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les deux mois. Pendant cette courte régence ils font entretenus dans le palais aux dépens de l'état. Le fénat ou grand-confeil fe renouvelle tous les deux ans.

L'autorité du gonfalonier se réduit à faire les propofitions au fénat; il a le titre de prince de la république, & jouit, pendant fon règne éphémère, des honneurs d'un fouverain.

L'état a le titre de féréniffime république de Lucques; fes armes font deux bandes entre lesquelles eft écrit, en caractère d'or, Libertas.

La justice est adminiftrée par cinq auditeurs; dont l'un eft appelé podeftat, & décide les caufes criminelles; mais fes jugemens doivent être confirmés par le fénat.

Cette république renferme une ville & centcinquante villages; on fait monter sa population à cent-cinquante mille hommes dont vingt mille font, dit-on, en état de porter les armes.

Sa force militaire effective n'eft pas imposante; elle eft compofée de cinq cents hommes de troupes réglées, & d'environ foixante-dix fuiffes qui fervent de gardes au gonfalonier, & aux neuf anziani. Nous avons peine à croire que les revenus de cette république puiffent monter à quatre cent mille écus, fi, comme on le prétend, chaque fujet ne paye que cinq livres par tête pour toute

impofition; parce que fur les cent cinquante mille fujets il y a au moins vingt mille enfans, vieillards ou infirmes qui ne payent pas cette taxe.

Depuis deux fiècles cette petite république fe maintient dans fon indépendance, & femble offrir une leçon de fageffe aux plus grands empires; elle eft fituée de manière à ne pouvoir s'étendre, & c'eft un bonheur de plus pour elle : les propriétés y font fi fubdivifées, qu'on y connoît à peine l'inégalité des fortunes. Un des plus grands fléaux pour cette république, feroit l'établiffement d'un de nos opulens: propriétaires, qui voulant y avoir un parc pour fa promenade, une grande étendue de terrein pour fa chaffe, de nombreux ferviteurs pour fon luxe, acheteroit plufieurs de ces propriétés pour les incorporer dans fes domaines. Ces petits cultivateurs, fi heureux de leur médiocrité, deviendroient bientôt de pauvres journaliers expofés à la dureté d'un riche, à l'infolence des valets, & dont les enfans mendieroient le pain qu'ils ne demandent qu'à la terre, qu'à cette mère généreufe dont le fein ne fe tarit que pour les ingrats qui la délaiffent.

Continuons nos obfervations, & voyons fi nous ne trouverions pas l'apparence d'une démocratie dans un état plus petit encore que la république de Lucques. Rouffeau, dans fon contrat social,

parle de celle de S. Marin; mais il n'en a, pour ainsi dire, prononcé que le nom.

La république de S. Marin existe depuis environ treize fiècles; elle a pour fondateur un hermite, auquel une dame, appelée Félicité, céda le terrein fur lequel étoit fitué la montagne où le folitaire fixoit fa réfidence. Plufieurs perfonnes vinrent s'établir fur le domaine de l'hermite, & lui donnèrent fon nom; elles fe gouvernèrent d'abord, d'après ces loix écrites par la nature dans le cœur de tous les hommes: & formèrent une petite république qui, en 1100, acheta le château de Pennarofta, & foixante & dix ans après, celui de Cafolo.

Le gouvernement de cette république réside dans un confeil de quarante perfonnes; la moitié de ces places eft occupée par des familles nobles, l'autre par des familles bourgeoifes. Ce ne feroit pas encore-là ce qui conftitueroit une véritable démocratie, ce feroit tout au plus une aristocratie mixte: mais voici ce qui la claffe dans les gouvernemens démocratiques. Toutes les fois qu'il s'agit d'affaires importantes, on affemble ce qu'on appelle l'arengo, où grand-confeil; & il est compofé d'un individu pris dans chaque famille fans diftinction, ainfi la fouveraineté réfide dans toutes les familles représentées par un de leurs membres.

Les principaux magistrats portent le titre de capitaine, & font renouvelés tous les fix mois.

La juftice civile & criminelle eft confiée à un érranger, docteur en droit; il eft choifi' fur fa réputation de favoir & d'équité: on le change tous les trois ans. La république entretient aussi à ses frais un médecin étranger, chargé de foigner tous les malades.

La ville de S. Marin eft défendue par la nature,' car elle n'est acceffible que d'un côté; elle contient environ cinq mille ames: mais comme elle a pris naissance en Italie, elle n'a pu fe défendre d'un luxe religieux : on y compte cinq églises & deux couvens, un troifième eft hors de fon enceinte; trois châteaux dominent les habitations: tout fon

territoire ne comprend que la montagne fur laquelle la ville de S. Marin eft fituée, & quelques collines cultivées par des habitans, qui, réunis à ceux de la ville, forment en tout une population de fept mille ames. Voilà peut-être les feuls démocrates qui existent en Italie.

Nous venons de pénétrer dans les conftitutions. de quatre républiques; nous avons vu l'aristocratie dominer dans les trois premières, la démocratie refpirer dans la dernière. Une ame libre ne se plairoit ni à Venise ni à Gênes : fi elle ne faifoit confifter le bonheur de la liberté que dans

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la fécurité qui doit être attachée à une vie paisible, à l'exercice innocent de fes facultés, peut-être s'arrêteroit-elle dans la république de Lucques. Mais quel homme, né avec le goût des arts, avec le befoin de communiquer fes pensées & d'en recevoir d'autres en échange, enfin de charmer fón imagination par la vue des grands objets pourroit lier fon existence à une démocratie telle. que celle de S. Marin? La liberté eft fans doute d'un grand prix; mais s'il falloit la payer de toutes les privations; fi pour en recueillir les fruits, il étoit néceffaire de fe condamner à paffer le peu de jours que la nature accorde à l'homme fur une roche escarpéc, n'avoir pour fociété que de fimples vignerons, pour fpectacles que des collines, pour événemens l'arrivée de quelques voya→ geurs, pour dédommagement du mouvement & des divers tableaux des grandes villes, que la faculté de donner librement fon fuffrage dans un arengo, convenons qu'il feroit peu d'hommes affez épris de la démocratie pour acheter si cher fes faveurs.

que

Continuons donc nos recherches, & tâchons de découvrir la liberté dans un féjour, vraiment digne d'elle & de fcs adorateurs.

Tandis qu'elle fait tant de généreux efforts pour revenir chez un peuple dont elle a favorifé l'ori

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