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» Le fel vaut pour vous la plus riche monnoie, puifqu'il vous fournit toutes vos fubsistances. fe paffer d'or, on ne peut fe paffer de fel, puifqu'il eft l'affaifonnement néceffaire » de tous les mets ».

On

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Ceux qui fe propofent de faire connoître l'ori gine d'un peuple, font trop heureux de trouver de pareilles descriptions faites par d'habiles contemporains, elles répandent plus de lumières fur l'antiquité que, tous les monumens défigurés par le tems, & que toutes les fables recueillies par de crédules hiftoriens.

Il n'eft pas donné aux hommes de pouvoir se mettre pour jamais à l'abri du malheur & de la perfécution; dans quelque lieu de l'univers qu'ils fe placent, l'injustice les atteindra, elle exifte fur tous les élemens.

J

• Les Efclavans, nation barbare, fortie des cli mats glacés de Scythie, s'étoient d'abord tranfportés fur lesprivages de la mer Noir, de là se partageant en deux, une partie avoit tourné vers le pays au-delà du Danube, l'autre ayant traversé de fleuve, s'étoit établie dans la Dalmatie & gagnant du terrein, s'étoit avancée jufque fur le bord de la mer Adriatique, où elle venoit de bâtin la ville de Narenta, & de-là s'étoit jetée dans l'If» trie. C'étoit le fort des anciens habitans du midi, de fuir devant ceux du nord; les Iftriens, pour

fe fouftraire au joug & à la fureur des Efclavons fuivirent l'exemple des Venettes & fe réfugièrent dans une île voifine de leur continent; ils y bâtirent une ville, à laquelle ils donnèrent d'abord le nom de Juftinople, en honneur de l'empereur Juftin, qui régnoit alors en orient; elle est aujourd'hui connue fous le nom de Capodistria.

Ces, Efclavons, après s'être rendu redoutables fur terre, virent avec regret que des îles fervoient de réfuge à des hommes dont ils avoient ravi les poffeffions. On eût dit qu'ils vouloient exterminer tout ce qui avoit refpiré fur les contrées qu'ils venoient de conquérir; ils conftruifirent des vaiffeaux & exercerent fur la mer des pirateries & des brigandages qui jetèrent la terreur dans l'ame des Vénitiens; ceux-ci furent obligés d'armer des bâtimens en guerre, pour protéger leur naviga→ tion : les premiers combats qu'ils livrèrent à ces pirates leur apprirent qu'il étoit plus aifé à des hommes qui n'avoient pour eux qu'une grande impulfion de courage & une vive afdeur de butin, de triompher fur terre, que de vraincre fur un élement où l'art de la manoeuvre donne de fi grands avantages. Ces barbares, qui ne fe rebu toient pas pour une défaite, revinrent avec plus d'acharnement, & en excitant les infulaires à une défense plus conftante, ils contribuèrent à rendre les Vénitiens plus habiles, plus induftrieux,

car après une guerre très-longue, très-opiniâtre; ils ont fini par faire la conquête de Narenta & de toute la Dalmatie.

C'étoit un spectacle vraiment digne de pitié que la vue de ce grand empire, dont l'un des fiéges avoit été transféré à Conftantinople. Ce corps immenfe qui fembloit, fous Constantin étendre fes deux bras fur l'univers, en avoit eu un de retranché par des hommes féroces, il tournoit des regards douloureux fur les pertes qu'il avoit effuyées. Juftinien, qui fuccéda à Juftin fon oncle, conçur le projet d'arracher, des derniers conquérans, l'empire d'occident: Théodoric n'étoit plus; fa fille, plus digne encore que lui de dominer en Italie, avoit été mise à mort pár le perfide Théodar, qu'elle avoit placé sur le trône. Juftinien fecondé de fon général Belifaire, avoir repouslé les Perses, avoit tiré une vengeance éclatante des Vandales, & reconquis fur eux l'Afrique, où ils avoient porté les dépouillés que Genferic avoit traînées à sa suité; après s'être rendu maître dé Rome. Théodat intimidé par des fuccès qui lui préfageoient une prochaine invafion dans l'Italie, envoya à Justinien une ambaffade folemnelle, pour lui propofer une paix durable.

La réponse de Juftinien fut celle d'un Prince qui avoit le fentiment de fa fupériorité «Que Théodat, répondit-il aux ambassadeurs, quitte

» l'Italie & les îles adjacentes, & qu'il fe rende » fans délais à Conftantinople, où je lui ferai

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Quelque lâche que fût Théodar, il ne fe rendit pas à de pareilles conditions; mais ne fachant ni arrêter Bélifaire qui venoit à lui, ni se mettre en état de défense, il fembloit attendre dans Rome le vainqueur, pour fe livrer à lui.

Les Oftrogots indignés le déposèrent, & nommèrent Vitiges à fa place, qui du moins fe montra digne de fe mefurer avec le général de Juftinien; il alla même l'affiéger dans Rome, & l'y força à conclure un traité que Bélifaire éluda enfuite, ne se croyant pas tenu d'être de bonne foi avec un chef de brigands. Par une feconde fourberie, que nous n'approuvons pas plus que la première, il fe rendit maître de Vitiges, qui s'étoit retiré à Ravenne, & l'emmena prisonnjer à Constantinople,...

D'après d'auffi grands fuccès, on croiroit que l'empire d'occident va être réuni à celui d'orient & rentrer fous la domination de Juftinien ce fut, au contraire, là l'époque de fes plus horri bles calamités. Les Oftrogors ayant nommé pour leur chef Tottila, ce farouche guerrier reprit i en l'abfence de Bélifaire, tous le terrein qu'avoit perdu Vitiges défit tous les foldats Romains qui fe préfentèrent à lui, & alla former le fiége

de Rome, qu'il prit fous les yeux de Bélisaire, renvoyé trop tard en Italie qu'il n'auroit pas dû quitter; ce fut fous Tottila que la capitale du monde éprouva la plus affreufe deftruction, fes murs furent rafés, fes maifons furent livrées aux flammes, les citoyens éplorés fe réfugièrent dans les campagnes, ne laiffant après eux que des ruines & des monceaux de cendre où Rome fembloit être enfevelie pour jamais.

Bélifaire profitant de l'éloignement de Tottila, releva ses murs abattus, l'environna d'un foffé profond, la fortifia d'un retranchement; les habitans difperfés accoururent au milieu de ceş ruines amoncelées, & réparèrent avec tant d'ar deur leurs édifices incendiés, que Rome parut renaître de fes cendres, & fut en état de foutenir un fecond fiége devant fon implacable ennemi, qui revint pour la replonger dans le néant, dont il ne la vit fortir qu'avec fureur.

Ces faits que je rappelle ici ne font point étrangers à la république de Venife, ils fervent à convaincre que les Vénitiens, autrefois dépendans de l'empire d'occident, avoient bien acquis le droit de fe gouverner par leurs loix, de ne relever que de leur courage & de leur induftrie. Ceux qui ont prétendu que les empereurs d'Allemagne, en fuccédant aux droits des fouverains de Rome, devoient conferver fur les

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