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font pas là des matieres dont l'intérêt soit limité. Les difcuffions qu'elles entraînent conviennent à tous les tems & à tous les pays. Il est toujours effentiel de connoître l'opinion d'un grand homme fur des objets qui, de jour en jour, captivent davantage notre attention, & méritent enfin de l'occuper toute entiere. J'ai donc cru rendre un fervice en m'impofant la tâche pénible de fouiller dans les differtations polémiques de Milton pour en extraire les principes politiques noyés dans le détail des circonftances & dans l'érudition verbeufe de fon tems. Je me fuis attaché furtout à la fameufe Défenfe du Peuple Anglois, que Toland, auteur de la vie de Milton, appelle MASTER PIECE, la Piece maîtresse; & quoique la plupart des principes qu'elle contient foient maintenant avoués & reconnus, il falloit, du tems de Milton, un génie bien extraordinaire pour les apperce voir & pour les développer comme il l'a fait».

Son ouvrage fur le divorce parut à Londres en 1643. Il renferme trois traités : le premier a pour titre Dodrine & difcipline du divorce, le fecond, Tetrachordon; le troifieme, Colafterion. L'auteur le dédia au parlement & aux théologiens d'Angleterre. « Il fit entendre à la Légiflature (dit-on) qu'étant occupée de la réforme générale du royaume, elle ne pouvoit fe difpenfer de prendre en confidération la liberté domef

tique, & que ce feroit en vain qu'on fe vanteroit d'être libre, tandis qu'on fe trouveroit dans l'impoffibilité de rompre les chaînes matrimoniales ».

Aux yeux de Milton, le mariage eft évidemment inftitué pour la confolation & pour le plaifir de l'homme. « D'où vient donc (s'écrie-t-il que, par de fauffes interprétations des paffages de l'Ecriture que Moyfe a furtour diriges contre ceux qui abufoient de la loi du divorce, d'où vient, dis-je, qu'on eft parvenu à transformer le bonheur conjugal en un malheur habituel, ou du moins en une captivité domeftique, fans qu'il refte aucun efpoir de s'en affranchir? Faut-il que la fuperftition ne nous laiffe d'autre alternativé qu'une liberté fauvage, ou une fervitude éternelle? En inftituant l'union conjugale, Dieu lui-même ne nous a-t-il pas dit quel en étoit le but? N'a-t-il pas déclaré pofitivement que c'étoit afin de donner à l'homme une compagne qui pût le réjouir, le confoler dans les difgraces, & l'arracher aux ennuis d'une vie folitaire »?

« Il n'a parlé qu'après de la génération. Loin d'en faire le premier motif de l'union de l'homme avec la femme, il ne l'a confidérée que comme une fin fecondaire. Cependant maintenant, que deux époux aient une fois mis le pied dans l'églife, qu'ils aient en quelque forte flairé le lit conjugal, l'erreur, la furprife, la différence

d'humeur, de goût, d'opinion, enfin toutes les caufes morales qui leur font deficer de n'être plus enfemble, ne peuvent opérer leur feparation. Pour peu qu'on trouve en eux d'aptitude à l'acte phyfique de la génération, c'en eft affez pour les condamner à traîner leurs fers. Qu'importe qu'il y ait de l'antipathie? C'elt a eux de combiner de quelle maniere ils pourront fupporter la privation du bonheur focial, qui, dans les plans de la fageffe divine, fut cependant le premier motif & la premiere fin de l'inftitution conjugale »..

Cet ouvrage, fuivant l'auteur de l'analyfe, tend à prouver qu'outre l'adultere on peut avoir bien d'autres raifons fuffifantes pour demander que le mariage foit diffous, & que, hors les cas exceptés par Moyfe, il eft injufte & contraire à la loi de prohiber toute efpece de divorce..

En établiffant ces principes, (continueil), Milton joint à la force du raifonnement l'explication des paffages de l'Ecriture qu'on prétend être contraires à fon opinion. la grande thefe qu'il foutient eft que l'indifpofition, l'inconvenance ou la contrariété d'humeur, lorsqu'on ne peut en changer, s'oppofant aux principales fins du mariage, c'est-à-dire, à la paix & au contentement des époux, font de plus grands motifs de divorce que l'adultere ou l'impuiffance, pourvu que les deux parties confentent à la feparation ».

« En effet, il femble qu'il feroit fouverainement tyrannique qu'un. homme ou qu'une femme fuffent lies au delà de leurs intentions réfléchies; & puifqu'ils n'ont pu faire ensemble l'eflai de l'engagement qu'ils contractent, quand les chefes ne fe trouvent paint telles qu'ils fe les font promifes, Join de les punir de leur ignorance invoFontaire, il doit leur être permis de faire ce qui le pratique dans tout autre marché c'eft-à-dire, que les deux parties, quan l' elles le veulent bien, peuvent retirer leur enjeu, laiffer les chofes telles qu'elles étoient auparavant, ou fe libérer en payant des dommages, fi le cas le requiert »....

« Quant à ceux qui difent que le mariage eft un remede. contre la fornication & contre l'adultere, cela n'eft vrai qu'au tant qu'il regne un amour mutuel entre les deux époux.: car fi l'engagement eft forcé où s'il déplaît après qu'on l'a contracté, loin de produire un effet auff defirable, nous voyons clairement par l'expérience & par le railonnement, que ce noeud fatal laifle les hommes & les femmes en proie à toutes fortes de féductions; qu'il rompt la paix des familles, expofe la réputation des enfans, renverfe & détruit tous les devoirs de la fociété. Il ne rempit donc pas le premier but de fon inftitution, qui fuppofe qu'il n'eit. pas bon pour Phomme d'être feul: car il n'y a perfonne qui ne préfere la vie fo litaire à une pareille affociation ».

7

« Cet ouvrage fit la plus grande fenfation. Les prêtres, fuivant leur coutume, ne manquerent pas de fe déchaîner contre l'auteur; ils le traiterent de libertin, d'athée, d'hérétique; ils firent tous leurs ef. forts pour obtenir du parlement la condamnation du traité du divorce. L'un d'eux, prê chant devant les membres qui compofoient cette augufte affemblée, leur dit en propres termes que, parmi le grand nombre de péchés dont ils avoient à fe repentir, le plus énorme fans doute étoit de n'avoir pas déjà fait brûler le livre abominable de Milton; mais cette ridicule apoftrophe n'eut pas le fuccès que s'en étoit promis l'orateur énergumene il eut la douleur de voir que le parlement perfifta dans l'impénitence; ce qui doit paroître bien extraordinaire à ceux qui connoiffent l'efpece de complaifance avec laquelle l'autorité n'a ceffe de profcrire les ouvrages les plus propres à éclairer la raifon ».

Après le traité du divorce, Milton publia fous le titre d'Areopagitica fon difcours au parlement fur la liberté illimitée de la presse.

« L'effet en fut tel, (dit-on) qu'un certain Mabal, qu'on avoit nommé cenfeur 2 demanda la permiffion de renoncer à ce titre, & de ceffer d'en remplir les fonctions. Voilà certes un rare exemple de délicateffe; mais, comme l'obferve très-bien Toland, le pouvoir de la cenfure dans les

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