours restée fous la domination des Oftrogots.

Un nouvel évènement fervit à l'agrandiffement des Vénitiens, & accrut la population de ces inTulaires. Juftinien venoit de terminer fon règne ; grace à Narsès, il avoir vu réunir sous sa puissance

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les deux empires, que la foibleffe de fes prédé ceffeurs n'avoit pas fu conferver; l'impératrice Sophie & fon fils Juftin, auroient dû combler de faveurs un général qui avoit rendu de fi grands fervices à l'empire, il en éprouva au contraire l'ingratitude la plus révoltante. Des courtifans, jaloux de fon mérite & de fa gloire, parvinrent à le faire foupçonner de vouloir régner en Italie; l'impératrice auffi altière que crédule, exigea de fon fils qu'il rappelât Narsès; elle aigrit la douleur que devoit reffentir ce général, d'une injustice auffi inattendue, en l'aggravant par l'outrage le plus piquant; elle écrivit elle-même à Narsès, «qu'il

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pouvoit revenir à Conftantinople, & que pour qu'il n'y manquât pas d'occupation, on lui » donneroit le foin de diftribuer le fil aux femmes » du palais, ce qui convenoit mieux à un eunuque

» que de commander des armées & de gouverner

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En fe rappelant un pareil trait d'ingratitude, qui ofera fe plaindre des injuftices que fe

mettent les Rois!

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Narsès, ontré de colère, fe vengea cruellement fur l'empire, de l'affront qu'il recevoit; il appela en Italie Alboin, roi des Lombards, qui s'étoit fixé fur les bords du Danube; il l'invita à venir prendre poffeffion du plus beau pays de l'univers, en lui promettant fes lumières & fon appui; il

ficencia enfuite fes meilleures troupes, en laiffa une fi foible partie à son fucceffeur, qu'il fut hors d'état de réfifter à cette nation belliqueuse, la cinquième qui vint affliger l'Italie: à fon approche ses habitans furent faifis de térreur; le patriarche d'Aquilée fe hâta de prendre la fuite, emportant avec lui tous les trésors de fa cathédrale, & vint établir fon fiége à Grado, qui prit dès-lors le nom de nouvelle Aquilée ; la ville de Padoue ayant été prife & pillée par les Lombards, tout ce qui put fe fauver d'habitans vint fe réfugier dans l'île de Rialte. Les habitans d'Odezzo traités auffi inhumainement que ceux de Padoue, fe jetèrent dans les îles de Jézulo, plus voisines de leur continent, & y bâtirent enfuite la ville d'Héraclée.

Ce fut à cette époque que le territoire de Rialte ne pouvant plus fuffire à tous ces nouveaux fugitifs, les habitans l'agrandirent en y joignant toutes les îles qui fembloient flotter autour d'elle, & conftruifirent fur des pilotis les bâtimens qui lui donnèrent cette forme merveilleuse qu'elle a confervée jufqu'à présent.

A mesure qu'un peuple s'étend en puiffance & croît en population, fon gouvernement fe complique & devient orageux, à moins qu'il n'ait reçu, dans fon principe, une forme si pure que toutes les parties qui s'y aggrègent ne foient

affujetties à un mouvement régulier, dont elles ne puiffent troubler l'ordonnance.

La puiffance tribunitienne avoit fuffi à régir tous ces infulaires, tant qu'ils furent en petit nombre; mais ces étrangers qui furvinrent en foule y apportèrent leurs paffions, leurs defirs de dominer. L'accord qui régnoit entr'eux fut rompu; chaque tribun voulant gouverner défpotiquement dans fon île, tâchoit de prolonger fon autorité & indifpofoit fes jufticiables contre ceux de l'île voifine; il n'y avoit plus d'affemblées générales, plus de centre de pouvoir.

Les pirates Esclavons profitèrent de ces divifions pour inquiéter le commerce de leurs rivaux; en détruifant leur marine, partiellement, ils auroient fini par les réduire à l'état de détreffe le plus déplorable. L'excès du danger les éclaira, il fut convenu de convoquer une affemblée générale qui fe réuniroit à Heraclée, que chaque île y enverroit des députés, pour adopter une nouvelle forme de gouvernement.

Dans cette affemblée, la plus nombreufe & la plus folemnelle qu'il y eût encore eu depuis l'établissement de la république, le patriarche de Grado, qui étoit doué d'une éloquence d'autant plus impofante, qu'elle étoit foutenue d'une grande réputation de mœurs, fit fentir à tous ceux qui l'écoutoient, » que la pluralité des chefs

» étoit

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