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Il n'eft plus poffible de douter que les matieres qui conftituent les montagnes primitives n'aient été dans un état de molleffe & même de fluidité qui permettoit ce jeu des affinités chymiques fur lequel je defire fixer Pattention des naturaliftes. Cette fluidité appartenoit fûrement à une espece de diflolution qui, ifolant chaque molécule, permettoit le libre rapprochement & la combinaison de celles qui avoient des rapports entr'elles. Les plus célebres naturaliftes admettent maintenant cet état de diffolution pour toutes les roches dont la formation remonte aux premieres époques de notre globe; la feule infpection de leur ftructure intérieure l'indique mille faits l'atteftent; mais rien ne nous fait connoître le genre de diffolvant qui les pénétroit; il paroît feulement qu'il avoit pour véhicule le fluide aqueux. Je dis que l'eau étoit fimplement le véhicule de ce diffolvant fans l'être elle-même : car ceux qui ont voulu attribuer à ce fluide le rôle principal dans cette action, ou même n'y faire intervenir que lui feul, n'ont pas réfléchi que fa qualité diffol vante eft très foible, & qu'elle ne sçauroit être confidérablement augmentée par une chaleur qui ne pourroit furpaffer celle de l'ébullition fans la réduire en vapeurs. Mais je dis plus à quelque degré que l'on exagere l'action de l'eau fur les terres, fuppofât-on même qu'elle fût équivalente à celle qu'elle exerce fur les fels les plus folubles, elle re pourroit pas fuffire pour s'emparer en même tems de toutes les matieres qui ont été diffoutes à la même époque. Nos montagnes fuffent elles uniquement de fel marin, la totalité de l'élément aqueux ne fuffiroit pas pour les rendre fluides. Quel étoit donc ce diflolvant dont l'activité & l'abondance étoient telles, qu'il a pu attaquer

fimultanément toutes les matieres qui forment l'écorce de notre globe dans une épaiffeur qui furpaffe, peut-être fix mille toifes, & qui, uni avec elles, leur faifoit acquérir une telle for lubilité dans l'eau, qu'elle furpaffoit beaucoup celle des fels qui jouiffent de cette qualité au degré le plus éminent? car le véhicule n'arrivoit peut être pas à faire le quart de la maffe à laquelle il communiquoit fa fluidité puifque non-feulement les roches qui conftituent les montagnes primitives, telles que les granits, les porphyres, les roches feuilletées & autres mais encore toutes les pierres des montagnes fecondaires, tertiaires, enfin de toutes celles qui leur fuccedent relative nent à l'âge & à la position, ont dû être diffoutes à la même époque. Toutes les matieres qui n'auroient pas appartenu à cette diffolu tion, ou qui n'y auroient pas furnagé, auroient été ensevelies fous les premiers dépôts, & s'y feroient fouftraites pour jamais à toute action de caufes extérieures (6). Et ce dif

: (6) Je prendrai dans un très-petit fait une comparaifon qui rendra mes idées plus claires. Une pierre calcaire plongée dans un acide vitriolique qui ne feroit pas affez délayé pour tenir ea folution le gypfe qui doit fe former jufqu'à ce qu'elle foit complétement diffoute, feroit bientôt couverte d'une croûte de ce gypfe qui la fouftrairoit à toute adion fubféquente de l'acide car ceux qui ont fuppofé une fucceflion alternative de diffolution & de précipitation n'ont pas affez réfléchi fur une idée qu'ils n'admettent qu'afia d: fuppléer à la foibleffe du diffolvant qu'ils font intervenir. Si, après une premiere précipitation, ils ne déplacent pas le diffolvant en lui rendant fon activité pour l'envoyer ailleurs fe charger de nouvelles matieres, qu'il re viendra placer fur les premieres, fi, à chaque retour le diffolvant ne perd pas fon adion pour res commencer continuellement ce jeu alternatif de diffolution & de précipitation, l'effet qu'ils fuppofent ne peut avoir lieu, & il faut encore que ces ma

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folvant, qu'eft-it devenu ? Voilà des queftions auxquelles on ne peut répondre que par des conjectures; & lorfqu'on entre dans l'empire obfcur des hypothefes, chacun peut y pren dre une route différente, & y pénétrer d'au tant plus loin & plus sûrement, que le fil des probabilités, par lequel il fe laiffera conduire, fera plus long & plus fort. Souvent plufieurs perfonnes parcourant cet espace immenfe s'y rencontreront, quoiqu'ayant tenu des chemins différens. C'eft ainfi que mes idées coïncident avec quelques idées de M. Deluc, & je fuis entraîné par les plus fortes raisons à admettre l'existence d'un fluide qui donnoit à l'eau la faculté de divifer toutes les molécules terreftres, leiquelles n'ont repris leur tendance mutuelle qu'au moment de fa diffipation car, parmi les acides que nous connoiffons, il n'y en a point qui puiffe jouer un tel rôle : le vitriolique, quoique le plus actif de tous, ne diffout point le quartz; il rend plus infoluble encore la chaux à laquelle il s'unit, & fon existence, non plus que celle d'aucun autre acide minéral, ne paroît dans aucune des combinaisons de ces premiers âges du monde où ils auroient pu être admis & refter attachés. L'acide méphitique feul fe montre déjà abondamment; mais, loin de Jui attribuer la diffolution des différentes terres, je lui refufe même celle de la terre calcaire, qu'il n'attaque que foiblement ; &, loin d'ê tre l'agent de cette grande opération que quelques fçavans lui attribuent, il me paroît qu'il

tieres que va prendre le diffolvant fe trouvent déjà dans un ordre fucceffif inverse de celui où il vient les placer; ce qui renouvelle les mêmes difficul tés pour le premier arrangement, & ce qui produit un cercle vicieux par lequel on ne fait que placer deffous ce qui étoit deffus.

#plutôt contribué à la faire ceffer, & que fa préfence a fait fuir dans l'athmosphere une autre substance aériforme qu'il fera yenu remplacer.

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Mais est-il bien certain que nous ne pourrions pas retrouver quelques indices de ce diffolvant univerfel qui attaquoit la terre filicée comme toutes les autres ? Ne pourroit-on, fans fe vouer à un extrême ridicule, le cher cher dans une modification de la lumiere ou du feu combiné, prefque femblable à celle que nos chymiftes modernes ont mife dans un grand difcrédit, & que Stahl & nos anciens avoient nommé Phlogistique, plus femblable encore à ce caufticum à cet acidum pingue de Mayer d'Ofnabruck? Seroit-il impoffible qu'une des modifications de cet élément (qui en admet beaucoup ), s'uniffant à l'eau avec une grande furabondance, ou plutôt affocié à toutes, les rendît folubles? Si à l'exemple de Mayer, je fuppose dans la chaux vive une fubftance qui y remplace l'air fixe, & fi c'est à elle que je puis attribuer l'effet de la rendre diffoluble dans l'eau, il me fera peut-être poffible, en la reprenant à cette combinaifon, de prouver qu'elle exerce un effet femblable fur les autres terres, même fur cette terre filicée qui résiste à tous nos acides & à laquelle on a vainement cherché un diffolvant. Je pourrois peut-être même démontrer que cette fubftance existe encore dang le fein de nos montagnes; qu'elle y eft combinée avec plufieurs corps dont elle peut fe féparer dans quelques circonftances pour fe porter fur la terre filicée; qu'alors elle lui donne la faculté de fe diffoudre & d'être emportée par l'eau, & qu'elle l'accompagne jufques dans les cavités où fe forment les cryftallifations quartzeufes.

Lorfque la chaux vive fe vivifie, c'eft àdire, au moment qu'elle reprend l'air qui la conftitue piérne calcaire, elle exerce une action fur les fables quartzeux qui y font mêJangés; elle y adhere fortement, parce qu'elle y produit une petite corrosion très-visible au microscope fur les faces polies des cryfraux de quartz qui y font introduits. Les alkalis cauftiques diffolvent par la voie humide ou plutôt rendent diffoluble une affez grande quantité de terre filicée, fur laquelle ils n'ont point d'action lorfqu'ils font aérés. Le fer qui fe rouille fur du cryftal de roche s'y attache fortement, s'y incorpore en quelque forte par une corrofion quelquefois très considérable. J'ai vu des cryftaux de roche qui s'étoient cariés à plus d'un pouce de profondeur, au milieu des chaux de fer qui s'étoient formées fur eux. Lorfque le fer en état demi-métallique eft partie conftituante d'une pierre, & qu'il paffe à l'état de chaux par une espece de décompofition affez fréquente, les fentes & les cavités de cette pierre fe rempliffent de cryfaux de quartz, parce que l'eau qui s'infiltre peut alors fe charger de la terre filicée fur Jaquelle elle n'avoit auparavant aucune action (7). Voilà donc un rapport d'action entre la chaux vive & le fer l'un & l'autre, ea admettant l'air, femblent donc reftituer une fubftance quelconque qui agit fur la terre filicée,

(7) Je ne doute pas qu'on ne parvint à obtenir de petits cryitaux de roche par un mélange de limaille de fer & de fable quartzeux que l'on hu me teroit de tems en tems. Ma vie errante & toutes les circonstances qui l'ont agitée m'ont empêché de faire cette expérience, que je projette depuis longtems, & dont je crois pouvoir promettre le fuccès à ceux qui voudront la tenter : elle feroit hâtée par une eau gazeufe qui mettroit d'autant plutôt le fer en état de chaux.

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