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pere; mais il lui falloit le fecours d'une plume éloquente, & on lui indiqua Saumaife, profeffeur à l'univerfité de Leyde. Ce Saumaife s'étoit fait une grande réputation par fes commentaires fur differens auteurs grecs & latins. Charles le vit, &, moyennant une centaine de jacobus, Saumaise le chargea de faire l'apologie du roi d'Angleterre. Il eft aifé de juger qu'un grammairien verfé dans la fcience des étymologies, mais étranger aux affaires politiques, devoit être peu propre à ce genre de travail: aufli s'en acquitta-t-il avec toute l'incapacité, mais ent même tems avec toute la préfomption de l'ignorance ».

« 11 paroît, d'après l'ouvrage de Milton, que celui de Sauma fe n'étoit qu'un titlu de fophifmes & de fubtilités fcholaftiques. Beaucoup d'injures contre la NationAngloife a travers un ridicule étalage de citations grecques & latines; enfin les principes de la plus abfolue tyrannie présentés fans aucune espece de ménagement, & foutenus avec toute l'impudence du cynifme le plus révoltant telle fut la production que Saumaile mit au jour fous le titre de Dé fenfe du roi CHARLES. Malgré l'intérêt du fujet, elle n'eut qu'un fuccès médiocre, & Pauteur le couvrit de honte par un ouvra ge qui, fait dans. d'autres principes, eût pu lor donner des titres à la gloire, & contribuer efficacement aux progrès de la rai

fon ».

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En effet, on eût pu dire a prince Charles: C'est pour n'avoir pas connu les bornes de fon autorité, c'eft pour s'éire cru fuperieur à la Nation qui l'avoit établi le dépofuaire de fa puiffance, qu'une fin déplorable a privé le roi votre pere du fceptre & de la vie. Plaignez for fort, vous le devez donnez des larmes à fa mémoire; mais ne fongez point à justifier les erreurs dont il fut la victime. Qu'elles foient pour vous l'héritage d'un grand exemple, ayez-les toujours préfens à l'ef prit, fi quelque jour la fortune vous appelle à regner, & n'oubliez pas que la loi ne fait acception de perfonne. Les Anglois font injuftes à votre égard: je plaiderai votre caufe perfonnelle, non parce que vous êtes prince, mais parce que vous êtes malheureux & opprimé ».

« Tout homme à qui le talent d'écrire échut en partage fe doit conftamment à la vérité.; fa plume ne lui appartient point; elle eft la propriété des victimes de l'injuftice. Je ne ferai donc pour vous que ce que la confcience de mon devoir m'eút obligé de faire pour tout autre; mais en prenant votre défense avec tout l'intérêt que m'infpire le fentiment de vos malheurs, n'attendez pas de moi l'apologie des erreurs de l'auteur de vos jours. Sa caufe n'eft point la vôtre; & fi vos regrets vous portent à les confondre, la justice & la vérité veulent qu'on les fepare

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« Qu'alors Saumaife, au lieu d'invectiver la Nation Angloife & de prêcher la doctrine des tyrans par la feule néceffité de juftifier Charles, eût, au contraire, tonné contre l'ufurpateur Cromwell, qu'il eût démafqué fon ambition, fa déteftable hypocrifie, fa tyrannie déguifée, rufée & profonde, qu'il eût enfin contraint par la toute-puiffance de la raifon & du talent les Anglois à rougir de la profcription de la famille royale, c'eût été remplir à la fois la plus fainte & la plus belle de toutes les miffions ».

<< Mais une pareille conduite étoit fans doute au deffus de Saumaife, & peut-être même de fon fiecle; cependant les Hollandois, libres alors & méritant de l'être, indignés de voir qu'un homme qui vivoit à leur folde ofat publier chez eux les principes de la plus abjecte fervitude, s'emprefferent de profcrire l'ouvrage, & traiterent l'auteur avec affez de mépris ».

La Nation Angloife, par l'organe du Corps Légiflatif, chargea Milto de la juftifier. Il ne tarda point à mettre au jour (dit l'auteur de l'analyse) « la réfutation de l'écrit de Saumaite, fois le titre de Défense du Peuple Anglois. Elle lui valut mille livres fterlings de récom-. penle, & obtint le plus grand fuccès, nonfeulement en Angleterre, mais même dans les pays monarchiques. C'eft du moins ce

qu'on apprend dans une differtation latine qui parut peu de tems après, en faveur du parti royalifte

L'auteur de l'analyfe obferve toutefois qu'à Paris, fuivant l'inftigation des prêtres, le lieutenant civil condamna l'ouvrage de Milton à être brûlé. « La même condamnation (dit-il) lui fut infligée à Toulouse ce qui prouve la fenfation qu'il fit en France, où il femble que ces fortes de condamnations aient été de tout tems l'apanage des bons livres ».

Saumaise définit le roi un étre en qui réfide le fouverain pouvoir, qui n'eft ref ponfable qu'à Dieu de toutes fes actions qui peut faire ce qui lui plaît, & qui n'eft foumis à aucune loi.

«Je vais lui répond fon adverfaire) vous démontrer , non par mes propres raifonnemens, mais par les vôtres & par les autorités que vous citez, qu'aucune nation. ne reconnut jamais à fes rois une auffi étrange prérogative. Eb! quel autre en effet qu'un écrivain vendu au defpotifme auroit l'ame affez fervile pour établir les droits de la royauté fur les excès de la tyrannie? Cette doctrine eft évidemment. l'opprobre de la fervitude: car s'il eft permis à un roi de faire tout ce qui lui plaît, il n'en eft aucun qui ne mérite le nom de tyran, il n'a fait qu'ufer de fes droits; & l'on ofera foutenir que ce prétendu droit

des rois eft fondé fur la loi des nations ou plutôt fur celle de la nature! Eft-ce donc une brute qui parle, & qui vient nous apporter le code des tigres? Une opinion plus abfurde & plus monftrueufe eft- elle jamais fortie de la bouche des hommes » ? Suit la difcuffion de divers paffages de l'Ecriture Sainte allégués par Saumaife. Après avoir montré que les rois des Juifs étoient foumis aux mêmes loix que le Peuple, que Ecriture ne contient aucune exception en leur faveur, que la raifon & les autoritésprofcrivent également cette affreufe maxime: Que les rois peuvent impunément faire tout ce qui leur plaît, Milton examine fi l'Evangile a confacré d'autres principes, & s'il eft vrai qu'il nous prêche une fervitude réprouvée par l'ancienne loi; il fait voir l'accord de la bonne nouvelle avec les principes des meilleurs politiques de l'antiquité, & indique les fources dans lesquelles Saumaise a puffé fa doctrine.

« Le pape & fon Clergé lui dit-il ) en ont été les inventeurs dans un fiecle où ils n'avoient que très-peu de crédit. C'eft par cette doctrine fervile qu'ils font parvenus à acquérir une immenfité de pouvoirs & de richeffes; alors ils ont mis fous le joug les defpotes mêmes qu'ils avoient baffement adulés. Pour maintenir la plus intolérable de toutes les tyrannies, ils ont taché de perfuader aux peuples qu'il étoit

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